Par neubauten (libraire) 21H34 10/06/2007
Comme annoncé c'est une vague bleue qui déferle ce soir en France. Nous devons en tirer des conclusions simples et claires, les idées de gauche recule dans ce pays. Est-ce parce que nous avons une gauche nulle et un PS en voie d'atomisation? Ou tout simplement une véritable machine de guerre d'un discours néolibéral qui s'est mis en place depuis plus de vingt ans?
On est forcément tenté d’argumenter, et il faut le faire ; mais il faut peut-être aussi être conscient que ça ne suffit pas. Tous ceux qui, en France, ces derniers mois, écœurés d’entendre des types nés avec une cuillère en or dans la bouche marteler sur toutes les antennes les vertus du "mérite", effarés de voir tant d’agneaux se préparer à voter avec enthousiasme pour le grand méchant loup, se sont époumonés à dénoncer l’arnaque et à en démonter les mécanismes - en vain -, ont peut-être négligé un fait capital : ce qui n’a pas été fait par la raison ne peut pas être défait par la raison.
Quand on a consacré un livre à tenter de démêler les formes de rêve bénéfiques de celles qui travaillent contre le rêveur, l’élection présidentielle apparaît comme le triomphe éclatant des secondes. Comme cela a été abondamment souligné depuis le 6 mai au soir, lorsque nos yeux se sont brutalement dessillés en même temps que la Marseillaise de Mireille Mathieu nous déchirait les tympans, en France, les noces de la politique et du showbiz ont été un peu plus tardives qu’ailleurs, mais elles ont fini par se produire aussi.
Il était inexorable qu’elles finissent par se produire. Comme celle d’un Berlusconi ou d’un Reagan - qui ne venaient pas du cinéma par hasard, et qui ne faisaient qu’accentuer une tendance amorcée avec Kennedy -, la victoire de Nicolas Sarkozy en France résulte d’une manipulation à grande échelle des imaginaires. Elle a été préparée par vingt ans de TF1 et de M6, de presse people, de jeux télévisés, de Star Ac et de superproductions hollywoodiennes. Pour pouvoir ricaner en toute tranquillité des beaufs qui ont voté Sarkozy, d’ailleurs, il faudrait pouvoir prétendre avoir échappé complètement à l’influence de cette culture - ce qui ne doit pas être le cas de beaucoup de monde.
Le thème récurrent sur lequel tous ces médias ne cessent de broder d’infinies variations, et auquel nos cerveaux, de gauche comme de droite, ont développé une accoutumance pavlovienne, c’est celui de la success story. Qui véhicule un seul message : pourquoi vouloir changer les choses ou se soucier d’égalité des droits, si, à n’importe quel moment, un coup de chance, ou vos efforts acharnés, ou une combinaison des deux, peuvent vous propulser hors de ce merdier et vous faire rejoindre l’Olympe où festoie la jet-set ? "Chacun aura sa chance", clamait Nicolas Sarkozy à peine élu. Il y a quelques années, on avait relevé une illustration presque caricaturale de cette idéologie dans le film de Steven Soderbergh "Erin Brockovich seule contre tous" (avec Julia Roberts), à l’impact d’autant plus fort qu’il était inspiré d’une histoire réelle - même s’il avait apparemment fallu, pour écrire le scénario, éluder certains aspects d’une réalité moins lisse que souhaité.
Cette entreprise passe forcément par le discrédit jeté sur ceux qui étudient les déterminations sociales et leurs effets, comme le montre Didier Eribon dans son récent livre "D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française" (Léo Scheer, 2007): "Le projet de renvoyer au passé toute l’histoire des sciences sociales françaises pour les remplacer par la “philosophie politique” n’avait, au bout du compte, pas d’autre signification que celle-ci: libérer les individus de tout déterminisme social, afin qu’ils se déterminent librement et rationnellement à renoncer à leur liberté au profit de la souveraineté politique qui s’incarne dans l’Etat, représentant de la Société et de la Nation." C’est bien d’"individus" qu’il s’agit, et non plus de "sujets": car "le “sujet” contrairement à l’“individu” sait que la Société le précède et se situe au-dessus de lui et, par conséquent, il n’a pas la désastreuse illusion qu’il peut inventer le social au gré de ses “désirs
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