Marcel Boiteux, président d’honneur d’EDF, s’exprimait récemment sur le processus de privatisation de l’entreprise qu’il dirigeait autrefois : "Il ne s’agit plus d’ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour permettre la concurrence." (Revue Futuribles de juin 2007) (1)
Ce paradoxe apparent nous met face à un des problèmes majeurs que soulève la question de la privatisation de cette entreprise pas comme les autres, qui connaît aujourd’hui son ouverture officielle.
Le problème a été déjà analysé sur Agoravox, notamment par Forest Ent, mais il serait bon aujourd’hui d’y revenir un peu, le processus de privatisation étant enclenché. Mon but est limité, m’exprimant comme citoyen de base, consommateur d’énergie, et non comme expert... Je veux seulement souligner les grands points qui me paraissent faire problème, qui sont au cœur des débats d’aujourd’hui et qui n’ont pas fini de hanter ceux de demain :
- Si on fait un bilan de l’ouverture de la concurrence, on constate que, quel que soit le pays, les prix du marché se sont envolés : 39 % en Espagne ; 49 % en Allemagne, 67 % en Finlande, 77 % en Suède, 81 % au Royaume-Uni, 92 % au Danemark... En France, les entreprises qui ont choisi de sortir du marché public ont subi une augmentation moyenne de 76 %, les tarifs EDF restant relativement stables. Situation pour le moins paradoxale : l’ouverture au privé devait faire baisser les prix...
- L’ouverture à la concurrence pousse au sous-investissement. Investir dans les services en réseaux coûte cher. Il faut le faire là où le retour sur investissement prend du temps, beaucoup de temps... Cela n’est pas compatible avec la logique des marchés financiers, qui n’opèrent qu’à court terme. Ce qu’analysent lucidement Marcel Boiteux, ainsi que l’économiste Fitoussi. La volatilité des prix sur le marché de l’électricité et l’absence de visibilité sur leur évolution renforcent cette tendance au sous-investissement qui produit inévitablement des risques grandissants de ruptures d’approvisionnement des usagers
- De plus, l’électricité ne peut se stocker. L’ajustement constant de l’offre à la demande est un équilibre qui est déjà difficile à assurer pour un seul opérateur. Si on multiplie les intervenants, surtout avec leurs objectifs de rentabilité immédiate, on peut se demander comment cela pourra être gèrable (voir l’exemple californien).
-Le transport de l’électricité ne se fait pas sans pertes importantes. Quel sens cela a-t-il de produire de l’électricité dans un pays pour aller le revendre très loin de là ? N’est-il pas surréaliste de parler d’un "grand marché européen de l’électricité" ? Et plus les réseaux sont interconnectés, plus les risques de dysfonctionnement peuvent augmenter (voir les pannes géantes de novembre 2006 en Europe).
- Au moment où les problèmes du réchauffement climatique nous obligent à des choix fondamentaux en matière énergétique, à des orientations nouvelles, la concurrence n’est certainement pas le meilleur moyen de prendre les bonnes décisions pour l’avenir. La sobriété énergétique s’impose. Or la libéralisation n’est pas compatible avec des choix judicieux dans ce domaine. Aucune entreprise, rivée sur son chiffre d’affaires, n’a intérêt à ce que la consommation diminue. Elle incite donc au gaspillage.
- Des problèmes de sécurité risquent de se poser, car les marchés vont avoir tendance à prolonger au-delà du raisonnable la durée de vie des centrales nucléaires (au-delà de 2050 pour les plus récentes). On peut redouter aussi une réduction des frais de maintenance, au nom de la réduction des coûts, la masse salariale servant de variable d’ajustement.
Il apparait donc que l’électricité est un domaine qui semble échapper à la théorie libérale, car la concurrence n’y est pas totale. Il n’y a qu’un seul réseau de transport pour plusieurs producteurs. RTT doit gérer l’ensemble en ajustant en permanence l’offre et la demande d’un produit qui a la particularité d’être non stockable. Comme dit Marcel Boiteux « l’électricité est un cas extrême, pour ne pas dire un cas d’école, des exceptions à la théorie libérale. ». De plus, les nouveaux défis qui nous attendent en matière d’investissement exigent une stratégie industrielle cohérente, des choix politiques à long terme ne sont pas compatibles avec une vision étroitement libérale.
L’ouverture européenne a défavorisé les consommateurs français. Le consommateur allemand bénéficie du nucléaire français, mais le consommateur français paie le prix plus élevé de l’électricité produite par les centrales allemandes au charbon, plus onéreuses. Les prix risquent de monter encore rapidement, « certains producteurs trouvent un intérêt stratégique à demeurer en sous-capacité chronique : les prix monteront sur le marché et ils seront en quelque sorte récompensés de ne pas avoir investi » remarquent
des spécialistes de RTE, dans un ouvrage : "Les Réseaux électriques au cœur de la civilisation industrielle ".
Certes l’Etat doit garder au moins 70 % du capital d’EDF. Mais la partie cessible vaut aujourd’hui 23 milliards d’euros Comment l’Etat résistera -t-il à ne pas céder de nouveaux actifs ? N.Sarkozy ne l’avait pas exclu pendant sa campagne électorale...
http://www.reseau-ipam.org/aitec/colloque/documents/jeanmarcelmoulin.pdf
http://forum.alta.bz/kikoi2007/Programme-de-Francois-Bayrou/edf-gdf-sujet_31_1.htm
http://www.appeldes200.net/imprimer.php3 ?id_article=1156
http://www.dossiersdunet.com/spip.php ?article645
http://www.dossiersdunet.com/rubrique63.html
http://sudenergieedf.free.fr/sections/EDF/CR/ex%E9g%E8se.htm
par ZEN
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