Le Triangle noir, un appel d’écrivains italiens contre la dérive fasciste et raciste de l’Italie
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LE TRIANGLE NOIR
Sur cette affaire s’est déclenchée une honteuse criminalisation de peuples entiers : tous les Roumains sont des Roms, tous les Roms sont des gitans, des voleurs et des assassins, tous les voleurs et les assassins doivent être expulsés d’Italie. Vieux et nouveaux politiciens, de droite et de gauche, ont rivalisé pour savoir à qui hurlait le plus fort, en dénonçant l’urgence criminalité. Une urgence qui, à parcourir les données contenues dans le Rapport sur la Criminalité (1993-2006), n’existe pas : les meurtres et les délits sont, aujourd’hui, au plus bas niveau de la dernière décennie, tandis que sont en forte augmentation les crimes commis entre les murs du domicile ou pour raisons personnelles.
Le rapport Eures-Ansa 2005, L’homicide volontaire en Italie et l’enquête Istat 2007 disent qu’un meurtre sur quatre survient à la maison ; 70% des victimes sont des femmes ; 31,9% des femmes entre 16 et 70 ans ont subi des violences physiques ou sexuelles au cours de leur vie, et le responsable des agressions physiques ou du viol est dans 70% des cas le mari ou le compagnon : la famille tue plus que la mafia, les rues sont souvent beaucoup moins dangereuses que l’intérieur du foyer. A l’été 2006, quand Hina, jeune Pakistanaise de vingt ans, fut égorgée par son père et des parents, politiciens et médias s’adonnèrent à une comparaison des cultures, soulignant que la culture occidentale, et en particulier italienne, avait heureusement évolué pour ce qui concerne les droits des femmes. Ce n’est pas vrai : la violence contre les femmes n’est pas un héritage bestial des autres cultures, mais elle croît et s’épanouit dans la nôtre, chaque jour, dans la construction et la multiplication d’un modèle féminin qui privilégie l’aspect physique et la disponibilité sexuelle en la faisant passer pour une conquête. Au contraire, comme le témoigne le très récent rapport du World Economic Forum sur le Gender Gap, pour ce qui concerne la parité féminine au travail, dans la santé, dans les espérances de vie, dans l’influence politique, l’Italie est 84ème. Dernière dans l’Union européenne. La Roumanie est à la 47ème place.
Si tels sont les faits, qu’est-ce qui se passe?
Il se passe qu’il est plus facile de désigner un bouc émissaire collectif (aujourd’hui les Roumains, hier les musulmans, avant-hier les Albanais) plutôt que de s’occuper des vraies causes de la panique et de l’insécurité sociales provoquées par les procès de globalisation.
Il se passe qu’il est plus facile, et du point de vue de la propagande cela paie plus vite et mieux, de crier au loup et de demander des expulsions, plutôt que de mettre en oeuvre les directives européennes (comme la 43/2000) sur le droit pour les migrants à l’assistance sanitaire, au travail et au logement ; qu’il est plus facile d’envoyer les bulldozers et de priver des êtres humains de leurs maisons, plutôt que d’aller sur les lieux de travail combattre le travail au noir.
Il se passe que, sous le tapis de l’équation Roumains-délinquance, on cache la poussière de l’exploitation féroce du peuple roumain dans les chantiers, où chaque jour un ouvrier roumain est victime d’un homicide blanc ; en Roumanie, où les entrepreneurs italiens paient des salaires de famine aux travailleurs, en délocalisant la misère et l’exploitation ; dans les rues italiennes, où 30 000 femmes roumaines, dont la moitié de mineures, sont contraintes de se prostituer, sont cédées par la délinquance organisée à des clients, c’est-à-dire des violeurs, parfaitement italiens : neuf millions d’hommes italiens qui, chaque année achètent un rapport sexuel avec des esclaves étrangères, c’est quelque chose qu’on ne veut pas voir.
Il se passe que trop de politiciens ou aspirants politiciens, de ministres ou de maires jouent à l’apprenti sorcier avec des déclarations et des initiatives qui ont pour seul objectif un quart d’heure de popularité, sans se demander ce qui se passera demain, quand les haines restées sur le terrain commenceront à circuler, intoxicant encore davantage un tissu social italien déjà malade et chatouillant ce microfascisme qui est en nous et qui nous fait désirer le pouvoir et admirer les puissants : un microfascisme qui s’exprime par des mots et des gestes de rancoeur, derrière lesquels on entend, pas très loin, le bruit des bottes et des armes à feu.
Il se passe que, sur les Roumains, on est en train d’expérimenter la construction de l’ennemi absolu, comme avec les Juifs sous le nazifascisme, comme avec les Arméniens en Turquie en 1915, comme avec les Serbes, les Croates et les Bosniaques, réciproquement, dans l’ex-Yougoslavie des années 90, au nom d’une politique qui promet la sécurité en échange du renoncement aux principes de liberté, de dignité et de civilisation ; qui empêche de distinguer responsabilité individuelle et collective, effet et cause, maux et remèdes ; qui appelle au gouvernement des hommes forts et demande aux citoyens de se transformer en sujets obéissants.
Face à tout cela, nous ne pouvons rester indifférents.
Le silence n’est pas pour nous, pas plus que le renoncement au droit de critique, la démission de l’intelligence et de la raison. Aucun être humain, pour nous, est illégal.
Alessandro Bertante
Gianni Biondillo
Guido Chiesa
Girolamo Di Michele
Valerio Evangelisti
Giuseppe Genna
Helena Janeczek
Loredana Lipperini
Monica Mazzitelli
Marco Philopat
Alberto Prunetti
Stefania Scateni
Antonio Scurati
Beppe Sebaste
Lello Voce
Wu Ming
Serge Quadruppani
De : Serge Quadruppani
mercredi 14 novembre 2007
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