Par Pierre Haski (Rue89) 15H11 19/08/2007
Coincidant avec le début des vacances présidentielles, Rue89 avait salué une initiative de notre confrère Courrier International de publier un numéro "100% Sarkofree". Nous avions pensé, nous aussi, que le Président disparaîtrait de l'actu pendant deux semaines. Hélas...
Ces vacances s'achevant, quelles leçons tirer des événements des deux dernières semaines? Riches en rebondissements, en coups de théâtre et en dramatisation, les vacances de Nicolas Sarkozy nous ont finalement appris deux ou trois choses sur lui, son style, sa conception du pouvoir et de sa fonction. Il nous y a aidé, dans sa manière de déclarer fuir les projecteurs pour mieux s'y précipiter dès que possible.
Les vacances présidentielles s'achèvent sur un étonnant coup de téléphone transatlantique du Président à deux journalistes du Monde, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin (à la quelle des deux, d'ailleurs?...). Qui commence, selon le compte-rendu de nos consoeurs ce week-end, par une injonction: "Je ne veux pas que vous parliez de Cécilia."
A rapprocher de la citation -rapportée le 14 août sur Rue89- du garde du corps de Cécilia aux deux journalistes qui l'avaient croisée faisant du shopping à Wolfeboro alors qu'elle était censée avoir une méchante angine: "Ne m’obligez pas à appeler vos rédactions pour vous faire rapatrier." Ah bon, ils peuvent faire ça? Et leurs rédactions obéiraient?
Rue89, tout comme les autres médias français, a raconté comment s'organisait la communication lors des vacances du Président américain. Une salle de presse en permanence au cas où..., des infos fournies régulièrement par le porte-parole. Et, expliquait Mark Knoller de CBS News au Monde, "si un président américain accepte l'hospitalité de quelqu'un pendant une semaine ou deux, c'est une question très importante et la Maison Blanche dit toujours de qui il s'agit". En France, le porte parole de l'Elysée ne dit rien, et c'est le Président qui appelle lui même les rédactions pour mettre fin aux enquêtes journalistiques et autres rumeurs... Pas très moderne.
Que Nicolas Sarkozy passes ses vacances sur le yacht de Vincent Bolloré au lendemain de son élection, ou dans une villa à 44000 euros de loyer louée par ses amis Cromback (Tiffany) et Agostinelli (Prada) est affaire de goût et ne regarde que lui. Il est néanmoins de l'intérêt général citoyen de savoir qui sponsorise les vacances présidentielles, de savoir, surtout, s'il s'agit de gens dont les intérêts économiques ou politiques croisent ceux de l'Etat. C'était le cas de M. Bolloré.
Reste cette phrase étrange du président: "Je ne veux pas que vous parliez de Cécilia." Etrange, car il n'y a pas si longtemps, l'épouse du chef de l'Etat se mettait délibérément sous les projecteurs dans l'affaire libyenne, jouant ainsi un rôle public qui, comme tous les autres, fait partie du champs légitime de l'information. Il en va de même de son absence du déjeuner chez les Bush où c'est pourtant elle qui était invitée: cet incident, intervenant après son absence tout aussi remarquée du "déjeuner des épouses" au G8 en Allemagne, fait clairement partie du champs de la vie publique.
L'injonction présidentielle à ne pas "parler de Cécilia" sera donc ignorée parce qu'il n'est pas concevable qu'un pan entier de l'activité officielle de l'Elysée, en particulier sur le plan international, ne soit pas commenté et analysé comme tous les autres. Et il faudrait être aveugle pour ne pas voir dans ces incidents l'esquisse d'un "problème" qui affecte très visiblement le fonctionnement de l'exécutif.
Ces vacances auront donc été celles de tous les malentendus entre le Président et les médias, et, au-delà, avec l'opinion. Malentendu fondé sur le fait que Nicolas Sarkozy ne répugne pas à utiliser au maximum les médias pour se bâtir une image -le jogging devant les caméras...-, mais voudrait en contrôler tous les détails.
Lorsqu'un élement lui échappe, il s'agace, comme en avait témoigné l'incident où il s'en était pris avec véhémence à deux photographes -pas des paparazzi, des employés de grands médias américains respectés- sur le lac de Wolfeboro. Ou quand il appelle Le Monde pour demander qu'on ne parle pas de son épouse.
Sans doute ces questions sont-elles triviales par rapport aux dossiers qui attendent le Président à la rentrée, et importent relativement peu dans la vie quotidienne des Français. Ils convient néanmoins, en ce début de mandat, même après cent jours, de mettre quelques principes au clair.
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