24/06/2007

Acharnement thérapeutique

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dimanche 24 juin 2007, 13h00
L'Union européenne bricole un "traité Frankenstein"

BRUXELLES (Reuters) - C'est une hydre à neuf têtes, une effroyable usine à gaz, un monstre de Frankenstein fait de bric et de broc; mais l'essentiel pour l'Union européenne est d'être enfin sortie d'une longue période d'introspection.
L'accord conclu samedi à l'aube par les dirigeants européens sur un nouveau traité censé remplacer la défunte Constitution après une trentaine d'heures d'âpres négociations ne remportera pas de prix littéraire. Pas plus qu'il ne restera dans l'Histoire pour sa clarté juridique.
Les 18 pays qui avaient ratifié le texte torpillé par les "non" français et néerlandais l'ont amèrement regretté.
"Le traité constitutionnel était un traité aisément compréhensible", a déclaré le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, le doyen en expérience du Conseil européen. "Ceci est un traité simplifié qui est très compliqué."
Les 60 articles ramassés en 29 pages de la première partie du projet initial, les seuls qui apportaient un changement au fonctionnement de l'UE, étaient d'une lecture aisée.
Le mandat de la conférence intergouvernementale chargée de rédiger le nouveau traité est un "animal" complètement différent et les adversaires du texte initial pourraient finir par regretter leur vote s'ils font l'effort de comparer les deux textes (1).
Le traité rédigé par une Convention démocratique composée de représentants du Parlement européen, des Parlements nationaux, de la Commission et des gouvernements de l'UE sera maintenant dépecé par des juristes à l'abri de l'opinion publique.
"On va faire un véritable effort d'opacité", se réjouit un des négociateurs selon lequel il ne faut pas que l'on puisse reconnaître le texte original rejeté dans deux pays.
UN "TRAITÉ MODIFICATIF

Le "traité constitutionnel" répondra au doux nom de "traité modificatif" et tous les symboles - devise, drapeau, hymne - passent à la trappe, tandis que le jargon règnera en maître: plus question de "loi" européenne, retour à la case "directive".
Certes, le coeur des réformes institutionnelles survivra.
Ainsi le vote à la double majorité - 55% des Etats représentant au moins 65% de la population - est resté inchangé parce qu'il fallait de nouvelles règles de décision plus efficaces "pour répondre aux défis du XXIe siècle".
Mais, pour obtenir l'accord des Polonais qui voulaient en rester aux règles de vote du traité de Nice où ils disposent d'un poids pratiquement équivalent à celui de l'Allemagne, son entrée en vigueur a été de facto reportée à ... 2017.
Si la paralysie guette vraiment l'UE, comme le disent les Cassandre, les dirigeants européens ne sont pas très pressés puisqu'elle vivra pendant dix ans encore avec des règles qui datent en fait de 1957, lorsque l'Europe comptait six pays.
L'extension du vote à la majorité qualifiée à la coopération pénale et judiciaire a elle aussi survécu dans la négociation pour pouvoir lutter plus efficacement contre le terrorisme, le grand banditisme ou l'immigration illégale.
Mais le paysage européen ressemblera à un véritable gruyère: la Grande-Bretagne ne participera pas à l'aventure.
De même, la Charte des droits fondamentaux n'aura aucune force contraignante pour les Britanniques, qui ne pourront s'en prévaloir devant la Cour de justice de l'Union européenne.
Alors que les partisans du "non" se sont félicités d'avoir mis à bas l'Europe "ultralibérale", on peut légitimement s'interroger sur la portée réelle de leur victoire.
Aucune des avancées du projet de Constitution n'a pu être conservée dans le grand nettoyage et ceux qui croyaient profiter du rejet de la Constitution pour bâtir une Europe plus sociale sur les cendres du "non" en sont pour leurs frais.
UN "MEILLEUR ACCORD" POUR LES LIBÉRAUX

Le Premier ministre tchèque Mirek Topolanek, un eurosceptique allié à Londres, s'en réjouissait samedi: "Cet accord est bien meilleur pour les pays libéraux comme la République tchèque que ne l'était le traité constitutionnel".
Et ce n'est pas la victoire de Nicolas Sarkozy, qui a obtenu la supression de la liste des objectifs de l'UE de la "concurrence libre et non faussée", agitée comme un épouvantail par les partisans du "non", qui corrigera le tir.
Le droit de la concurrence reste inchangé et des références similaires se retrouvent à 13 reprises dans le futur traité.
Dans la délégation française, on s'en amusait d'ailleurs.
"C'est quoi le contraire de 'concurrence libre et non faussée'? L'objectif est-il de favoriser des cartels occultes et une concurrence biaisée?", ironisait un de ses membres.
Il reste deux réformes de taille, pratiquement inchangées.
Le Conseil européen sera doté d'un président stable élu par ses pairs et le Haut représentant pour la politique étrangère, faute de devenir "ministre" - les Britanniques ne voulaient plus du titre - disposera enfin d'un véritable service diplomatique et siégera à la Commission, dont il gérera le budget extérieur.
Il reste à savoir quelle marge de manoeuvre des Etats membres très jaloux de leur souveraineté leur donneront.
"On peut vivre avec cet accord", a sobrement commenté le président du Conseil italien, Romano Prodi, démontrant ainsi le peu d'enthousiasme qu'il suscite parmi les intégrationnistes.
Malgré ce bilan mitigé, le soulagement était perceptible samedi matin lorsque l'accord, que l'on croyait totalement hors de portée il y a trois mois à peine, a été conclu.
"C'était vraiment un miracle", a estimé le Premier ministre finlandais Matti Vanhanen, exprimant le sentiment général que c'est peut-être le dernier accord de ce type à Vingt-Sept.
Car les dirigeants européens avaient surtout envie d'en finir avec 15 années d'introspection, de nombrilisme et de discussions institutionnelles sur les mêmes sujets.
"Il fallait en terminer avec cet état de négociation permanente et passer à autre chose", résume un ambassadeur.

(1) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/oj/2004/c_310/c_31020041216fr00110040.pdf

http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/en/ec/94932.pdf

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