29/06/2007

"Le jour où Alain Minc m'a viré": l'ex-PDG du Midi libre raconte

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Par José Frèches (écrivain) 12H58 29/06/2007

José Frèches est énarque, écrivain, ex-conservateur de musée, ancien conseiller de Jacques Chirac à Matignon (1986-88), ex-PDG du Midi Libre, plus récemment animateur du site de campagne de Nicolas Sarkozy. Il a envoyé ce témoignage à Rue89.

"29 juin 2000. Dans le bureau d’Alain Minc, avenue Marceau à Paris, la tension est extrême entre Jean Marie Colombani, Alain Minc et moi-même. Minc vient de me signifier que j’étais viré de la présidence du groupe Midi Libre, il est vrai acheté -très cher, trop cher, deux fois le prix que valait en réalité ce groupe de presse- quelques jours plus tôt par Le Monde avec l’argent des banques.

Colombani, gêné (la veille encore, alors que je savais que mon sort était scellé, il m’avait assuré que je restais à mon poste):


- Tu sais José, il faut que tu saches que c’est Minc et certains membres du conseil de surveillance qui ont décidé que tu devais partir. Pour ma part, je n’étais pas favorable à ton départ.

Moi, me tournant vers Minc :

-Peux-tu me citer les noms des membres du conseil de surveillance qui souhaitent mon départ?

La semaine précédente, j’ai présenté au conseil de surveillance un "business plan" qui a été jugé décevant par Minc et pour cause: j’avais refusé -sur la suggestion de Minc!- de présenter des chiffres prévisionnels mirobolants qui eussent justifié le prix d’acquisition bien trop élevé des journaux du groupe Midi Libre. N’étant pas assez souple, j’étais un homme dangereux…

Minc, tout de même dans ses petits souliers:

-Je n’ai pas à te le dire… mais puisque tu y tiens, Beffa et Pfimlin.

-Vous me libérez ! Si vous m’aviez gardé, étant donné que vous avez acheté Midi Libre au double de son prix, devant des résultats économiques forcément insuffisants, vous m’auriez fait porter le chapeau dans deux ans…

Puis, me tournant vers Colombani :

-Jean-Marie, tu sais qui sera le prochain à être viré par Minc, ce sera toi!


On connaît la suite: sous la houlette du duo Minc-Colombani, la fuite en avant effrénée du Monde a continué, avec les acquisitions -toujours au prix fort!- de Télérama et autres Cahiers du Cinéma; accumulation des pertes abyssales du groupe Le Monde; puis, ultime tentative de sauvetage sous la forme du regroupement de Midi Libre avec les journaux de Lagardère (Nice-Matin et La Provence), le fameux "pôle Sud", mais qui ne peut se faire qu’en trouvant un banquier complaisant.

Or, les caisses d’épargne, pourtant toujours fidèles à Minc, refusent -au fait, pourquoi? lisez le livre de Laurent Mauduit sur Minc et vous saurez une partie du fin mot de l’histoire. Le refus des caisses d’épargne bloque la machine. La fuite en avant est stoppée.

Minc, qui en est le principal artisan, lâche Colombani. Le Monde est au pied du mur. Les dettes sont toujours là. Si les journalistes du Monde veulent garder ce qu’il leur reste de pouvoir il n’y a pas d’autre choix que de désendetter le groupe en vendant ses actifs cessibles.

Colombani est désavoué. Tué par Minc. Aujourd’hui c’est Minc qui est sur la sellette après avoir réussi -toujours grâce à ses pirouettes magiques- à imposer (mais seulement à moitié) in extremis Pierre Jeantet, son homme lige, au prix d’un tête à queue stratégique puisque Jeantet, au départ favorable au maintien du pôle Sud au sein du périmètre du Monde, semble avoir changé d’avis, tout du moins sur ce point…

Il paraîtrait normal, pour ne pas dire moral, dans ces conditions, qu’Alain Minc, qui est sans nul doute le principal instigateur de la terrible fragilisation financière du Monde, accepte enfin de tirer sa révérence… Je peux déjà vous donner un aperçu contenu du prochain épisode de ce feuilleton pénible: les indemnités de départ de Colombani, dans les conditions qui ont été négociées il y a quelques années entre les deux hommes, au moment où tout baignait entre eux.

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