Par Raphaële Bail (Journaliste ) 13H04 07/06/2007
Une travailleuse Roumaine récolte des tomates en Espagne (Francisco Bonilla/Reuters)
Bientôt, ils seront des milliers à cueillir pommes, pêches et abricots. Qui donc? Les clandestins, véritable aubaine pour une agriculture en manque de main d'œuvre corvéable à merci. Mais attention, les étrangers avec ou sans papiers sont parfois moins dociles que prévu. En 2005, dans les Bouches-du-Rhône, des travailleurs agricoles chinois et maghrébins -employés saisonniers sous contrat- avaient fait grève pour obtenir le paiement d'arriérés de salaire et le droit d'être logés ailleurs que dans les taudis qui leur étaient gentiment réservés. Une première pour ces travailleurs souvent fragilisés par leur condition d'étrangers et de temporaires.
Aujourd'hui, ce sont les salariés sans-papiers de Buffalo Grill qui, après des années de bons et loyaux services, réclament leur régularisation. La direction fait
mine de découvrir leur statut illégal mais avoue benoîtement: "On a besoin d'eux."
Car l'emploi de travailleurs sans-papiers est monnaie courante dans l'hôtellerie-restauration, le bâtiment et, bien sûr, l'agriculture: la main d'œuvre y représente parfois jusqu'à 70% des coûts de production, elle est donc le levier principal sur lequel agir pour rester concurrentiel. Secret de Polichinelle, l'emploi des sans-papiers
s'accompagne "d'un réel laxisme à l'égard du travail illégal", note André Réa, chercheur spécialiste de l'immigration à l'Université libre de Bruxelles. "Des moyens importants sont utilisés
pour contrôler les séjours irréguliers, peu pour contrôler les chantiers. Et, en réalité, les sans-papiers représentent la forme la plus extrême de dérégulation du marché du travail", ajoute-t-il. Une réserve de main d'œuvre exploitable qui besogne dur, des serres andalouses aux rangées d'abricotiers français en passant par les redoutables champs de tomates des Pouilles italiennes. C'est là qu'un célèbre journaliste a réalisé une enquête (en italien) édifiante sur cet esclavage des temps modernes.
Nécessaires mais traqués, utiles économiquement mais rejetés socialement, les sans-papiers sont victimes de notre schizophrénie. Jusqu'à quand? En France, dans les rangs des collectifs de sans-papiers, on défend "l'union qui fait la force" tout en peinant pour y parvenir. Pendant ce temps, de l'autre côté de l'Atlantique, les latinos sans papiers s'organisent. Le premier mai, "A day without latino" (Un jour sans les immigrants d'Amérique Latine) vient rafraîchir la mémoire des Etats-Unis: ce jour-là, des dizaines de milliers (plus?) de latinos ferment boutique, ne gardent pas les enfants, cessent de nettoyer les vitres des buildings… Effet garanti dans certaines localités de l'Ouest transformées en villes fantômes. Quand les Pakistanais arrêteront de faire la plonge dans les restos parisiens et que les Maliens planteront les clients du Buffalo Grill, la politique migratoire française devra sans doute revoir ses classiques.
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