27/07/2007

Cafouillage et rapport de force a Lille, des vies sont en jeu quand même...

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La grève de la faim, ultime espoir des clandestins de Lille
Le 15 juin, 25 sans-papiers cessaient de s’alimenter au centre de rétention.
Par Haydée Sabéran
QUOTIDIEN : vendredi 27 juillet 2007/LIBERATION
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Abulaï (1), 23 ans, ivoirien, dit qu’il est en grève de la faim depuis quarante-deux jours. Il s’est installé avec une centaine d’autres sans-papiers sur l’herbe, dans la cour de la Bourse du travail à Lille. Il a le sourire rare. Il mange vingt morceaux de sucre par jour, et boit du thé, trois litres d’eau. «Parfois, je vomis l’eau.»
Le comité des sans-papiers du Nord (CSP) pense qu’ils sont une centaine en grève de la faim. Sans certitude. Certains se prétendent en grève, dans l’espoir d’une régularisation. La grève, déclenchée contre l’avis d’une partie du CSP dans un centre de rétention le 15 juin par 25 personnes, s’est poursuivie à domicile.
Le préfet du Nord, Daniel Canépa, lui, pense qu’ils sont entre «cinq et dix grévistes, dans un état de souffrance». Il ajoute : « Ce sont ceux-là qui m’inquiètent.» Il souhaite examiner leur dossier «sans attendre, de la manière la plus ouverte». Le CSP lui a fait parvenir 18 noms, qui ont des attaches en France, des perspectives de travail, donnent des gages d’intégration, sont en danger dans leur pays. Ils seront reçus lundi et mardi. Hier, les associations de soutien devaient encore lui remettre une liste.
Agacement. Pourquoi la grève ? Le ton est monté avant la présidentielle. A l’époque, les occupations de la fac de droit, du Medef, d’une mairie UMP, manœuvres classiques à Lille en période électorale, agacent le préfet. Arrestations musclées, rétentions. Trois sans-papiers sont même dans l’avion pour l’Algérie quand un juge casse un arrêté de reconduite à la frontière. Selon Roland Diagne, porte-parole du CSP, certains, régularisés depuis un an, n’ont toujours aucun papier, d’autres doivent fournir plusieurs fois les mêmes documents. Roseline Tiset, de la Ligue des droits de l’homme à Lille, pense que la colère vient de «retards incompréhensibles dans l’examen des dossiers» et «d’arrestations répétées qui créent un climat de panique, et certains n’osent pas sortir de chez eux, même pour venir nous voir». Le préfet hausse les épaules. «Les services n’ont pas l’habitude de réclamer des papiers par plaisir.» Il ajoute que la peur d’être arrêté n’empêche pas certains de manifester devant ses fenêtres. «Ce n’est pas parce que certains exercent un chantage qu’on va changer les lois de la République.» Mais à Lille, les grèves de la faim ont toujours abouti à des régularisations, immédiates, ou différées. Abulaï est l’un des premiers grévistes. Sans-papiers depuis trois ans. Il avait 20 ans quand il est descendu d’un bateau après un an d’errance.
«Tu pars». «Je travaillais à Abidjan quand la guerre a commencé à Bouaké, la ville de mes parents.» Il les retrouve morts, «tués par les rebelles». Son frère est chez un guérisseur, tabassé. «Il est décédé dans mes bras.» A pied sur le chemin d’Abidjan, il croise des hommes cagoulés. «Ils m’ont frappé à coups de fusil et laissé sur la route, un genou cassé.» «A Abidjan, la boutique de mon patron libanais avait été vidée. Quand il a quitté le pays avec sa femme et ses enfants, il m’a donné de l’argent pour partir en camion au Mali. Puis, j’ai négocié jusqu’à Agadès, chez les Touaregs du Niger. J’étais fatigué, j’avais froid. Les Touaregs nous ont emmenés à Tamanrasset, en Algérie. J’ai travaillé quelques mois aux champs. J’ai pris le bus jusqu’à Alger. Je voulais aller en Europe. Un restaurateur m’a dit: Travaille avec moi d’abord. J’ai fait la plonge six mois. Un jour, il m’a annoncé: Tu pars. On m’a donné une tenue de cuisinier. Dans les cuisines du bateau, on m’a dit si on te demande qui tu es, tu travailles avec nous .» En France, le statut de réfugié lui a été refusé. «Quand je pense à la Côte- d’Ivoire, le passé, mes parents, j’ai des problèmes dans ma tête. J’essaie de me battre pour mon intégration. J’ai des amis français. J’ai appris à lire, écrire. Je suis bénévole dans des associations. Je ne travaille pas au noir, j’ai peur d’être arrêté. Je suis nourri par mes amis.»
Il a été convoqué pour un entretien à la préfecture fin mars. «Ils m’avaient dit que j’aurais des nouvelles dans les deux mois.» Aucune nouvelle, assure-t-il. Sauf de la police qui l’a arrêté. Abulaï a démarré sa grève de la faim au centre de rétention. Il doit sa libération au juge des libertés. Avec vingt kilos en moins, à cause de son jeûne.
(1) Le prénom a été modifié.

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