27/06/2007

Hoax nucléaire et piratage antipub à la TV tchèque

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Comment un mystérieux groupe fait exploser une bombe un dimanche matin dans le programme météo d’une chaîne publique pour dénoncer l’envahissement publicitaire.

Les cas réussis de « hacking » d’un programme diffusé sur une grande chaîne de télévision sont encore extrêmement rares dans le monde. C’est pourtant ce qu’est arrivé à faire dimanche dernier à l’heure du petit-déjeuner un mystérieux commando infiltré sur les ondes de CT2, la deuxième chaîne de télévision publique tchèque.

Le nom du collectif d’artistes qui a réalisé cet exploit et plongé dans la stupeur quelques milliers de téléspectateurs mal remis de leurs agapes de la veille : Initiative Ztohoven . En langue tchèque, « ztohoven » signifie « loin de cela ». Prononcé à haute voix, le mot désigne aussi quelque chose comme « une centaine d’excréments ». Sous la houlette d’un certain Roman Tyc (outre l’évident jeu de mot, c’est également le patronyme d’un des plus célèbres culturistes tchèques, propriétaire de plusieurs centres de « fitness »), le groupe en question fédère artistes expérimentaux, hackers et autres activistes énervés par la dérive marchande et médiatique de la société.


Depuis 2003, Ztohoven s’est maintes fois illustré par des happenings transgressifs. Tantôt en déconnectant une partie de l’immense néon en forme de cœur, réalisé par l’artiste Jiri David et surplombant le château présidentiel, transformant ce symbole d’amour en un immense point d’interrogation lumineux, comme pour interroger l’opinion sur le réel bilan d’un Vaclav Havel terminant son mandat. Tantôt en détournant plus de 800 panneaux publicitaires dans le centre de Prague en les ornant d’affiches blanches marquées d’un grand point d’interrogation noir pour souligner le caractère manipulatoire et fondamentalement anxiogène de la publicité commerciale. Ou plus récemment encore, en avril dernier, en modifiant en une nuit et à la barbe de la police une bonne partie des feux piétons de signalisation en leur substituant des pictogrammes farfelus invitant le quidam à rompre avec ses attitudes rigides.

Mais concrètement, que s’est-il passé le 17 juin dernier à la télévision tchèque ?
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Comme de nombreuses chaînes, CT2 consacre chaque matin une part importante de son antenne aux prévisions météorologiques en les agrémentant de séquences parcourant les paysages bucoliques des environs de Prague, captés en direct par des caméras stationnaires à rotation panoramique, réparties en différents points du territoire.
Ce matin-là, la diffusion de l’émission - fort opportunément intitulée « Panorama » - débute normalement en présentant une vue des montagnes du Krkonose prise par la webcam automatique de Cerny Dul située dans la partie Est de la Bohème. Au bout de quelques secondes, la rotation circulaire de la caméra s’arrête et laisse apparaître une soudaine et violente explosion du type de celle provoquée par une charge nucléaire. Un champignon nucléaire s’élève alors au-dessus d’un des paysages favoris des Tchèques, et le souffle de la bombe s’amplifie rapidement jusqu’à brouiller « en direct » les ondes hertziennes et transformer en « neige » les images diffusées par la deuxième chaîne ! Une vision d’apocalypse en réalité toute virtuelle... Durant une demie-minute, les vraies images de la station ont été remplacées par un faux spot du même paysage où les pirates avaient incrusté des images d’un essai nucléaire réalisé en 1952 provenant d’archives militaires aujourd’hui déclassifiées et disponibles sur le site du DOE, le Département Américain à l’Énergie et à la Sécurité Nucléaire. Malgré un montage assez sommaire, la scène parvient à faire illusion auprès d’une partie des 50 000 téléspectateurs présents devant leur poste. Seul véritable indice de la supercherie discernable à l’antenne : l’insolite inscription située en bas à gauche de l’écran, www.ztohoven.com , nom du site aujourd’hui inaccessible des auteurs de ce canular. Pendant près d’une heure, un petit vent de panique s’empare de certains téléspectateurs qui bondissent sur leur téléphone pour inonder d’appels les standards de la chaîne et des services de police. Si l’idée du déclenchement d’une agression militaire ou de l’explosion d’une implantation nucléaire a surgi ce jour-là dans la tête de plus d’un Tchèque, c’est aussi parce que l’actualité récente a largement contribué à éveiller une telle psychose. Beaucoup de propos amplifiés par les médias ont en effet commencé à alimenter l’inquiétude de la population en amont de la fiction-réalité des Ztohoven : polémique entre le gouvernement tchèque et les autorités autrichiennes sur la question de la sécurité dans les centrales nucléaires en zones frontalières, et surtout, déclarations tonitruantes de Poutine menaçant d’une réaction musclée en cas d’installation dans la région du bouclier anti-missile projeté par les Américains.

Assez rapidement après la diffusion, CT2 dément l’existence d’un accident nucléaire et révèle publiquement la mystification, tandis que le mystérieux commando de se fend de communiqués expliquant les raisons de son coup d’éclat.
« Cette action vise à montrer concrètement le pouvoir d’influence mais aussi la vulnérabilité des médias à notre époque, notamment à travers l’utilisation croissante des techniques numériques, tant au niveau de la diffusion qu’à celui de la fabrication des contenus. (...) Nous souhaitons alerter le public sur la façon dont la publicité viole et exploite nos désirs, nos idées et nos perceptions des choses avec pour but exclusif de nous pousser à consommer ».
À la mi-journée, le porte-parole de la télévision publique Martin Krafl annonce que la chaîne vient d’engager des poursuites judiciaires contre les auteurs de ce « crime » (atteinte à la propriété intellectuelle et diffusion de fausse nouvelle susceptible de provoquer des troubles à l’ordre public) et précise que la police dispose d’ores et déjà du nom du propriétaire de l’adresse internet du site. Sur le papier, les impétrants encourent jusqu’à un an de prison ferme. Martin Krafl explique aussi que le canular a été rendu possible grâce à un piratage numérique très sophistiqué de la webcam automatique chargée de couvrir la région, précisant au passage - service public oblige - que la production locale des images relève d’un contractant extérieur et que la régie centrale de la télévision tchèque est hors de cause dans cette affaire. L’hypothèse, avancée par la chaîne, d’une intervention ultrasophistiquée et effectuée à distance à l’aide d’importants moyens technologiques par de super hackers paraît exagérée et finalement peu crédible quand on regarde attentivement les photos de l’action, diffusées sur feu le site de Ztohoven.




L’intervention des pirates sur le relais de Cerny Dul, tout comme leur montage vidéo mélangeant assez sommairement images numériques et images analogiques, ressemble davantage à un astucieux bricolage qu’au produit d’un implacable consortium de « geeks » surdoués. Peu importe d’ailleurs, puisque le résultat final est parvenu à faire sensation et à provoquer une grosse polémique...
Cherchant à dédouaner l’institution télévisuelle de ses responsabilités, Martin Krafl a poursuivi ses déclarations en insistant sur le fait que cet acte était « imprévisible et qu’il aurait pu provoquer une réaction de panique massive dans la population », le programme étant fort suivi durant cette période de l’année. Aux protestations de la chaîne publique se sont rapidement jointes celles des offices régionaux du tourisme qui ont vu dans l’opération une atteinte à leur image : les séquences panoramiques de l’émission matinale étant explicitement conçues comme un vecteur de promotion de l’activité touristique des sites présentés. On comprend ainsi mieux le rapport effectif entre la cible choisie par Initiative Ztohoven et les proclamations anti-publicitaires contenues dans leur message de revendication !

André Gattolin pour HNS-info

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