Il n’a jamais hésité à intervenir dans les rédactions. Depuis qu’il est président, c’est pis.
de Raphaël GARRIGOS, Isabelle ROBERTS
Il y a Sarkozy et les médias avant, et Sarkozy et les médias après. Avant le 6 mai, c’était déjà quelque chose. Depuis, c’est n’importe quoi. Une constante, Sarkozy a des amis parmi les grands patrons de presse : Bernard Arnault, Martin Bouygues, Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère. Du coup, dans les médias, Sarkozy qui a, dans sa jeunesse, rêvé d’être journaliste se sent à la maison. Tellement qu’entre les deux tours, sur TF1, il se déchausse sous le bureau du 20 heures, à l’aise, décontracté du doigt de pied.
L’avant-6 mai
Bien avant son élection, Sarkozy avait largement entamé ses relations incestueuses avec les médias. La gamme de ses pressions est vaste. Parfois, il est douceâtre et se contente de remercier les directeurs de l’info de TF1 et France 2 pour avoir été soft dans leur traitement des émeutes en banlieue en novembre 2005. Parfois il est colère, comme quand, invité de France Europe Express il y a quelques mois, il se retrouve dépourvu de loge et menace de virer toute la direction de France 3. Mais son air préféré, c’est la menace : en juin 2005, quand Canal + envisage de se délester de Karl Zéro , il n’hésite pas à prendre son téléphone pour défendre son interviewer favori (Laurent Fabius fera de même). En août 2006, invité sur TF1, Sarkozy en profite pour passer un savon mémorable au rédacteur en chef qui a laissé passer un sujet qu’il juge trop complaisant sur les sans-papiers de Cachan.
Ah, et puis tiens, pendant la campagne présidentielle, Sarkozy se fend d’un coup de fil à Edouard de Rothschild, actionnaire principal de Libération, pour lui dire tout le bien qu’il pense du journal. Parfois, Sarkozy se fait patron de presse : c’est lui qui annonce avant tout le monde la nomination de Harry Roselmack au poste de joker du 20 heures de TF1 en mars 2006. C’est lui aussi que consulte Jean-Pierre Elkabbach, patron d’Europe 1 (Lagardère), pour le guider dans le choix d’un nouveau journaliste politique en février 2006. Et il y a, bien sûr, l’affaire Genestar, viré de Paris Match par Arnaud Lagardère (qui se dit comme le « frère » de Sarkozy) pour avoir fait, à l’été 2005, sa une sur Cécilia Sarkozy et son amoureux de l’époque. Mais ça, c’était avant le 6 mai. Depuis, les relations Sarkozy-médias sont devenues plus poreuses encore. Plus décomplexées aussi. Lagardère et« le Journal du dimanche »
Quelques jours que Sarkozy est président, et bing ! La première affaire éclate. Le 12 mai, au JDD (Lagardère), un court article est trappé. Il révélait que Cécilia Sarkozy n’a pas voté au second tour. De l’aveu même des journalistes, ce papier n’est pas l’affaire du siècle, mais il le devient à partir du moment où il est censuré. D’abord, il y a la conférence de rédaction du samedi : quand le sujet est annoncé, le directeur de la rédaction, Jacques Espérandieu, fait la tronche et insiste pour que Cécilia Sarkozy soit appelée afin de donner sa version. Plusieurs coups de fil sont passés dont un à Cécilia Sarkozy et l’autre à Franck Louvrier, dircom de Sarkozy. Aucun des deux ne répond, mais c’est Arnaud Lagardère en personne qui appelle Espérandieu et le somme de trapper l’article. Furieux, les journalistes du JDD interpellent Lagardère : « Vous êtes intervenu samedi auprès de la direction de la rédaction pour que cet article ne soit pas publié », et dénoncent « une censure inacceptable ». Ils sont rejoints par les SDJ des principaux médias du groupe. Bolloré défend la police française
Non content d’avoir offert au tout nouveau président quelques jours de repos sur son yacht en baie de Malte, l’homme d’affaires Vincent Bolloré veille à l’honneur de la police française. Début juin, un article de Matin Plus, le gratuit qu’il édite en collaboration avec le Monde et Courrier international, est censuré, hop, passé à la trappe. Il s’agit d’un papier de Courrier international, qui l’a, comme d’habitude, repris d’un journal étranger, en l’occurrence, hongrois : on y apprend comment un groupe de musiciens roms a été victime de policiers français zélés qui les ont retenus des heures à Roissy. Bolloré a trouvé l’article « extrêmement désagréable ». La censure ayant été rapidement ébruitée, le papier sera finalement publié sur pression de Courrier, accompagné d’une explication de l’hebdo jugeant l’article « pertinent » et d’un mot de Bolloré l’estimant « outrancier ». TF1, point chute pour les fidèles
Le 17 mai, fais ce qu’il te plaît. Ce jour-là, trois nominations sont annoncées. Il y a d’abord celles, croquignolettes de deux journalistes, à Matignon et à l’Elysée. Myriam Lévy du Figaro a suivi toute la campagne de Ségolène Royal, et se retrouve conseillère en communication de François Fillon à Matignon. Catherine Pégard, du Point, a, elle, couvert la campagne de Nicolas Sarkozy, et se retrouve conseillère du nouveau président... Mais il y a mieux, l’Elysée place carrément l’ex-directeur de campagne adjoint de Sarkozy, Laurent Solly, à TF1. Caser les amis dans les chaînes publiques, on avait déjà vu, mais là il s’agit d’un cas d’ingérence inédite dans une chaîne privée. Le nouveau patron de TF1, Nonce Paolini, qui prend les manettes cette semaine-là, tente de regimber. Du coup, pour enfoncer le clou, c’est directement l’Elysée qui annonce la nomination de Solly ! A qui ont été confiées la semaine dernière de mystérieuses « missions opérationnelles et fonctionnelles, notamment la mise en place d’une direction des achats du groupe ». Mais qui achète qui ?
http://www.liberation.fr/actualite/medias/263893.FR.php
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