Quartiers
Sarkozy démenti par les faits un an après
Une étude dévoilée par «Libération» dresse le portrait-robot des émeutiers mineurs de Seine-Saint-Denis. Verdict: très peu de récidivistes.
Par Jacky DURAND, Fabrice TASSEL
QUOTIDIEN : mardi 24 octobre 2006
Des bandes de délinquants organisées, souvent composées de récidivistes, et dont les membres sont de plus en plus jeunes. Telle est, dans ses grandes lignes, le portrait-robot dressé par Nicolas Sarkozy lors des émeutes de l'automne 2005. Une étude sur «Les mineurs émeutiers jugés à Bobigny» réalisée par deux sociologues (1), et que Libération dévoile, rectifie sur plusieurs points cette lecture.
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Les chercheurs ont passé au crible les 55 dossiers impliquant 86 mineurs déférés après leur interpellation par le parquet devant le tribunal de Bobigny entre le 31 octobre et le 11 novembre 2005 (lire aussi ci-dessous). Ils ont aussi décortiqué seize des dix-neuf affaires jugées avant la fermeture estivale du tribunal. Concernant le profil des mineurs émeutiers (tous des garçons, et dont 92 % ont la nationalité française), 84 % ont des noms et prénoms à consonances étrangères, et 55 % à consonances spécifiquement maghrébines, un constat «novateur» selon les auteurs, et qui bat en brèche «le lien que d'aucuns voulurent établir entre les émeutes et la polygamie des familles originaires d'Afrique noire». Autre rectificatif, l'âge des émeutiers, très majoritairement âgés de plus de 16 ans, quand circulait l'idée qu'ils étaient très jeunes. Le parcours scolaire est moins étonnant, puisque sur les 86 mineurs, un seul est en lycée général.
L'étude tord aussi le cou à certaines idées reçues comme le laxisme des magistrats, et notamment ceux de Bobigny récemment soupçonnés de «démission» par Nicolas Sarkozy. Pour les sociologues, «lorsque les auteurs reconnaissent les faits et/ou qu'il existe des preuves matérielles de leurs actes délinquants, les magistrats n'ont aucun scrupule à prononcer les sanctions prévues par la loi. Mais, lorsque l'accusation repose uniquement sur le fait qu'un ou plusieurs policiers déclarent avoir vu, de loin et de nuit, des jeunes commettre des délits, sa décision est beaucoup plus délicate. A fortiori lorsque les procédures policières sont entachées de contradictions, d'invraisemblances factuelles, voire d'erreurs de procédures et de manquement à la déontologie».
En données chiffrées, sur les seize jugements examinés, dix non-lieux ont été prononcés faute de preuves. Les chercheurs ont relevé l'imprécision de certaines déclarations policières. Ainsi, des policiers affirmant avoir arrêté en flagrant délit un mineur mettant le feu à véhicule, alors que les services municipaux avaient enregistré l'enlèvement de ce véhicule de la voie publique depuis plusieurs heures. Les conditions d'interpellations sources de nombreux incidents sont aussi sujettes à caution : «L'impression d'ensemble est que les policiers ont souvent attrapé ceux qui courraient moins vite que les autres», écrivent les auteurs. Face au nombre important d'émeutiers, les policiers n'interpellent pas forcément les auteurs de l'infraction. Là encore, faute d'aveux ou de preuves, les juges peuvent difficilement condamner. Enfin, le parcours judiciaire des 86 mineurs émeutiers montre que seuls 34 % sont des récidivistes, alors que Nicolas Sarkozy avait lancé à l'Assemblée nationale que «75 à 80 %» des émeutiers étaient des délinquants bien connus.
(1) Laurent Mucchielli, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, et Aurore Delon.
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