09/08/2007

Lettre ouverte a Jean-Christophe RUFIN( ex médecin , ambassadeur de France au Sénégal)

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Lettre ouverte à son Excellence M. Jean-Christophe Rufin
Un vieux briscard qui découvrait Guy Debord et le Velvet Underground en 1970 se souvient avec une émotion grinçante de la prudence politique de "l'humanitaire labélisé" Jean Christophe Rufin, à l'époque où simples étudiants de la Pitié Salpétrière, ils partageaient les bancs des mêmes amphis et quelques pizzas à défaut de partager les mêmes convictions.

Mon cher Jean Christophe,

Ton éminente position actuelle acquise dans le sillage de notre brillant confrère Bernard Kouchner ne m'a guère étonné. Déjà, ton dernier roman paranoïde donnait le ton.

Selon toi, ce sont désormais les "terroristes écologistes" qui menacent le monde. Une thèse très bien accueillie aussi bien à Washington qu'à Paris. Car qui dit "écologiste", dit aussi souvent "altermondialiste" ou "extrême gauche", cette mouvance ( engeance ?) que tu désignes précisément dans ton rapport "d'expert" remis à notre Guide Suprême, comme étant propre à glisser de "l'anti-sionisme radical" à l'antisémitisme. Cette obsession galopante des antisémites honteux à traquer "les racines de l'antisémitisme "me sidère. Mais peut-être est-ce un sentiment lié à ton "identité chrétienne européenne ? "

Je me souviens qu'un jour, durant nos dernières années de faculté, sachant que tu étais très croyant, j'avais craché devant toi à la face de Dieu en lui demandant de me foudroyer si j'étais coupable. En jeune homme de bonne famille tu en avais été choqué. En affranchi du Livre des Trois Imposteurs, j'en avais longtemps rigolé. Il est vrai que tu n'étais pas le style a tester le LSD ou l'antipsychiatrie...

Tu étais prudent, obstiné, bien éduqué par tes grands parents résitants anti-nazis, et je savais que ta carrière serait brillante. Tu nous considérais mes amis et moi, avec toute la douce bienveillance dont la classe petite bourgeoise est capable, même si parfois, nos analyses géopolitiques trop pertinentes te dérangeaient. Tu n'étais pas vraiment méchant, tu ne nous diagnostiquais pas d'emblée comme "schizophrènes border line", à l'instar de certains de nos confrères ambitieux déjà passés au service de la normalisation des années Pompidou.

Notre petite bande d'apaches revenait de stages sauvages en Palestine, en Irlande ou en Albanie, la tienne préparait l'internat. On ne voyait déjà pas "l'humanitaire" de la même manière.

Les coulisses pétrolières du Biafra, le Chili, septembre Noir en Jordanie, Belfast, l'Argentine nous avaient brutalement vaccinés contre les bêlements humanistes lancés aux médias en paravent aux appétits des ogres de la finance internationale. Je te parlais de "politique spectacle", de "show de l'humanitaire" et comme tu n'avais pas acheté l'intégrale de l'INTERNATIONALE SITUATIONNISTE au kiosque du boulevard Saint Michel, tu n'y comprenais couic. Après ça, tu as fais comme moi. Tu as pris les chemins de traverse de la littérature, nous avons écrit à peu près le même nombre de bouquins, mais comme dans la chanson de Lou Reed " Men of good fortune and men of poor begining..." , tes origines, tes actions spectaculaires en Bosnie, ton parcours sans faute au sein des institutions de gestion de la pénurie que sont les agences humanitaires, ont fait que ton sympathique visage glabre est apparu comme par miracle partout sur les écrans. Tes belles histoires pleine de sagesse et de bons sentiments plaisent et c'est normal, puisque les masses ont besoin de consolation. Tu as donc REUSSI !

Mais bizarrement, le fait d'apprendre ta nomination comme ambassadeur au Sénégal m'a fait rire. Malgré mon ventre creux et mes poches trouées, je me suis dit que j'avais de la veine d'être resté à l'ombre. J'avais échappé à ce putain de pacte faustien ! Tu sais, celui qui te lie désormais aux appareils de pouvoir, aux groupes occultes de Françafrique et de la haute finance. Ces mêmes groupes et ces mêmes hommes qui ont organisé, avec leurs homologues étrangers, les conditions du génocide rwandais, celui du Darfour, de Centrafique...

Ces mêmes juges qui relâchent deux génocidaires donneurs d'ordre, le jour même où notre Bien Aimé Président Unique s'adresse aux Africains, ces mêmes hauts magistrats qui soutiennent des thèses historiques truquées sur le Rwanda, ces présidents tortionnaires et ces ministres marchands d'armes. La liste est infinie et tu devras suivre les consignes d'en haut, de tout en haut, même si ça devait te déchirer de chagrin comme à Phnom Penh quand l'ambassadeur de France a fermé les grilles à l'arrivée des Khmer Rouges.

Et quand tu rencontreras ces personnes importantes engraissées dans la combine et le sang, tu devras te tordre l'âme comme un damné pour parvenir à avaler les couleuvres de la Raison d'Etat.

Pour un "humaniste déclaré", c'est à mes yeux un échec absolu que d'en arriver là. Passant de Claude Malhuret à Leotard, tu finis chez Nicolas Sarkozy et son ami Bolloré. A moins que ce ne soit la pénitence que ton Dieu t'inflige pour avoir aimé la gloire au point de lui offrir la souffrance des autres en best seller ? Va savoir...En tout cas, sache que tu n'as pas changé, tu es bien resté un homme obstinément fidèle à sa classe et à ses principes et celle-ci, en la personne de son membre le plus éminent a su le récompenser. Bon courage dans ton voyage au bout de la nuit, il ne fait que commencer.

Confraternellement

Dr Ramdane ISSAAD
http://rushes.yi.org
le mercredi 8 août 2007 à 21h11

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