12/07/2007

Résister c'est créer

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"J'invite les gens à venir déchirer mes images, pisser dessus"
Par Audrey Cerdan (photographe) 22H54 11/07/2007

Portraits de jeunes de Clichy et Montfermeil (JR).

Jeune photographe culotté, qui prend sans demander et envahit sans vergogne ses murs et villes d’élection, JR a méthodiquement collé la semaine dernière dans les Ateliers SNCF des Rencontres d’Arles plusieurs de ses photographies extraites de deux de ses projets, "Portrait d’une génération", et "FACE2FACE".

Dimensions et textures inhabituelles pour un festival de photographie où l’on prend l’habitude des tirages photographiques exigeants et des mises en scène léchées. JR colle ses images noir et blanc ("pour me différencier des codes de la pub") tirées sur un traceur de plans d’architecture, morceau par morceau, sur les murs usés, bruts, des Ateliers. Les images prennent alors la forme des vieilles pierres, au fur et à mesure que la colle sèche sous le soleil.

Originaire de la région parisienne, JR montre aujourd'hui son travail dans le monde entier. Il a notamment couvert des pans du mur de séparation entre Israël et la Palestine. Entretien avec un artiste atypique, mi-affichiste, mi photographe.

Pourquoi se faire appeler JR?

Ce sont mes initiales, et je veux rester anonyme derrière mes images. La majorité de mon travail est illégal: j’ai des poursuites judicaires en cours dans plusieurs pays, et le fait d’être anonyme me permet de gagner du temps et d’éviter des plaintes. Certains voient ce que je fais comme de l’art, d’autres comme une dégradation.

Même quand j’ai des autorisations, il m’arrive d’avoir des problèmes. A Amsterdam j’ai collé sur une façade haute de 15 mètres, avec l’autorisation des gens de l’immeuble, l’accord du musée Foam, etc. Mais la ville d’Amsterdam demande à ce que tout soit retiré de la façade, et ils veulent me faire payer 15000 euros, car ils n’étaient pas prévenus... Comme ils n’ont pas mon nom, je suis pas inquiété de devoir payer la somme, mais ça créé une grosse affaire.

Portrait de jeunes de Clichy et Montfermeil (JR).

Qui sont les personnages qu'on voit sur ces images?

Ce sont des gens que je rencontre pour le projet. A Arles, tu as la moitié de ce qui est présenté qui porte sur les banlieues. C'est la première partie du projet: "28 mm": "Portrait d’une génération", réalisé à Clichy et à Montfermeil. L’autre partie, c'est "FACE2FACE", et là ce sont des portraits d'Israéliens et de Palestiniens qui font le même métier.

Pourquoi travailler ainsi avec un objectif grand angle, le 28 mm?

Avec le 28, tu es proche de la personne que tu photographies, donc tu travailles à l’inverse du photojournaliste qui va voler une image avec un téléobjectif. C’est une focale qui oblige à travailler avec la confiance des gens, comme tu es vraiment à 10 cm de la personne quand tu la shootes, tu sens son souffle...

Les gens se savent photographiés, même si la photo n’est pas posée. Mais il m’est aussi arrivé de jouer avec les passants en les photographiant au téléobjectif, et les recollant dans la rue après. Et les gens de se retrouver en 4x3 mètres sur les murs sans savoir qui avait pris la photo... Là, ils se retrouvent face à eux-mêmes dans leur ville.

C’est un projet que j’ai fait récemment en Allemagne, qui est intéressant pour l’impact qu’il allait créer chez les gens: les sujets photographiés ont porté plainte et un gros débat s’est déclenché en Allemagne.

Collages exposés dans les ateliers SNCF d'Arles (JR).

De quand date ta passion pour l'affichage mural?

J’ai appris à coller avec le mode d’emploi livré avec les pots, et à aimer ça en le faisant. J’ai commencé à mettre mes photos dans la rue en 2001. A début, je remplaçais le contenu des panneaux installés dans les commerces avec les unes des magazines avec mes photos, et ça me faisait un cadre…

Après, j'ai utilisé le scotch, puis je me suis enfin mis à la colle. Maintenant je sais que ça fait partie intégrante de mon boulot, et je ne vois pas l’un sans l’autre. Quand je fais une image, je pense à son collage, et quand je vois des murs, je pense à la matière, à l’architecture, à la ville.

Vous présentez vos projets comme des pieds de nez aux clichés véhiculés par les médias...

Dans ces deux cas, en banlieue et au Proche-Orient, il s'agit de contrebalancer la vision des médias. J'ai photographié des jeunes de banlieue en train de jouer sur le stéréotype qu'on a d'eux, et je les ai recollés dans Paris: à la télévision, on les voit comme des extra-terrestres, masqués, on ne sait pas s'ils sont des émeutiers ou non... Dans Paris, les gens se retrouvent face à leur cauchemar affiché... et face à ces visages qui au final font rire. Ainsi, je casse le stéréotype du mec qui te fait peur.

Au Proche-Orient, l'idée était de mettre les uns faces aux autres, d'un côté et de l'autre du mur de séparation entre la Cisjordanie et Israël, puis les laisser eux-même interpréter et chercher à savoir qui est qui. Et quand tu vois qu’un Palestinien accepte que tu colles un Israelien sur sa facade, c’est que les gens sont plus ouverts qu’on veut bien le penser: c’est quand même dingue que 90% des gens que j'ai sollicités aient accepté d'être photographiés. Ça prouve bien que c’est une minorité de terroristes et de fouteurs de merde qui empêchent la paix.

Portraits de jeunes de Clichy et Montfermeil (JR).

Les lieux choisis pour exposer vos images leur donnent aussi une signification particulière...

Les photos vont là où elles ont du sens. Si ça avait du sens de faire une photo à New York pour la coller à Paris, je pourrais le faire. A Arles, j'ai accepté de montrer mes travaux dans une enceinte entre quatres murs: une façon de présenter des projets réalisés ailleurs. J’ai même recollé des photos d'affiches que j'avais collées, pour bien expliquer lla démarche.

Je suis mes images du début à la fin, ça me permet de suivre leur message; je travaille à l’opposé d’un journaliste qui prend ses photos, les envoie, et elles illustrent tel ou tel article selon les besoins. On ne peut pas réexploiter mes images de manière différente, parce qu'elles sont tellement expressives qu’elles font partie d’un projet, ce n'est pas du photojournalisme.

J’invite même les gens à venir déchirer les affiches, les voler, pisser dessus. Je les laisse dans la rue, ce sont des œuvres éphémères… A la fin d'un de mes livres, tu les vois se faire karcheriser, et dans les dernières pages d'un autre, tu les vois vieillies par le temps...

Alors, au final, vous êtes photographe, artiste ou afficheur pour Decaux?
Aucun ne me vexe en tous cas...

► 28 millimètres, Portrait d'une génération et FACE2FACE - éd. Alternatives - 200p., 15€. et 142 p., 29€.
(Avec Louis Mesplé.)

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