Bras de fer entre le ministre de l’Immigration et la Cimade, qui œuvre dans les centres de rétention - combien de temps encore ?
Brice Hortefeux et la Cimade, association chargée depuis des années de l’assistance aux sans-papiers dans les centres de rétention, ont engagé en coulisse un bras de fer qui menace de tourner cette semaine à la polémique nationale.Le ministre de l’immigration a publié un appel d’offre qui confine les associations autorisées dans les centres dans le rôle de simple fournisseurs de documents et qui limite leur droit d’expression publique. La Cimade considère que de telles contraintes, posées dans un appel d’offre publié le 22 août dernier, limiteraient grandement l’accès au droit des personnes retenues dans ces centres, en attente de leur expulsion. Une réunion de la dernière chance est prévue au ministère, ce lundi après midi.Le président de la Cimade, Patrick Peugeot, déplore un nouveau « coup » visant à durcir la politique d’immigration :« Cela fait un certain temps que le ministre manifeste son insatisfaction, et se plaint d’une trop grande liberté dans notre mode d’expression. »L’appel d’offres publié le 2 septembre, qui vise à sélectionner les structures habilitées à intervenir dans les centres (et que la Cimade remporte traditionnellement, faute de concurrence) exige un devoir de neutralité et de confidentialité.Auparavant réservé aux associations, cet appel d’offre est désormais ouvert à toute « personne morale » (ce qui peut inclure par exemple des cabinets d’avocats) désireuse de candidater à une mission « d’information, en vue de l’exercice de leurs droits, des étrangers maintenus dans les CRA ».Tout est en place pour que la Cimade refuse ces conditions et soit remplacée par des structures plus dociles.L’habileté du ministrePour présenter cette réforme, Hortefeux a habilement retourné un argument avancé par la Cimade, qui avait évoqué sa difficulté à assumer, seule, sa fonction, compte tenu de l’accroissement du nombre de personnes en rétention. Présente depuis 1985 dans les CRA, elle n’était pas opposée au principe de l’ouverture et avait même réalisée un partenariat avec le Secours catholique.
(Voir la vidéo, émission Le 7/10 du 8 septembre 2008 sur France Inter.)
Pour Jérome Martinez, délégué Ile-de-France de la Cimade, Hortefeux utilise une ficelle un peu grosse :
« Avec la construction en permanence de nouveaux CRA, la mission s’est alourdie. Nous nous sommes donc prononcés pour la possibilité d’ouvrir cette mission à quelques autres associations. En revanche, certains des propos qui ont été tenus par Brice Hortefeux sur France Inter sont mensongers. Nous n’avons jamais dit que notre charge de travail était trop importante. Nous n’avons pas lancé d’appel au secours. »
Une mission limitée à une distribution de documentation ?
Aider un étranger à faire une demande d’asile, à réaliser un recours contre une obligation de quitter le territoire français, à préparer une audience devant le juge des libertés et de la détention est le lot quotidien de la Cimade :
« Les personnes sont perdues quand elles arrivent dans les CRA. Souvent, elles ne maîtrisent pas bien la langue. Sans une aide juridique, elles ne sont pas en mesure de se défendre. Quant aux avocats, ils sont la plupart du temps commis d’office. Ils ne rencontrent leurs clients qu’une vingtaine de minutes. »
Jérôme Martinez se demande si cette aide sera toujours possible à partir de janvier 2009. Dans le dernier appel d’offres remporté par la Cimade, il était question de mission « d’information et d’aide à l’exercice des droits des étrangers », expression que l’on retrouve mot pour mot dans un décret du 23 août. Mais l’appel d’offres du 2 septembre 2008 ne parle que « d’information en vue de l’exercice de leurs droits »…
Dans le cahier des clauses techniques de cet appel d’offres, il est précisé que les titulaires doivent assurer des permanences et mettre à la disposition des étrangers des documents d’information. Mais pas de précisions sur la possibilité ou non de réaliser des recours contre des décisions administratives.
Jérôme Martinez dénonce « un énorme retour en arrière pour les droits des étrangers » et revient sur le contexte dans lequel ces textes ont été adoptés :
« Si l’objectif visé par le gouvernement est d’accélérer les reconduites à la frontière des personnes, une des possibilités est de réduire le nombre de recours contre des décisions administratives. En juillet, le rapport de la commission Mazeaud a mis l’accent sur la nécessité de “remédier à l’encombrement des tribunaux” par le contentieux des étrangers. »
Rue89 a contacté le ministère de l’Immigration pour éclaircir ce point, mais celui-ci n’a pas donné suite à notre demande d’interview.
Mot d’ordre : discrétion
Autres points très inquiétants selon la Cimade : le devoir de neutralité et de confidentialité. L’appel d’offres prévoit que « le titulaire s’engage à respecter une stricte neutralité au regard des situations individuelles rencontrées, que ce soit dans ses publications, ses communications publiques(…) » Et en cas de non respect de la neutralité, « l’administration peut résilier le marché sans indemnité ». Le titulaire doit également « faire preuve de discrétion » et s’engage à ne pas divulguer « des faits ou des informations sur des situations individuelles ».
La Cimade y voit une interdiction de fait de « la fonction fondamentale de témoignage » dans les CRA. En effet, chaque année cette association dresse, dans un rapport, l’état des lieux des conditions d’accueil dans les CRA. Réaction de Jérôme Martinez :
« C’est un recul plus de vingt ans en arrière. Ce ne serait vraiment pas dans l’intérêt des pouvoirs publics d’interdire ce regard extérieur. Tout le monde pourrait alors dire que les CRA sont des zones de non droit, puisqu’il serait impossible de savoir ce qu’il s’y passe. De plus, la transparence permet de limiter les excès des policiers. »
Interviewé sur France Inter par Nicolas Demorand, dans l’émission Le 7/10 du 8 septembre 2008, à la question : « les associations n’auront plus le droit de faire des rapports du type de celui de la Cimade ? » , Brice Hortefeux a répondu : « ça, on le verra dans l’attribution ».
Les personnes morales ont jusqu’au 22 octobre pour répondre à l’appel d’offres.
La perte d’un vision générale de la situation dans les centres de rétention
Dernier point de désaccord : l’appel d’offres prévoit une répartition des vingt-deux CRA en huit lots. D’après la Cimade, qui était d’accord pour envisager une collaboration entre deux ou trois associations de défense des droits des personnes, « ce démantèlement va conduire à une perte de vision générale de la situation dans les centres de rétention ».
Si le ministre maintient ses exigences, il est probable que la Cimade renonce à candidater, malgré l’énorme expérience qu’elle a acquise depuis près d’un quart de siècle. France Terre d’Asile attend de connaître la position de cette dernière pour répondre ou non à l’appel d’offre.
La Croix Rouge a renoncé. Le Secours catholique souhaite obtenir des renseignements sur le devoir de neutralité et de confidentialité, avant de se prononcer. L’Ordre de Malte veut aussi des précisions, mais affirme « avoir envie d’y aller ». Quant à Forum réfugiés, il compte poser sa candidature.
Par Caroline Fleuriot betapolitique
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