02/10/2007

Régimes spéciaux: touchez pas au grisbi des politiques

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Parlementaires: touche pas à mon régime spécial
Par Rue89 19H48 02/10/2007

Oubli de taille dans la réforme des régimes de retraite annoncée par Xavier Bertrand: députés et sénateurs sont épargnés.

Le fronton de l'Assemblée nationale, en 2006 (Charles Platiau/Reuters)

Les heureux gagnants de la réforme des régimes spéciaux sont désormais connus. Outre les marins et les mineurs, dont l'espérance de vie est plus faible que les autres salariés, deux catégories vont échapper aux fourches caudines du ministre du Travail: les députés et les sénateurs!

Xavier Bertrand en personne s'est fendu d'un discours mardi matin devant le Sénat, pour présenter sa grande réforme. Après une dizaine de jours de concertation avec les syndicats, le ministre du Travail a clairement annoncé la couleur. Ce sera une réforme par décrets, avant la fin du mois de décembre. Explication du ministre:

"Les régimes spéciaux doivent faire face aux mêmes enjeux démographiques et financiers qui ont conduit à ajuster les paramètres des retraites des salariés du secteur privé, des indépendants, des agriculteurs ou plus récemment des fonctionnaires."

Sont concernées, toutes les professions affiliées aux régimes spéciaux: les cheminots de la SNCF, les conducteurs de la RATP, dont le régime remonte à 1946, les gaziers, les électriciens ou encore les employés de l'Opéra de Paris qui, eux, sont protégés par un régime royal de 1698. En tout, souligne Xavier Bertrand, cela représente "1 100 000 retraités pour 500 000 cotisants". Le bon équilibre de l'ensemble représente pour l'Etat une dépense annuelle d'environ 5 milliards d'euros.

Une réforme en douceur, mais pas pour tout le monde

Dans l'ensemble, les nouveaux régimes de ces professions seront alignés sur le statut de la fonction publique: quarante ans de cotisation, indexation des pensions sur les prix et non sur les salaires et fin du système des "retraites-couperets", automatiques, souvent à 50 ans. Tout cela, assure le ministre, se fera progressivement...

"Ce ne sera pas une réforme-couperet, et une chose est claire: nous n'harmoniserons pas les durées de cotisation du jour au lendemain, pas plus que nous n'introduirons brutalement un mécanisme de décote qui bouleverserait les projets de vie des agents de ces entreprises. Nous ne l'avons pas fait pour les autres régimes, avec les réformes précédentes de 1993 et 2003. Nous ne le ferons pas davantage pour les régimes spéciaux."

Les députés et les sénateurs, eux, n'ont pas trop de souci à se faire. Bénéficiaires d'un régime de retraites extrêmement avantageux où une année cotisée égale deux années du régime normal, ils ont droit à des retraites tout à fait confortables: 1500 euros pour un mandat, 3000 euros pour deux mandats.

Comme l'expliquent nos confrères du Figaro, cela pouvait se justifier quand l'activité était temporaire. Mais depuis que la politique est devenue un métier... Sans compter que les fonctionnaires devenus parlementaires peuvent continuer à cotiser pour les caisses de leur corps d'origine. Ou comment se constituer une double retraite! A titre d'exemple, pour 2006, la caisse de retraite de l'Assemblée nationale a versé plus de 34 millions d'euros sous forme de pensions.

Or, les parlementaires sont les seuls à pouvoir modifier leur propre système. Et ce, pour une raison simple: toute modification de ce régime très spécial passe par un changement des règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat. La dernière réforme date de 2003, mais n'a fait subir aucun changement profond à ce régime spécial. Et pour l'instant, aucun autre projet de réforme n'est en cours dans les deux hémicycles.

Les députés pas choqués... quand ils connaissent leur statut

Et visiblement, le gouvernement a oublié ce détail. Comme les députés que nous avons interrogés qui, pour la plupart, ne connaissent pas leur régime. Pourtant vice-président de l'Assemblée nationale, le député PS Jean-Marie Le Guen avoue "ne pas connaître le dossier". Les socialistes ne semblent pas particulièrement choqués: Manuel Valls considère que "ce n'est pas les 800 parlementaires qui mettent en danger le régime général des retraites" et Philippe Martin déplore surtout que rien ne soit entrepris à l'encontre des "retraites chapeau des grands patrons du CAC 40".

A droite, en revanche, on affiche de la bonne volonté: "Le régime des parlementaires doit aussi passer à la moulinette", estime Yves Jégo. Comme Nicolas Dupont-Aignan, pour qui "il ne doit pas y avoir de privilèges dans notre République":

De leur côté, les syndicats ne sont pas très préoccupés par cette question. "On est bien sûr pour une égalité entre les différents régimes, souligne Christian Roche, le conseiller fédéral de la CGT sur cette question, mais ça ne veut pas dire alignement par le bas. Nous, on souhaite donner un socle de garanties commun pour tous les salariés." Et la centrale syndicale de s'en prendre... aux agriculteurs. Christian Roche:

"Les régimes spéciaux sont plutôt contributeurs au système de retraite. Qui reçoit? Les régimes alignés, comme par exemple celui des agriculteurs. Six milliards d'euros vont vers les exploitants agricoles, alors que leur cotisation est très basse, c'est ce que dit le dernier rapport de la Cour des comptes. Evidemment, politiquement, c'est délicat."

Le 18 octobre, le gouvernement et Xavier Bertrand sauront s'ils ont joué finement la partie. Cheminots, gaziers, électriciens et autres bénéficiaires des régimes spéciaux sont appelés à faire une journée de grève. Sans les fonctionnaires qui, eux, pourraient se mobiliser en novembre.

Julien Martin et David Servenay



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