17/08/2007

Lisez ça, et bonne rentrée universitaire !!

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Repéré sur LE SARKOPHAGE
Universités en faillite
Le débat sur l’autonomie de l’enseignement supérieur à la lumière de l’expérience britannique.
Par Jean-Luc De MEULEMEESTER et Claude DIEBOLT
QUOTIDIEN : mercredi 15 août 2007/ LIBERATION
Jean-Luc De MEULEMEESTER, professeur à l’Université libre de Bruxelles, et Claude DIEBOLT, directeur de recherches au CNRS
Le secret est désormais levé. Le quotidien The Guardian, début juillet (1), a annoncé la terrible nouvelle en première page : quarante-six institutions d’enseignement supérieur anglais seraient au bord de la banqueroute, principalement des anciennes Polytechnics (des institutions d’enseignement supérieur assimilées aux universités en 1992). Cette situation en Angleterre illustre une des conséquences possibles de l’autonomisation des universités.
Les récents débats sur le futur de l’université française et singulièrement les cris d’orfraie entendus à l’occasion des propositions de réforme du gouvernement Sarkozy ne peuvent que laisser songeur un observateur averti de ce qui se passe ailleurs en Europe dans le monde académique. Aujourd’hui, en effet, ce dernier n’est plus à l’abri de la concurrence et du danger. Il est de moins en moins un secteur protégé et se voit de plus confronté à la dure réalité du marché.
La Grande-Bretagne est à ce niveau un exemple topique, qui illustre comment un modèle européen (financement largement public des universités, emploi à vie des professeurs) se transforme peu à peu en un modèle de marché. L’Angleterre est pourtant notre futur possible !
Dès sa venue au pouvoir, Margaret Thatcher a réduit considérablement le financement par tête de l’enseignement supérieur (dès 1981) mais en laissant les universités désormais libres de faire payer le prix plein des études aux étudiants étrangers d’outre-mer. Par là, elle a induit un nouveau mode de comportement, plus «marketing», au sein des universités en quête de moyens. Face à la réduction de ceux-ci, les grandes universités ont essayé de lancer un nouveau mode de partage des fonds de recherche fondé sur la qualité. Très rapidement ce système a été récupéré par l’Etat qui a ainsi trouvé l’occasion de mettre en pratique une réelle concurrence entre universités via le Research Assessment Exercise (RAE). Dès 1988, suite à l’Education Act, elle supprime l’emploi à vie des professeurs d’université. En 1992, les Polytechnics sont assimilées aux universités et peuvent elles aussi rivaliser avec les universités traditionnelles pour les fonds rares de recherche (au sein du RAE).
Ainsi, c’est un univers de concurrence qui s’instilla peu à peu dans un univers académique jusque-là préservé — même si cette concurrence était en fait sous le contrôle de l’Etat.
Dans la longue durée on peut interpréter cette politique comme une lente préparation à l’ouverture d’un réel marché. On a utilisé la procédure d’évaluation de la recherche avec ­sélectivité pour concentrer celles-ci sur quelques établissements réellement de niveau mondial.
Parallèlement cependant, les universités anglaises ont dû faire face dans les années 90 à la concurrence croissante des universités anglophones du reste du monde, principalement les américaines bien mieux dotées, plus aptes à attirer les meilleurs étudiants du monde et les meilleurs professeurs.
En parallèle, le gouvernement britannique a souhaité accroître la participation à l’enseignement supérieur (surtout depuis 1997 avec Tony Blair qui s’est fixé un taux de participation de 50 % d’une classe d’âge accédant à l’enseignement supérieur). Les contraintes tant d’enseignement (garder une qualité élevée malgré des nombres croissants d’étudiants) que de recherches (de plus en plus coûteuses) ont fait lentement mais sûrement pesé un poids de plus en plus lourd sur les universités anglaises. Le besoin de financement a conduit à un débat où l’argument selon lequel les bénéfices de l’enseignement supérieur vont d’abord à ceux qui poursuivent ces études a dominé. Les frais d’inscription ont donc (sous la houlette de l’Etat) été élevés d’abord à 1 000 livres (1 500 euros) , puis bientôt 3 000 livres il y a quelques années. Ce ne fut pas suffisant pour un certain nombre d’institutions qui font face à une menace de banqueroute.
Les grands établissements quant à eux, se sentant brimés par le contrôle étatique tatillon (RAE, Teaching Quality Assessment), regardant avec envie le succès de leurs sœurs américaines, ont peu à peu désiré une indépendance qui ne pourrait venir que de la privatisation. On n’en est pas encore là, mais la limite des frais d’inscription à 3 000 livres va être levée. London School of Economics, Imperial College, Oxford, Cambridge risquent bien de demander des frais de l’ordre de 10 000 livres (15 000 euros) après 2010. On risque bien de voir émerger d’ici à deux-trois ans à quelques heures de Paris et de Bruxelles des établissements de type américain, des global players avec une recherche et un enseignement du type de celui de Harvard et Yale. On imagine la pression que cela va exercer sur le modèle français et européen plus largement.
A l’autre bout de la chaîne, les établissements petits ou peu prestigieux, car faibles en recherche (parmi lesquels de nombreux Polytechnics) risquent la banqueroute financière et la disparition. Cela va conduire à une concentration des activités académiques en Angleterre sur un petit nombre d’institutions d’élite.
C’est toute la politique de démocratisation des années d’après-guerre (marquées par la création de nombreux nouveaux établissements dans des régions périphériques pour faciliter l’accès à l’enseignement supérieur de couches peu privilégiées) qui est remise en cause. L’élitisme est de retour.
Bref, ce qui vient, c’est la concentration sur des centres d’excellence mondiale, des mouvements de fusion-acquisition comme dans le reste de l’économie, des professeurs évalués de façon permanente et rigoureuse en termes de leur output de recherche et des étudiants payant des dizaines de milliers d’euros par an pour des études de qualité mondiale. Face à ces changements quasi inévitables en France, vu l’évolution anglaise (comment penser en effet que les élites françaises ne vont pas envoyer leurs enfants dans un tel système à deux heures de Paris), les débats actuels en France et les craintes par rapport à des changements cosmétiques apparaissent risibles.
C’est à une vraie révolution académique que l’on assiste, une américanisation du modèle européen. Et ce mouvement a été en fait voulu.
L’Europe a trop mis l’accent sur un modèle d’économie de la connaissance à l’américaine pour ne pas chercher à en copier un des ingrédients majeurs : la création d’un réseau d’université d’élite de poids mondial.
(1) The Guardian daté du samedi 7 juillet

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