LEMONDE.FR | 13.09.07 | 20h37 • Mis à jour le 13.09.07 | 20h42
Après celui sur le recours aux test ADN dans le cadre du regroupement familial, un nouvel amendement au projet de loi sur l'immigration, adopté jeudi 13 septembre par la commission des lois de l'Assemblée nationale, pourrait bien à son tour faire débat. Les députés se sont en effet attaqués à un vieux tabou de la société française, la statistique ethnique.
L'article 8 de la loi Informatique et libertés de 1978 interdit "de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques". Mais deux députés UMP, Michèle Tabarot (Alpes-Maritimes) et Sébastien Huyghe (Nord), ont proposé jeudi, au nom de la lutte contre les discriminations, d'autoriser la collecte de ce type de données, sous certaines conditions. "Pour lutter contre les discriminations, encore faut-il pouvoir les identifier, les mesurer", ont-ils avancé, reprenant ainsi une revendication importante de collectifs comme Africagora, ou le Conseil représentatif des populations noires.
SEULEMENT POUR LA RECHERCHE
Leur amendement s'inspire des dix recommandations sur la "mesure de la diversité et la protection des données personnelles", émises en mai par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Les deux députés, tous deux par ailleurs membres de la CNIL, ont expliqué dans leur exposé que leur texte prévoit que "des données faisant directement ou indirectement apparaître les origines raciales ou ethniques des personnes pourront être recueillies pour les besoins d'études ayant pour finalité la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration". Comme le suggérait la CNIL, ces données ne pourraient pas être intégrées à des fichiers de gestion des administrations et des entreprises. Chaque individu pourra par ailleurs s'opposer à la collecte de ce type de données, dont le traitement sera soumis à autorisation de la CNIL : comme c'est déjà le cas pour toute étude délicate ayant trait à des données personnelles, la CNIL devra vérifier que ce recueil de données est justifié, que la démarche du chercheur est pertinente.
"Toute l'ambiguïté réside dans ce qu'on entend par 'données faisant apparaître les origines raciales ou ethniques'", commente Patrick Simon, chercheur à l'Institut national d'études démographiques (INED), plutôt favorable à la levée de l'interdiction. "S'il ne s'agit que de connaître le pays de naissance des parents, alors cela ne changera pas tellement la situation actuelle. Il est déjà possible de demander une autorisation spécifique à la CNIL pour ce type de requête. Mais ce sera quand même une simplification de la démarche, cela la rendra plus légitime." Patrick Simon attend avec impatience de voir comment cet amendement sera accueilli à l'Assemblée, qui examinera le projet de loi à partir du 18 septembre. "Si les députés ne précisent pas plus, alors ça permettra une interprétation plus libre, les chercheurs pourront aller plus loin dans leur requête, libre ensuite à la CNIL de les autoriser ou pas."
CRAINTES DES DÉRIVES
Et le démographe de rappeler le sort réservé à un amendement de ce type, intégré en commission au Sénat au projet de loi sur l'égalité des chances, en 2006 : le gouvernement avait fini par le retirer. Cette fois encore, le débat promet d'être rude : jeudi matin, en commission, la socialiste George-Paul Langevin, l'une des rares députées noires de l'Assemblée nationale, a jugé que cet amendement rompait avec une tradition française de prudence sur le recueil des données et pourrait donner lieu à des dérives.
Patrick Simon craint d'ailleurs que le fait qu'un tel amendement figure dans le projet de loi sur l'immigration renforce "les équivoques sur les intentions du gouvernement" et donnent du grain à moudre à ceux qui s'inquiètent de l'élaboration de telles statistiques : "Cette loi est très controversée. Beaucoup lui reprochent d'être liberticide. Ajouter une disposition pour lutter contre les discriminations dans une loi qui contient des principes que certains jugent eux-même discriminatoires, c'est embêtant." SOS Racisme a critiqué cet aspect de l'amendement dès jeudi soir :"Ses auteurs voudraient-ils signifier, peut-être de façon inconsciente, que les 'minorités visibles' ne sont pas totalement françaises?", s'est interrogé son président, Dominique Sopo.
Aline Leclerc (avec AFP)
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