05/09/2007

Ministère de la Justice: sale ambiance

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Ministère de la Justice: Calamity Dati
Par David Servenay (Rue89) 01H27 05/09/2007

Deux nouveaux départs de conseillers accentuent la crise Place Vendôme, où les critiques fusent.

Et de sept! Trois mois et demi après sa nomination au gouvernement, la Garde des Sceaux est confrontée à une crise sans pareil dans les annales ministérielles. Comme l’a révélé mardi le site Internet du Point, sept collaborateurs du cabinet ont désormais quitté la place Vendôme depuis sa nomination.

Les deux derniers départs ne sont pas anodins: Jacques Carrère, magistrat qui a présenté sa démission, s’occupait des questions de statut et d’évolution de carrières, tandis que Valérie Bonnard, énarque remerciée, gérait les négociations serrées sur le budget avec le ministère des Finances.

Au cabinet de la ministre, comme lors des départs précédents, on présente ce nouvel épisode comme la suite logique du changement de directeur de cabinet, intervenu en juin dernier.

Un directeur de cabinet au visage inconnu

En arrivant au ministère, le 18 mai, au bras de son mentor Albin Chalandon (ex-ministre de la Justice de 1986 à 1988), la protégée du président de la République veut marquer les esprits. Larmes à l’œil et gorge serrée, cette jeune femme passée en quelques années de l'obscurité des cabinets au premier plan politique, tremble en découvrant les ors du premier étage du ministère.

Sans avoir l’air de vraiment maîtriser l’instant, elle avance au milieu de la traditionnelle haie d’honneur formée pour l’occasion. D'un côté, l'administration de la Chancellerie. De l'autre, les journalistes. Emue, elle salue ses futurs collaborateurs qui lui sont présentés un à un.

Arrive l'avant-dernier. Elle lui serre la main. "Madame Dati, je vous présente Monsieur Dobkine..." Elle est déjà passée au suivant. "...Votre directeur de cabinet." Elle retourne soudainement la tête vers son visage. Apparemment, il lui était inconnu jusque-là. Comme un symbole, ce faux pas préfigure le gouffre qui va se creuser entre la magistrate à la courte carrière, elle est sortie de l’Ecole nationale de la magistrature en 1999, et son cabinet.

Des quolibets à la faute…

Que se passe-t-il dans les semaines qui suivent? Petit à petit, les confidences filtrent. "Incapables!", "des nuls…", "incompétents". Les quolibets de la ministre tombent comme des claques dans les oreilles de ces techniciens du droit de haut vol -magistrats ou énarques- qui peuplent un cabinet qu’elle n’a pas choisi.

Le 6 juillet, Michel Dobkine annonce sa démission, suivi le 10 juillet, par trois autres collaborateurs. Le directeur de cabinet bon teint, jugé "brillant", "froid" et "ambitieux" par ses condisciples de l’ENM (promotion 1983), a pourtant une longue expérience de l’administration centrale. Et il vient tout juste de quitter le prestigieux poste de directeur de l’école de Bordeaux.

Cette première crise assombrit un peu l’image de celle que l'on présente alors comme la "révélation" du gouvernement Fillon. Mais plusieurs voix s’élèvent, dont celles du président de la Licra, Patrick Gaubert, et du président de SOS Racisme, Dominique Sopo, pour dénoncer une "campagne" anti-immigrée. La polémique retombe.

Soutenue par Sarkozy, portée par le vote de la loi sur la récidive et en ajoutant quelques jours de vacances à Wolfeboro, la rentrée de Rachida Dati s’annonçait plus sereine.

Un PV d’interrogatoire en guise de sanction contre le vice-procureur de Nancy!

Fin août, nouveau coup dur: c’est le chef de cabinet, Michel Marquer, qui démissionne. Cette fois-ci, ce n’est pas uniquement le style brutal de la ministre qui est en cause, mais son incapacité à prendre en compte les avis de ses collaborateurs. Au ministère, on la décrit volontiers "impulsive", "irréfléchie", incapable d’admettre les obstacles que suscitent ses projets, voulant aller trop vite et trop loin.

Les choses prennent un nouveau tour avec l’audition du vice-Procureur de Nancy, soupçonné d’avoir vertement critiqué la politique du gouvernement au cours d’un réquisitoire contre un dealer récidiviste. D’après le compte-rendu d’audience paru dans l’Est Républicain, Philippe Nativel aurait dit: "Je ne requerrais pas cette peine plancher de quatre ans car les magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir. Ce n'est pas parce qu'un texte sort qu'il doit être appliqué sans discernement." Propos qui ne seront pas confirmés par les autres professionnels présents dans le prétoire.

Il est convoqué à la Chancellerie pour une explication de texte. Sentant le piège, le magistrat se fait accompagner pour ce qu’il pense être un simple entretien avec le Directeur des services judiciaires, Léonard Bernard de la Gatinais, par deux représentants de l’Union syndicale des magistrats (USM). Place Vendôme, le directeur adjoint du cabinet, Stéphane Noël, et un greffier sont également au rendez-vous.

"Le PV sera remis à la Garde des Sceaux qui avisera des suites à donner"

Pourquoi un greffier? Pour dresser un véritable procès-verbal d’interrogatoire, outil préalable à une procédure disciplinaire. Un mode d'action qui n'est pas du tout prévu par les textes, mais qu’importe. Les deux représentants syndicaux en sont tellement retournés qu’à la fin de l’entretien, ils exigent que soit noté sur le PV sa raison d’être.

"Ils ont alors écrit, raconte Christophe Regnard de l’USM: 'Le PV sera remis à la Garde des Sceaux qui avisera des suites à donner', ce qui légalement n’existe pas !" Comme un seul homme, l’USM, le Syndicat de la magistrature et le procureur général de Nancy montent au créneau pour sauver le soldat Nativel…

Menace de démission collective

D’après nos informations, les membres du cabinet de Rachida Dati ont alors songé à présenter leur démission collective. Mais la peur de passer pour de vilains aristocrates de la fonction publique opposés à la gentille jeune femme méritante les auraient fait reculer.

Reste que les résultats de la ministre se font attendre et que la grogne monte. Malgré ses déclarations tonitruantes, elle ne parvient pas à obtenir les moyens promis pendant la campagne électorale (doubler le budget sur cinq ans) et annoncés lors de l’agression d’un juge à Metz en juin (20 millions d’euros pour sécuriser les tribunaux).

Le forum fermé des magistrats a été saturé par les critiques et appels à l’action collective après l’affaire Nativel. Enfin, les deux nouveaux bras-droits de la ministre ne sont pas des professionnels du secteur: le directeur de cabinet, Patrick Gérard, a été recteur à l'Education nationale, et le chef de cabinet, Yannick Imbert, est un spécialiste du nucléaire.

"Nous sommes vigilants, voire inquiets, conclue Christophe Regnard, car si une affaire comme celle de Nancy devait se reproduire, ce serait la marque d’une reprise en main par le pouvoir. Un signal inquiétant pour la bonne santé de la démocratie." L'USM, qui a demandé audience à la ministre, n'a toujours pas été contacté par son cabinet.

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