Les promesses de M. Sarkozy sans effet sur les exilés fiscaux
LE MONDE | 23.05.07 | 12h58 • Mis à jour le 23.05.07 | 18h35
BRUXELLES CORRESPONDANT
Avant la présidentielle, Denis Payre avait invité le Tout-Bruxelles à célébrer sa décision de retourner vivre en France. Installé en Belgique comme quelques milliers d'autres riches Français soumis à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), cet ancien "wonder boy" de la nouvelle économie, fondateur de l'éditeur de logiciels Business Objects, croyait au consensus sur le "bouclier fiscal", qui limite aujourd'hui les prélèvements sur les personnes physiques - impôt sur le revenu (IR), ISF, impôts locaux sur les résidences principales - à 60 % des revenus.
Quelques jours plus tard, François Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste, déclarait : "Je n'aime pas les riches." M. Payre a alors annulé sa décision. Avant d'y revenir après la victoire de Nicolas Sarkozy. Le président de la République s'est en effet engagé à ce que le plafond soit abaissé à 50 % et à ce que la CSG et la CRDS soient également incluses dans le calcul des prélèvements.
A ce jour, personne ne songe à l'imiter : le clan des "SDF" - les "sans difficultés financières", comme les appellent ironiquement les Belges - reste soudé. Il continuerait même de se renforcer. A Uccle, la commune du Lycée français, on compte aujourd'hui 6 700 résidents français, pour 4 500 en 1996, au moment où Alain Juppé a réformé l'ISF. Avant la présidentielle, quelques dizaines d'autres Français riches ont, par sécurité, acquis des appartements dans les communes chics de Bruxelles.
Au total, de 3 000 à 4 000 familles françaises vivraient aujourd'hui en Belgique pour des raisons fiscales, appréciant la politique d'un royaume sans ISF et qui ne taxe pas, ou peu, les plus-values, la propriété immobilière et le patrimoine mobilier dans le cadre d'une donation. Vivant souvent dans de luxueux logements, jouissant d'un certain art de vivre, disposant désormais de leur réseau et même de leur magazine, ces Français-là apprécient aussi que Paris soit à 80 minutes de TGV de la gare du Midi, et Lille à 35 minutes.
La plupart de ceux qu'a interrogés Le Monde avouent sans complexe leur refus de se réinstaller de l'autre côté de la frontière, quelles que soient les promesses de M. Sarkozy.
"Avant mon départ, je ne me suis jamais posé la question du retour, je ne me la pose pas après", explique Pierre-François Grimaldi, qui a revendu son site d'enchères en ligne iBazar à eBay et fait partie de ceux qui se sont construits une nouvelle carrière professionnelle dans leur pays d'accueil : il a créé une société dans le domaine de la photo.
"Je n'ai plus supporté de vivre à Paris, précise-t-il. J'ai donc fait le choix d'une autre capitale, sans me considérer comme un exilé de l'ISF. Disons que j'ai pris les avantages fiscaux au passage, en plus du reste."
"La fiscalité n'est jamais une raison pour quitter son pays. Sauf si elle en révèle l'état d'esprit. Et la France est agressive, jalouse, à l'égard de ceux qui ont réussi, commente l'ancien commissaire-priseur Jacques Tajan. J'ai créé 500 emplois en France, laissé à l'administration 225 millions d'euros d'impôts et de taxes diverses, en plus de 40 millions de charges sociales. Je n'ai rien reçu en contrepartie."
Anne-Marie Mitterrand, écrivaine et ex-épouse d'Olivier Mitterrand, directeur de sociétés, a, elle, acquis la nationalité belge pour mieux marquer sa détestation de "cette mentalité française qu'il faut changer, parce qu'elle est dangereuse". "La lutte des classes, le désordre, les taxes et les textes : c'est tout cela que j'ai fui, et qui n'a pas disparu, même si les Français se sentent sans doute plus en sécurité avec Nicolas Sarkozy."
Hugues Taittinger avoue, quant à lui, fonder "beaucoup d'espoir" sur le nouveau président et continue de dire de la France qu'elle est "son pays". Il estime "possible" un éventuel retour. Mais "un jour" seulement. Quand l'amertume d'avoir "été obligé de vendre nos actions pour payer les impôts et l'ISF" se sera estompée. Quand la France lui donnera la certitude qu'il "ne perdra plus ce qu'il a gagné" et qu'il pourra donner à sa famille "la certitude qu'elle sera à l'abri".
Lofti Belhassine, l'ancien patron d'Air Liberté qui a fondé à Bruxelles la chaîne Liberty TV, n'a pas non plus "l'intention de bouger". Et cela même s'il découvre que la Belgique est loin d'être un paradis fiscal pour celui qui travaille : "Les charges et les taxes y sont plus lourdes qu'en France." "La question du retour a été souvent posée au cours des derniers mois. Et la réponse quasi unanime était "non". Parce que nous redoutons que, dans cinq ans, un autre gouvernement décide d'annuler le bouclier fiscal. C'est une mesure raisonnable et efficace, même si elle n'instaure pas un système complètement juste qui éviterait d'autres départs."
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