22/09/2007

Répression en Allemagne L'Etat allemand cherche de nouveaux instruments contre la gauche

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Répression en Allemagne L'Etat allemand cherche de nouveaux instruments contre la gauche

Etre intellectuel et hautement qualifié est suffisant en Allemagne pour être accusé d'être le responsable intellectuel de délits politiques. La procureure fédérale accuse deux sociologues d'être les têtes pensantes d'un groupe armé parce que les mêmes termes apparaissent dans leurs publications scientifiques et dans les communiqués de revendication. Le monde universitaire allemand et international est scandalisé.

Ingo NIEBEL - COLOGNE

L'anniversaire des attentats contre les Tours Jumelles et la récente arrestation de trois personnes suspectées de vouloir commettre un méga-attentat contre une installation militaire états-unienne en Allemagne coïncident avec une autre opération "antiterroriste" qui a contrarié le milieu universitaire allemand et international : il s'agit de l'arrestation du sociologue Andrej Holm et d'autres personnes accusées de faire partie d'un groupe ultra-gauche qui a commis diverses actions de sabotage depuis 2001.

Le cas Holm est important pour deux raisons : premièrement parce qu'il est la suite des actions policières contre l'éclectique gauche allemande, qui a culminé avec des perquisitions et des arrestations peu avant le contre-sommet du G8 en juin. La seconde raison est que l'Etat allemand, par le biais de sa procureure fédérale, brandit le paragraphe 129a du Code pénal pour criminaliser ce secteur de la gauche allemande qui, grâce à sa formation universitaire et scientifique, étudie les problèmes du pays à la recherche de solutions qui ne correspondent pas au canon néolibéral.

Le paragraphe 129a punit la formation d'une "association terroriste". Le terme allemand équivaut en castillan à celui de "bande terroriste" [et en français à celui de "bande armée en vue d'une entreprise terroriste", NdT]. Concrètement, l'Etat allemand est en train d'étudier si l'actuelle législation est suffisante pour poursuivre ces groupes et personnes qui, par la science, s'opposent à l'installation et la consolidation du système néolibéral. Par exemple, il utilise le paragraphe 129a en relation avec la responsabilité intellectuelle d'une des actions de sabotage. Cette procédure cadre avec la nouvelle politique policière du ministre de l'Intérieur Wolfgang Schäuble (CDU) qui, entre autres, prévoit la prison préventive tant pour les "terroristes" présumés que pour les manifestants violents, l'espionnage des ordinateurs et le regroupement des services de sécurité.

Ces derniers ont un grave problème qui les poursuit depuis l'époque de l'aujourd'hui dissoute Fraction Armée Rouge (RAF) : dans beaucoup de cas ils n'ont pas pu identifier les auteurs des crimes. La justice a opté pour condamner collectivement les personnes soupçonnées parce qu'elle ne pouvait pas déterminer la culpabilité individuelle de chacun. Maintenant elle est en train de voir si cette pratique est applicable avec un instrument légal pour des groupes qui commettent des sabotages à des fins politiques.

Militante Gruppe

Depuis 2001, le Militante Gruppe (M.G.) agit à Berlin et dans l'Etat fédéral voisin du Brandebourg. Le M.G. est considéré comme étant une organisation armée de gauche. Le groupe considère que ses attentats font partie de la "lutte révolutionnaire" se basant sur le "principe communiste, social-révolutionnaire et anti-impérialiste". Cela fait six ans qu'il a commis sa première action, en envoyant des munitions à des politiques et des dirigeants de l'économie ou de l'industrie allemande pour protester contre la manière dont ils étaient en train de procéder à l'indemnisation des travailleurs forcés du nazisme. Peu après, le M.G. a choisi de centrer ses actions sur des attaques contre des voitures.

Ainsi, Berlin et ses alentours ont commencé à connaître le phénomène de la "mort des voitures de luxe". Depuis lors, quelques 90 véhicules ont été brûlés dans la capitale allemande. Le système est toujours le même : une personne inconnue place une cigarette allumée sur un allumeur sur la partie supérieure d'une roue. Quelques minutes après, l'engin explose et incendie la voiture. Le M.G. a assumé la responsabilité des actions.

En 2003, l'hebdomadaire conservateur "Focus" a publié les noms de quatre membres présumés du M.G., en disant que la police judiciaire fédérale (BKA) les avait identifiés comme tels. Les quatre personnes accusées ont poursuivis "Focus" et d'autres médias en justice. Après ces révélations, il n'y eut ni perquisitions ni arrestations ni même de poursuites lancées contre eux. Même si le BKA et le procureur fédéral continuent leur enquête.

"Le plan film"

Fin juillet, les agents ont décidé d'agir quand, dans le Brandebourg, la police est parvenu à éviter que trois camions des Forces armées allemandes, la Bundeswehr, ne soient détruits en désactivant les engins et en arrêtant trois suspects. Selon ce qu'a publié le comité de solidarité, la police les a brutalement arrêtés dans le cadre du "plan film", les blessant au moment de l'action. Après, les agents leur ont mis des sacs sur la tête et leur ont pris leurs habits contre une combinaison de plastique. Selon cette source, c'est le même traitement qu'a subi le sociologue Holm, qui a été arrêté sous l'accusation de faire partie intégrante d'une "association terroriste". Les quatre prisonniers ont été emmenés en hélicoptère au Tribunal fédéral de Karlsruhe, fortement surveillés par des policiers spéciaux, et en présence des médias. Début août, les juges ont décrété la prison préventive sous le régime de l'isolement, bien qu'aucun des quatre arrêtés n'aient d'antécédents judiciaires et qu'il était possible de les accuser tout au plus d'une tentative manquée d'incendie volontaire, mais la supposée appartenance à une "association terroriste" a compliqué la situation.

La mise-en-scène de l'arrestation des quatre avait pour but de cacher la fragilité des indices qui pesaient contre le sociologue : la présomption selon laquelle Holm pourrait être la tête pensante de M.G. se base sur le fait que le groupe et le scientifique ont utilisé la même terminologie sociologique dans leurs écrits respectifs.

Concrètement, il s'agit du terme "gentrification". Ce terme a pour but de décrire et d'étudier comment les quartiers d'une ville changent d'habitants si, par exemple, ils sont l'objet de la spéculation immobilière. Le travail de Holm, 36 ans, marié et père d'un enfant, était axé sur ce type d'études.

A Berlin, il ne restait pas enfermé dans son bureau de l'Université Humboldt mais aidait aussi les locataires menacés par la privatisation des logements publics et par la nouvelle législation sociale qui oblige les chômeurs à chercher un logement moins cher. Holm a aussi participé activement au contre-sommet du G8 de juin dernier en Allemagne.

Le Parquet accuse Holm et un autre universitaire arrêté de faire partie de l'"association terroriste" M.G. parce que dans les documents respectifs apparaissent les mêmes termes et phrases. La police a découvert cette coïncidence sur Google, en procédant par la recherche de mots précis. Ils ont surveillé Andrej Holm pendant plus d'un an, le filant lui et ses contacts, et étudiant la manière dont il rentrait en contact avec ses amis. L'autre preuve qui "pèse" contre lui est le fait qu'il s'est réuni avec l'une des autres personnes arrêtées sans avoir élucidé son mobile. Les procureurs considèrent la rencontre comme étant "conspirative". En plus, l'accusation le considère coupable parce qu'il est "intellectuellement capable d'écrire les textes sophistiqués du groupe militant" et parce qu'en tant que "collaborateur employé dans un centre de recherche, il a à sa disposition des bibliothèques qu'il peut utiliser de manière inaperçue pour pouvoir réaliser des recherches qui lui permettent de préparer les textes pour le Militante Gruppe". La procureure n'envisage pas la possibilité de ce que le M.G. ait pu s'inspirer des textes d'Holm pour rédiger ses communiqués de revendication.

Fortes réactions

L'arrestation du sociologue et les arguments de la procureure ont entraîné de fortes réactions dans le monde universitaire tant au niveau national qu'international. Le 22 août, l'avocate de Holm, Christina Clemm, a fait savoir que son client avait été mis en liberté conditionnelle après avoir payé une caution. Le Tribunal fédéral de Karlsruhe a reporté sa décision définitive à début octobre.

Quelques jours après sa remise en liberté, la BKA s'est de nouveau présentée au domicile de Holm. Elle cherchait un sac noir avec des documents. Dans un entretien au journal "Taz", Clemm a expliqué qu'il s'agissait de la documentation sur le cas que son client avait en prison et que donc logiquement la procureure fédérale avait la même. La perquisition a été réalisée sans mandat, dit Clemm, qui la relie à la mauvaise situation dans laquelle se trouvait la procureure générale Monika Harms avant la décision du tribunal de prolonger ou de révoquer la liberté conditionnelle de Holm. Fin août, l'avocate a informé que le tribunal n'allait pas statuer sur le recours de la procureure contre la liberté conditionnelle consentie à son client avant le 5 octobre. Les juges fédéraux ont besoin de cinq semaines pour délibérer sur les conditions déterminant quand une personne est suspecte de faire partie d'une "association terroriste".

D'un autre côté, il leur a été demandé quels facteurs font d'un groupe une "association terroriste" selon l'article 129a. Au final, c'est un débat sur le paragraphe 129a du Code pénal qui pénalise la formation d'une dite "association terroriste" qui a été lancé. Le Parlement de Bonn l'a approuvé en 1976 pour combattre la lutte armée de la RAF et d'autres groupes. Le 129a poursuit tant les fondateurs que les membres d'une "association terroriste" ainsi que ses sympathisants. Cependant, l'Etat ne spécifie pas ce qu'est le "terrorisme". De plus, la procureure n'a pas à présenter de preuves de l'implication concrète d'une personne dans un délit si l'accusation repose sur le 129a.

Ainsi, on peut la rendre responsable de toutes les actions commises par l'"association terroriste". Jusqu'à 2001, le 129a prévoyait que pour être appliqué il était nécessaire que ladite organisation agisse en Allemagne. Depuis le 11 Septembre, le paragraphe a été modifié de telle manière que maintenant il peut être appliqué à des citoyens allemands pour les accuser d'appartenance à ETA, par exemple. Il y a quelques années, l'avocat et défenseur des Droits civiques, Rolf Gössner, disait du paragraphe : "L'article 129a est plus qu'une simple loi de droit pénal".

Quand le sociologue Holm a retrouvé sa liberté, le nouveau parti socialiste, Die Linke, a exigé l'abolition de l'article 129a du Code pénal.

Au nom de l'exécutif national, Katina Schubert et Elke Breitenbach ont dénoncé le fait que l'affrontement intellectuel autour de thèmes urbanistiques et socialement chauds était relégué à un "soupçon de terrorisme". Les deux politiques considèrent que l'article 129a sert à effrayer et à intimider. Le député des Verts, Christian Ströbele, a fait état de sa position par rapport au cas Holm sur sa page Internet. L'avocat se montre "horrifié et consterné après avoir lu l'argumentation du mandat d'arrêt. Il dit que le paragraphe 129a ne peut être appliqué parce que, selon sa nouvelle version, il implique que la République fédérale d'Allemagne doit avoir subi un dommage considérable.

Et il ajoute : "L'argumentation implique que la faute d'avoir certains contacts et la capacité intellectuelle et scientifique de rédiger un texte sont suffisants pour penser qu'il existe un soupçon concret et pour produire un mandat d'arrêt". Ströbele pense que cette vision n'est pas compatible avec l'Etat de droit. Les Verts veulent attendre d'abord la sentence du Tribunal fédéral de Karlsruhe avant d'entreprendre des initiatives parlementaires contre le 129a.

Dévier l'attention

Maintenant, avec la découverte d'une présumée cellule d'Al Qaïda en Allemagne, le gouvernement d'Angela Merkel tente de dévier l'attention de l'opinion publique de l'épineux cas Holm vers le "terrorisme islamique". Ainsi, il lui sera plus facile de mettre en place le nouveau "catalogue de sécurité" de son ministre de l'Intérieur Schäuble. Celui-ci servira de cadre général pour traquer légalement et policièrement la gauche, qui, malgré ses divisions internes, tôt ou tard bénéficiera politiquement des contradictions que le capitalisme néolibéral est en train de produire dans ce pays, par exemple par la privatisation des logements publics, dénoncée par Holm.

Le monde universitaire se voit menacé

Une semaine après l'arrestation d'Andrej Holm, une quarantaine de personnes, majoritairement issues du monde universitaire, a envoyé une lettre ouverte à la procureure fédérale Monika Harms. Les auteurs exigeaient la remise en liberté du détenu et critiquaient l'argumentation du Parquet, disant que "de tels arguments faisaient de toute activité scientifique quelque chose de potentiellement criminel". Ils ajoutaient que l'argumentation de la procureure fédérale constituait "une menace directe pour tous ceux qui pratiquent une science, le journalisme ou tout autre art critique".

En plus ils exigeaient qu'une "recherche critique, reliée à l'engagement social et politique, ne doit pas être considérée comme un délit terroriste". Fin août, la présidente du Centre scientifique de Berlin, Jutta Allmendinger, le directeur de l'Institut culturel NRW, Claus Leggewie, et le président de la Société allemande de sociologie, Hans Georg Soeffner, ont signé cette déclaration. Le trio refuse catégoriquement "la construction d'une autorité intellectuelle" et rappelle que "la science se base sur la liberté de la recherche et de l'enseignement en plus de l'indépendance intellectuelle de ceux qui exercent la profession".

Les participants au Congrès annuel des sociologues américains à New-York ont répondu à l'arrestation de leur homologue allemand : "Nous refusons catégoriquement l'incroyable accusation selon laquelle l'activité scientifique et l'engagement politique sont envisagés comme coresponsabilité intellectuelle dans une supposée association terroriste".

Le cas Holm est devenu un 18/98 de plus en Europe

L'action de l'Etat allemand contre des universitaires critiques et en plus politiquement actifs est devenue un point supplémentaire d'une longue liste d'opérations similaires contre la gauche qui se sont produites dans l'Union européenne. Mis à part le procès 18/98 que l'Etat espagnol maintien ouvert contre des dizaines de citoyens et organisations d'Euskal Herria [Pays Basque, NdT], d'autres cas similaires se sont produits. En relation avec le récent cas Holm, la journaliste Emmanuelle Piriot en rappelle quelques-uns qui concernent précisément les mouvements sociaux.

En Grande-Bretagne, il y a le cas des activistes écologistes qui s'étaient mobilisés contre la construction d'un cinquième terminal à l'aéroport d'Heathrow. Les autorités ont démontré comment les mesures antiterroristes servaient à mettre un frein aux protestations politiques. Dans l'Etat français, les professeurs et parents du Réseau éducation sans frontières (RESF), qui se consacre à protéger des enfants scolarisés des expulsions dont ils pourraient être victimes du fait que leurs parents sont des immigrants "illégaux", sont poursuivis, contrôlés et criminalisés.

Récemment, le journal polonais "Gazeta Wyborcza" informait que c'est le service antiterroriste de la préfecture de Varsovie qui a envoyé l'ordre d'intervention contre la grève des infirmières à tous les postes de police. Il ordonnait à toutes les polices de recueillir toute information au sujet des grévistes et des personnes qui les soutenaient. Cet espionnage était justifié en ce qu'il prétendait protéger les infirmières d'infiltration de la part de personnes violentes et/ou anarchistes.

Source : Gara, 17 septembre 2007 Traduction : Mari (Lien vers l'article en castillan :

http://www.gara.net/paperezkoa/20070917/38635/es/El-Estado-aleman-busca-nuevos-instrumentos-contra-izquierda)

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