par Pierre Tévanian et Sylvie Tissot (1998)
Mots à maux. Dictionnaire de la lepénisation des esprits
Le travail de Pierre Tévanian et de Sylvie Tissot a consisté à relire la presse de gauche et du centre (Le Monde, Libération, Le Parisien, L’Humanité, L’Événement du Jeudi, Le Nouvel Observateur, Marianne), ainsi qu’un certain nombre de déclarations officielles de dirigeants politiques, de droite comme de gauche (PS, PCF, MDC) et d’essayistes classés à gauche.
Leur étude, appuyée sur des citations précises et référencées, montre à quel point le vocabulaire et les thèmes favoris du Font National (préférence nationale, invasion étrangère,...) sont maintenant repris, adoptés et défendus aussi bien à gauche qu’à droite. Les contre-vérités, les arguments fallacieux et les glissements sémantiques montrent que, selon les voeux de Bruno Mégret, l’idéologie nationaliste a gagné la "bataille du vocabulaire".
Tranchant avec l’antifascisme classique, ce dictionnaire dénonce avec vigueur le consensus politique sur la question de l’immigration, le racisme latent, la récupération des thèses frontistes par la majeure partie de la classe politique. Ainsi, la lecture de Mots à Maux constitue une bonne piqûre de rappel contre les trahisons de la Gauche.
Une Gauche autoritaire et raciste
Pierre Tévanian et Sylvie Tissot rappellent par exemple l’existence d’un appel publié dans Le Monde du 4 septembre 1998, passé plutôt inaperçu, intitulé Républicains, n’ayons plus peur. Il a été rédigé par un groupe d’intellectuels et d’universitaires : Régis Debray, Max Gallo, Jacques Julliard, Blandine Kriegel, Olivier Mongin, Mona Ozouf, Anicet Le Pors et Paul Thibaud. Ce texte proposait de "refonder la République" sous une forme autoritaire.
Ils proposent notamment des conditions d’attribution de la nationalité française plus exigeante, une maîtrise plus stricte des flux migratoires, etc. Il y est fait l’éloge du rôle édifiant du maire, de l’instituteur, du père et de l’adjudant (pêle-mêle) comme cadres structurants d’éducation républicaine. On peut également y relever l’idée de couper les allocations familiales des parents de "délinquants", et des propos tels que "tout héroïnomane a d’abord été un fumeur de haschisch" ou une diatribe contre l’usage du baladeur dans les cours de récréation (à l’occasion, je tâcherais de publier in-extenso ce morceau d’anthologie, car rien ne remplace la lecture du texte original).
Il est heureux que cet étalement de platitudes politiques et de hargne anti-jeunes et anti-immigrés soient enfin dénoncés. A l’instar du "jacobin" Chevénement, on retrouve là une énième interprétation bornée de la Révolution française et de l’idée républicaine, exhaltant les frontières nationales. Notons que depuis cette date, l’un des signataires, Max Gallo, a achevé son virage à droite en appelant à voter pour la liste "souverainiste" Pasqua-Villiers aux Européennes.
Le "cheval de Troie de l’extrême-droite"
L’une des forces de Mots à Maux, c’est d’avoir osé, preuves à l’appui, démonter l’imposture de deux chercheurs, souvent cités en référence pour leur travaux sur le racisme et l’immigration, Pierre-André Taguieff (CNRS) et Michèle Tribalat (INED). Pierre Tévanian et de Sylvie Tissot montrent comment ces "intellectuels", considérés comme des penseurs autorisés de l’antilepénisme reprennent à leur compte des stéréotypes racistes et des thèmes issus de l’extrême-droite. D’autant plus grave, que leur étiquette de chercheurs et de scientifiques permet d’autoriser et de légitimer ce vocabulaire polémique.
Pierre-André Taguieff est l’auteur de déclarations telles que : "le vrai courage [...] implique de fermer la porte à l’immigration pas ou peu qualifiée, tant qu’un chômage de masse subsistera" ou "deux millions de musulmans en France, ce sont deux millions d’intégristes potentiels". Ce chercheur a évidemment soutenu la loi Chevénement sur l’immigration. Les nombreuses contradictions entre les déclarations d’intention "humanitaires" et la violence ou l’absurdité des situations sautent aux yeux, de manière cruelle parfois. Dans Mots à Maux, le discours des défenseurs de cette loi est confronté aux témoignages des sans-papiers et des associations qui les ont défendus.
Pour sa part, Michèle Tribalat est une démographe, spécialisée dans l’étude de l’immigration. Pierre Tévanian et de Sylvie Tissot démontent par exemple la manière dont ses calculs faussaient de manière considérable le nombre de ménages polygames en France, fournissant ainsi des arguments à l’extrême-droite pour l’un de ses arguments favoris. On comprend mieux pourquoi le récent ouvrage commun de Pierre-André Taguieff et Michèle Tribalat, Faire face au Front National est, malgré son titre, un pamphlet en grande partie consacré à combattre l’antiracisme et l’antifascisme radical.
Le programme de la Nouvelle Droite est en voie de réalisation Les conclusions du livre de Pierre Tévanian et Sylvie Tissot appellent à cette remarque. Dès les années 1970, la Nouvelle Droite avait fixé le programme : conquérir la sphère culturelle. C’est ce qu’ils appelaient le gramscisme de droite. Les acteurs de ce mouvement se sont maintenant dispersés dans toute la droite et l’extrême-droite, mais aussi dans une partie de la gauche. Depuis 1991, Alain de Benoist, meneur historique de la Nouvelle Droite, a multiplié les tentatives pour se rapprocher de la Gauche, et est parvenu à figurer à la tribune d’un meeting contre la guerre du Golfe aux côtés de dirigeants du PCF. Ses démarches ont au moins convaincu une personne, Pierre-André Taguieff (CNRS), qui a consacré un livre à démontrer qu’Alain de Benoist était désormais un respectable homme de gauche... De même, rappelons les infiltrations menées par les nationalistes-révolutionnaires chez les Verts ou à Socialisme International. Il ne s’agit donc pas d’une vaine menace, mais bien d’un processus actif.
Dans le cadre de ce programme de conquête de la sphère culturelle, c’est-à-dire, avoir réussi à imposer leurs vocabulaire et leurs thèmes favoris en les faisant accepter et diffuser par des intellectuels et par des chercheurs scientifiques est un succès indéniable de la Nouvelle Droite. C’est pourquoi la contre-offensive culturelle est plus que jamais nécessaire sur le plan intellectuel et culturel.
Nicolas
(25 août 2007)
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