24/08/2007

L' AGCS...c'est quoi?

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Quand les États abdiquent face aux multinationales

Raoul Marc Jennar & Laurence Kalafatides

Engendrée sous la pression des milieux d’affaires, assemblée dans les couloirs de l’Organisation mondiale du commerce, une formidable machine à détruire les services publics mondiaux entre en action : l’Accord général sur le commerce des services, plus connu sous son sigle AGCS. Son objectif : libéraliser tous les services en supprimant un à un les obstacles au commerce. L’AGCS autorisera par exemple une multinationale à poursuivre pour concurrence déloyale une commune qui subventionne sa cantine scolaire.

Chercheurs indépendants, Raoul Marc Jennar et Laurence Kalafatides expliquent les origines et les conséquences de cet accord. Sa mise en œuvre faisant l’objet de négociations successives, l’AGCS menace à terme l’enseignement, la santé, la culture et l’accès à l’eau potable. Comprendre le fonctionnement de cette canonnière libérale conçue hors de tout contrôle démocratique, c’est se donner les moyens de l’enrayer. Le projet de réforme des universités voulu par Nicolas Sarkozy n’est pas le fruit du hasard. La future loi découle directement des décisions de la Commission européenne et anticipe le résultat des négociations de l’AGCS.
Extraits :
« Pascal L. ou la vraie vie libérale »
(Fiction ?)

« Étudiant, ton avenir t’appartient ! Investit dans ton éducation grâce à WLC et Crédits Sans Frontières ! » Tous les matins, en arrivant au 13e étage de la tour WLC, Pascal L. salue mentalement le jeune homme au premier plan de l’affiche 4x3 qui semble l’interpeller. Pascal L. dirige le département Communication de la branche européenne de World Learning Company (WLC), dont le siège social est à Houston, aux USA. En quelques années, la firme texane s’est hissée au troisième rang d’un marché devenu hyper-concurrentiel. Le chiffre d’affaires annuel de l’éducation représente plus de 5 % du PIB mondiali et World Learning Company entend bien s’y tailler la part du lion. Au moment de la déréglementation, WLC a saisi l’opportunité sans tergiverser. Elle détient à présent des parts de marché dans pratiquement toutes les branches de l’industrie de l’éducation. WL Teacher dispense formation initialeii et continue aux enseignants recrutés par les universités et les écoles privéesiii de WLC. Lesquelles n’acceptent que des étudiants ayant réussi les tests préparatoires chez WL Studyiv. Enfin, conception des programmes scolaires, élaboration des méthodes d’enseignement, contrôle des performances et gestion des établissementsv sont regroupés au sein de WL Services. Libérer la concurrence exigeait de libéraliser les droits d’inscription mais aussi d’encadrer strictement la réglementation internationale des subventions à l’éducation publique. Un nouvel horizon s’ouvre pour les affaires. En partenariat avec Crédit Sans Frontières, WLC propose aux étudiants des prêts plafonnés à 50.000 €. Mais le taux de chômage élevé persistant ces diplômés impacte la croissance du secteur. Pour relancer la consommation de prêts, Pascal s’apprête à inaugurer « sa » campagne de communication : « investissez dans votre avenir ». L’idée lui en est venue en écoutant la radio. Sandy Godfrey, la directrice générale de l’université australienne Deakin, expliquait à ses futurs clients - des parents et des élèves : « Je sais que beaucoup d’universitaires estiment que l’éducation devrait être gratuite et universelle, mais la réalité est qu’elle a une valeur marchande. Investir financièrement dans son éducation, c’est se garantir des revenus et assurer son avenir ».

En attendant une amélioration de la conjoncture, WLC étudie une possible diversification dans « l’éducation indigène ». La Banque Mondiale lance un appel d’offres sur l’Afrique, autant en profiter ! le raisonnement est simple : dans les pays gangrenés une pauvreté endémique, seule une meilleure productivité du capital humain peut enclencher le cercle vertueux de la création de valeur. « L’usage productif de la main-d’œuvre étant la principale ressource du pauvre, l’éducation, surtout au niveau du primaire contribue à augmenter la productivité du travail des pauvres », expliquait un expert de la Banque Mondiale lors du congrès des industriels de l’éducation. Pascal fut d’autant plus sensible à l’argument que le créneau porteur du développement durable lui permettait d’implémenter une campagne de communication basée sur la dimension éthique et citoyenne de WLC [...]

L’Accord général sur le commerce des services est une machine à libéraliser. Il menace tous ceux qui aspirent à une autorité publique garante de l’exercice des droits fondamentaux et de la primauté de l’intérêt général. À la différence de beaucoup de traités internationaux, l’AGCS ne constitue pas un aboutissement, mais un point de départ [... ] Ce caractère ininterrompu du processus de libéralisation enlève toute garantie de voir un secteur du domaine des services lui échapper à terme. L’OMC a répertorié plus de 160 activités de service que l’AGCS doit permettre de libéraliser dans ses 150 pays membres. Ce qui n’aura pas été libéralisé aujourd’hui pourra l’être demain dans le cadre du même traité. [... ] L’AGCS n’offre dès lors aucune garantie de protection de secteurs où l’égalité des droits ne souffre aucune remise en question, comme par exemple l’éducation et la santé.
L’enseignement menacé

Les partisans de l’AGCS sont tellement convaincus des vertus de leur accord qu’ils tentent de rassurer la population en certifiant qu’il n’englobera ni l’enseignement ni la santé. C’est inexact. En vue des négociations, les services de l’OMC ont présenté un document qui segmente le « marché de l’enseignement » en cinq secteurs :
- 1.Secteur primaire, qui comporte l’enseignement maternel et primaire ;
- 2. Secteur secondaire : l’enseignement secondaire du premier et du second cycle, l’enseignement technique, l’enseignement professionnel et l’enseignement à destination des handicapés ;
- 3. Secteur supérieur : l’enseignement technique et professionnel du troisième cycle, l’enseignement universitaire
- 4. Secteur d’éducation des adultes : cours du jour ou du soir destinés aux adultes, éducation tout au long de la vie, « open university », cours d’alphabétisation, cours par correspondance, cours donnés par la radio ou la télévision ;
- 5. secteur des autres services d’enseignement qui ne figurent pas dans les quatre premiers, y compris les cours particuliers à domicile.
L’enseignement n’est donc pas une activité de service exclue a priori des négociations sur la mise en œuvre de l’AGCS. Mais la Commission européenne et les gouvernements de l’Union se montrent rassurants : on ne touchera pas à l’enseignement, disent-ils, puisque les services fournis par les pouvoirs publics ne sont pas concernés. Rien n’est plus mensonger. L’AGCS, on l’a vu, s’applique à tous pays où le service de l’enseignement connaît une « concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services », les établissements privés par exemple. En outre, la Cour de Justice des Communautés européennes a considéré que les services d’enseignement ne constituent pas une activité pratiquée sous l’exercice de l’autorité officielle.

La signature de l’AGCS en 1994 offre aux gouvernements la première occasion de prendre des engagements de libéralisation, mais également d’exempter certains services. D’un côté, la Commission européenne s’engage à ne pas imposer de nouvelles restrictions à l’entrée de fournisseurs de services privés sur le marché de l’éducation et à la mobilité du personnel dans les quatre premiers secteurs (primaire, secondaire, supérieur et d’éducation des adultes). Simultanément, la Commission formule des exemptions concernant ces quatre secteurs de l’éducation publique. Les voici protégés pour un temps. Mais très vite, une révision des engagements et des exemptions se profile. En juin 2000, le représentant de l’Union européenne à l’OMC estime que « l’éducation et la santé sont mûres pour la libéralisation. » Puis, en janvier 2003, la Commissaire européenne en charge de l’éducation, Mme Reding, réaffirme l’urgence de rendre les universités européennes « compétitives sur le marché mondial de l’enseignement supérieur. »

Les digues érigées en 1994 céderont-elles à la déferlante ? L’éducation publique survivra-t-elle aux négociations successives sur la mise en œuvre de l’AGCS ? Interrogation d’autant plus brûlante que la Commission européenne s’emploie à détruire les systèmes publics mis en place au 20e siècle pour permettre aux citoyens d’exercer leurs droits à l’éducation, à la santé, au travail, au logement, etc.

P.S.

Editions :Raisons d’agir
ISBN : 978-2-912107-35-0
6 euros.

OULALA.NET

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