14/09/2007

Procès Bellaciao, des témoignages qui chargent le plaignant

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L’effet boomerang de l’affaire « Bella Ciao »
Justice . La Société des chantiers navals de l’Atlantique sort ébranlée du procès qu’elle avait intenté contre un site Internet militant

Saint-Nazaire(Loire-Atlantique),
envoyé spécial./ L'HUMANITE

Atypique, « le procès du site Bella ciao », qui se tenait mardi à Saint-Nazaire, l’a été à bien des égards. Il opposait la Société des chantiers navals à Roberto Ferrario, accusé d’avoir diffusé sur son site un texte de l’USM-CGT dénonçant, en des termes jugés diffamatoires par la direction, le sort de treize ouvriers polonais travaillant sur le chantier . Atypique d’abord parce qu’il s’aventure sur un terrain peu défriché, celui des nouvelles technologies de l’information, domaine où le législateur a un train de retard. Question : l’animateur d’un forum Internet peut-il être tenu pour responsable du contenu d’un message posté en temps réel sur son site ? Si la réponse est oui, cela équivaut, comme le fait remarquer au tribunal Me William Bourdon, avocat de la défense, « à rendre responsable n’importe quel animateur télé d’un propos déplacé tenu en direct par l’un de ses invités »… Atypique ensuite parce que ce procès se tient à mi-chemin entre liberté de la presse et liberté syndicale.

Jean-François Téaldi, responsable du Syndicat national des journalistes CGT, s’avoue inquiet pour « la liberté d’expression dans notre pays ». « L’incroyable dans cette affaire, nous confie-t-il, c’est qu’en cherchant un peu on constate que, tous médias confondus, l’évocation des conflits sur les chantiers fait l’objet de plus d’une centaine d’articles, parfois bien plus durs que celui de la CGT. » De son côté, cité comme témoin, André Fadda, de l’USM-CGT, égrènera à la barre une si longue liste d’infractions au Code du travail à l’endroit des travailleurs immigrés sur le site naval que la plainte en diffamation portée par la direction des chantiers fera figure d’épouvantail. « Des mallettes bourrées de billets, voilà le remède souvent choisi par la direction pour faire cesser les conflits, les travailleurs devaient prendre le liquide, sans même un bulletin de salaire », témoigne le syndicaliste. Atypique, enfin, parce qu’au gré de l’audience, du statut de victime, qui convient a priori au plaignant, la société va devoir endosser celui d’accusé.

La stratégie qui consistait à rejeter toutes les accusations au prétexte que les exactions commises étaient le fait d’entreprises sous-traitantes et ne pouvaient, en aucun cas, lui être imputées ne tiendra pas. En effet, une discrète note de la direction des chantiers envoyée aux sous-traitants, cyniquement intitulée « montage exotique », démontre qu’elle les encourageait au contraire à avoir recours massivement à de la main-d’oeuvre étrangère. Objectif : gagner 30 % en productivité, difficile à atteindre sans ouvriers étrangers prêts à travailler sept jours sur sept pour le SMIC.

Malgré la descente, sur les chantiers, de plus de quarante agents des services de l’inspection du travail, rien ne parviendra à stopper complètement des pratiques que la CGT qualifie de « banditisme patronal ou de flibusterie organisée ». Propos qui valent aujourd’hui un procès à Roberto Ferrario pour les avoir relayés sur son site. Si le président du tribunal a mis l’affaire en délibéré jusqu’au 2 octobre, on imagine mal une autre issue que la relaxe. D’autant que le plaignant avait lui-même très vite révisé ses ambitions à la baisse : de 16 000 euros réclamés au départ, on aboutira à un seul euro symbolique demandé par les Chantiers navals. Même celui-ci risque d’être difficile à obtenir…

Frédéric Durand

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