24/08/2007

Populisme pénal..ça fait mal

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Populisme pénal
Nicolas Sarkozy exploite avec cynisme l’émotion pour légiférer sur la délinquance sexuelle.

Par Françoise Cotta etMarie Dosé, avocats à la cour.
QUOTIDIEN : vendredi 24 août 2007
LIBERATION
Lundi 13 août est entrée en application la loi n° 2007-1198, renforçant la lutte contre la récidive, dont certaines dispositions concernent spécifiquement les agressions sexuelles et le dispositif dit d’injonction de soins. Trois jours plus tard, l’Elysée annonçait que Nicolas Sarkozy réunirait, le lundi 20 août, le garde des Sceaux et le ministre de l’Intérieur afin «d’étudier les mesures qu’il convient de prendre pour garantir que les personnes condamnées pour les infractions les plus graves, et notamment les crimes sexuels, ne soient plus en situation de recommencer». Le 20 août, Nicolas Sarkozy développait les mesures relatives à sa nouvelle réforme sur la récidive en matière de délinquance sexuelle (création d’ «hôpitaux fermés pour pédophiles», généralisation de la «castration chimique», exclusion pour ce type de délinquants du bénéfice des remises de peine…), tenant ainsi les promesses faites au père du jeune Enis reçu le même jour à l’Elysée, lequel ­confiait aux médias : «Il m’a promis de changer tout ça, et que tout serait mis en place pour que les lois puissent aller dans le bon sens, c’est-à-dire des lois plus sévères et que ces gens ne sortent jamais.» Après une semaine d’application et un fait-divers, la loi du 13 août est d’ores et déjà insuffisante, obsolète et trop peu répressive, ­s’agissant d’une certaine catégorie de ­délinquants que seul l’enfermement à vie peut retenir dans ses pulsions. La vox ­populi est devancée, la procédure pénale instrumentalisée, les faits-divers exploités dans un registre d’une pauvreté inouïe. Ne reste plus à ce populisme pénal désormais parfaitement rodé qu’à baptiser sa nième réforme du nom du multirécidiviste interpellé quelques jours ­auparavant.

La forme est aussi pauvre que le fond, reflétant non seulement l’incapacité de ce gouvernement à travailler sereinement sur une question aussi délicate et complexe que la lutte contre la récidive en matière de délinquance sexuelle, mais sa volonté affichée de ne pas y consacrer un temps de réflexion qu’il juge inutile. Répondre autrement que par les murs d’une maison d’arrêt, d’un centre de détention ou d’un «hôpital prison à vie» constituerait, à ce jour, à cette heure, et donc définitivement, une marque de défiance envers les victimes.
Pour Nicolas Sarkozy, la réponse pénale n’existe plus, seule compte la réaction : la réponse pénale est faite et pensée pour et par les intellectuels, ces «droits de l’hommiste» échappés d’un peuple avide de justice en temps réel et de sa réalité quotidienne. «Parler peuple» pour lui faire croire qu’on lui ressemble, lui répondre et réagir : un président de la République qualifie désormais le délinquant sexuel de «prédateur» («animal qui vit en tuant et en dévorant d’autres bêtes»), sans qu’une seule voix ne s’élève. L’assimilation entre l’homme et l’animal est assumée, et le «gène pédophile», objet hier de tant de certitudes, est finalement passé aux oubliettes de la polémique.
La surface éphémère et mouvante, mais immédiatement visible de l’actualité devient prétexte à légiférer dans la seconde qui suit une douleur et un émoi nécessairement fédérateurs. Moyennant quoi, les législateurs sont devenus, en un peu plus de cent jours, otages d’une pratique gouvernementale où un président de la ­République, porte-parole du peuple, ­dicte ses lois en temps réel aux ministres concernés.
Pourtant, il est des domaines où la (ré) action présidentielle se fait et se fera attendre. Il est des domaines où tout est su et connu sans que la décision politique et le pouvoir législatif n’interviennent et ne s’émeuvent, fût-ce à une décennie près. Il est des domaines où la barbarie ne justifie pas l’indignation nationale préalable aux réformes à l’emporte-pièce. Ni conférence de presse, ni réception à l’Elysée, ni projet de réforme ou d’amendement après le drame du détenu assassiné et partiellement ingurgité par son codétenu — que personne alors ne songea à qualifier de prédateur, puisque la victime n’en valait pas la peine. Chaque année depuis fort longtemps, des dizaines d’ouvrages divers et de rapports parlementaires alertent les pouvoirs publics sur des conditions de détention génératrices de récidive. Car c’est en détention que naît la récidive, là où règnent la violence et la brutalité, l’absence de suivi social, médical ou psychologique, l’insuffisance des moyens consacrés aux professionnels de la santé ou de la réinsertion, tous contraints de gérer tant bien que mal une population carcérale qui ne peut que leur échapper.
Dans leurs circonscriptions, députés et sénateurs visitent régulièrement «leurs» maisons d’arrêt afin de constater ce que rapports et commissions leur assènent depuis plus d’une décennie. Ils pourront dire : «Nous y étions, nous, hommes de terrain.» La solution politique est là, connue de tous, mais elle obligerait l’Etat à prendre des mesures contraires à ses intérêts électoraux et politiques, à admettre ses erreurs et à reconnaître que la délinquance sexuelle relève avant tout d’un impératif et d’une compétence de santé publique. Ancrer la vox populi à ses affects immédiats pour y répondre dans l’instant, c’est s’interdire le courage politique qui seul permettrait de s’attaquer aux prisons telles qu’elles sont. On continuera donc d’y enfermer les délinquants sexuels sans les soigner et d’y fabriquer de la récidive, et après tout, ils n’auront qu’à y récidiver entre eux ! Rien ici n’est caricaturé, tout est dit et assumé. «Les Français n’attendent pas de savants discours psychiatriques ou politiciens, mais la mise hors circuit des pervers» : sont-ce là propos de Nicolas Sarkozy ou de Jean-Marie Le Pen ? Peu importe, désormais, puisqu’il s’agit seulement de réagir à l’émotivité médiatique. Le temps n’est plus à l’élévation des débats et à la responsabilité politique mais à un populisme dont le seul objectif est d’enfermer un peuple dans la dictature de l’émotion. Nicolas Sarkozy agit finalement comme ceux qu’il dénonce : par impulsion. Parce que l’émotion paye et que le courage politique est un risque qu’il a décidé en toute conscience de ne pas courir.
Nicolas Sarkozy, autoproclamé le 21 août «patron» de la France, décide de concentrer tous les pouvoirs, de définir seul la ­politique pénale et de recourir systématiquement au grand spectacle. Surfant sur la vague de l’émotion populaire, utilisant les drames personnels et les désespoirs humains, il court de cimetières en cimetières et annonce des mesures qui ­renvoient la France à une philosophie ­judiciaire tournée vers l’obscurantisme et la régression.
Peut-on parler de malades mentaux, délinquants sexuels, et déclarer qu’ils seront soignés après la fin de leur peine d’emprisonnement sans donner les moyens ­nécessaires au suivi de leurs soins pendant leur détention ? Diaboliser les malades mentaux, les jeter dans des mouroirs sans espoir et sans autre avenir qu’une mort lente, c’est purement et simplement substituer une peine de vie à la peine de mort.
Notre société n’a-t-elle pas les moyens de soigner si elle se les donne ? Peut-on ignorer les conditions d’existence des délinquants sexuels à leur sortie de prison : sans domicile fixe pour beaucoup, sans point d’ancrage pour tous, quels moyens ont-ils de se soigner ? Francis Evrard a été détenu trente années et ne pouvait connaître à sa sortie que la précarité, la pauvreté et ­l’isolement, qui demeurent après la ­prison, les premiers facteurs de récidive. La loi Guigou est restée inappliquée faute de moyens financiers : deux cent ­cinquante juges d’application des peines ont à traiter chacun sept cent cinquante dossiers.
Il est aujourd’hui permis qu’un député socialiste, en charge des questions juridiques du PS, déclare que Sarkozy prend des mesures intéressantes mais ne va pas assez loin. Faut-il seulement comprendre que la question fait consensus et que les malades sexuels, délinquants ou non, vont aujourd’hui servir de boucs émissaires et de faire-valoir à la volonté de réformes populistes et obscurantistes de notre nouveau gouvernement ?
«L’homme est un risque à courir», ­déclarait naguère Kofi Yamgnane [ancien secrétaire d’Etat à l’intégration, sous Edith Cresson,ndlr], et ce risque, nous devons le prendre. A contre-courant, certes, envers et contre tout ce qui est asséné, mais fermement, définitivement.

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