19/08/2007

Les passagers d'un vol d'Air France à destination de Lomé ont réussi à éviter l'expulsion de deux sans-papiers jeudi. Témoignage.

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Une expulsion avortée grâce à la bronca des passagers
Par Rue89 15H45 19/08/2007

Les passagers d'un vol d'Air France à destination de Lomé ont réussi à éviter l'expulsion de deux sans-papiers jeudi. Témoignage.

Deux sans-papiers qui devaient être expulsés vers Lomé, au Togo, ont obtenu un répit grâce à la solidarité d’une partie des passagers du vol d’Air France. Cette procédure d’expulsion, en voie de banalisation, devient vite insupportable, inacceptable lorsque on se retrouve embarqué dans cette galère peu reluisante. C’était mon cas, et voici mon témoignage.

Aéroport Charles de Gaulle, terminal 2C. Vol AF848 en partance pour Lomé, 13h20 le jeudi 16 août. Pour une fois il fait beau à Paris, et là où l’on va le soleil nous attend, vacances! Ce vol d’Air France à destination du Togo est quasiment complet, beaucoup d’entre nous profitent de l’été pour rendre visite à la famille.

Mais lorsqu’on monte dans l’avion, notre humeur de vacanciers est vite plombée: place à la violence policière propre à la politique menée depuis quelques années par le ministère français de l’Intérieur en matière de reconduite à la frontière des sans-papiers. Car pour tous ceux qui sont placés à l’arrière de l’appareil, après le sourire des hôtesses, ce sont des cris sourds, des grognements qui nous accueillent. Des plaintes qui proviennent des dernières rangées du milieu.

Très vite, les protestations fusent

Je distingue le visage d’une jeune femme noire, visiblement entravée, en souffrance. Elle est entourée de deux hommes costauds, debout autour de son siège, ils essaient de la maintenir en position assise, ils portent des gants comme pour se protéger. Ce sont des policiers en civil. Chair de poule. Me voilà en état de choc, non pas dans un mauvais scénario mais dans la réalité -hélas en voie de banalisation- d’une expulsion forcée.

La colère monte en moi, mais il faut parer au plus pressé: expliquer à mon enfant âgé de 5 ans ce qui se passe. Devant nous, une petite fille pleure déjà. Autour, l’énervement le dispute à l’incrédulité. Très vite, les protestations fusent. "Pas question de supporter ces cris pendant six heures de vol", en écho: on a payé assez cher pour voyager sur Air France, on veut un vol dans des conditions normales. Considérations sanitaires d’un passager âgé de plus de 50 ans: "Je suis cardiaque, je ne veux pas risquer un accident cardiovasculaire."

Les langues se délient. En mina de préférence. Dans ce patois parlé à Lomé (dérivé de la langue ewé) les hommes s’interpellent et le ton monte. Et il n’y a pas que des réactions de "clients de la compagnie Air France", mais aussi tout simplement de l’indignation. Nous voilà complices par la force d’une politique et d’une procédure d’expulsion que la plupart d’entre nous réprouvent.

Un policier passe pour faire un peu de "com". Plutôt sympa, il nous explique la situation: "Cet homme et cette femme a priori originaire de République démocratique du Congo sont arrivés avec de faux papiers, ils sont là depuis douze jours, alors on est obligé de les ramener par la compagnie sur laquelle ils sont entrés en France et dans le pays d’où ils sont partis."

"Si vous ne leur donnez pas de papiers ils sont bien obligés d’en acheter des faux", rétorque mon voisin, goguenard. Les échanges sont encore polis et le rire qui ponctue les commentaires faits en français ou en mina trompe peut-être le "gentil" policier venu calmer le jeu. En fait, la tension monte.

Un couple part négocier avec le commandant de bord

Dans le fond, les geignements continuent, une passagère psychologue parle doucement à la jeune femme pour la calmer mais elle explique qu’elle veut rester en France à tout prix, pas question pour elle de retourner en RDC. Son compagnon d’infortune a ses habits déchirés. Leur rébellion a contaminé l’ensemble des voyageurs installés à proximité.

Deux enfants voyageant seuls, à deux pas des deux malheureux, sont en larmes. Pères ou mères s’insurgent. Le personnel naviguant est visiblement de plus en plus en difficulté pour gérer la situation. Bien avant que la colère ne gronde, des passagers ont entrepris une démarche discrète. M. et F., un couple franco togolais qui rentre chaque année au pays, sont allés voir le commandant de bord, pour exiger qu’il fasse débarquer ces passagers "malgré eux". Lui seul a le pouvoir de débloquer la situation.

Quand il arrive enfin pour constater de visu une ambiance survoltée, les passagers sont partagés entre le soulagement d’avoir un nouvel interlocuteur de poids, et l’exaspération face à des policiers bien décidés à mener leur mission jusqu’au bout. "Vous verrez, quand on aura décollé, ils vont se calmer, on a l’habitude", proclame l’un d’entre eux. Comme si nous avions envie de nous "habituer" à l’inacceptable!

La patrie des droits de l’homme en prend un coup dans les propos tenus par les plus remontés. Un jeune homme s’énerve. Son aîné demande du champagne pour tout le monde! Rires à nouveau. Un passager utilise son portable pour prendre des photos. Un autre prend à partie une policière noire de peau: "Comment pouvez vous infliger ce traitement à vos frères?"

L’échange est poli mais tendu. "Je ne suis pas raciste", répond-elle. "Je ne vous ai pas accusé de racisme", rétorque le passage. Enfin la décision du seul maître à bord, le commandant, tombe: les sans-papiers sont débarqués. L’opération d’expulsion par la force est annulée. Vague d'applaudissements. On a réussi!

La PAF monte à bord, et débarque quatre passagers

Réussi quoi, au fait? Les deux expulsables seront sans doute acheminés sur un autre vol. A moins que ce répit ne leur offre une nouvelle chance. On a réussi au moins à prouver que la protestation, ça marche. Une mauvaise joie qui devient vite amère, car la PAF (police de l’air et des frontières en habit) est appelée en renfort. Douze à quinze agents montent à bord.

Démonstration de force à l’égard des vilains passagers solidaires. Quatre d’entre nous sont débarqués: le voisin immédiat des sans papiers -dont le seul tort est de ne pas avoir supporter l’insupportable imposé par l’attribution des places au moment de l’embarquement-, le photographe, celui qui a pris à partie la jeune policière noire, ainsi que le jeune homme le plus énervé.

Pour eux, il y a un prix à payer: garde à vue assurée, poursuites judiciaires éventuelles pour "trouble à l’ordre public" ou "outrage à agent de la force publique", difficulté à conserver des papiers s’ils n'ont pas la nationalité française, et une perte sèche pour le voyage: leur billet est définitivement perdu, "ils risquent même d’être classés indésirables sur les vols d’Air France", explique le commandant.

Constant dans sa volonté d’apaisement, il revient nous voir après le décollage pour expliquer la position d’Air France, -de fait réquisitionné par le ministère de l’Intérieur-, ses devoirs en tant que commandant de bord, et bien sûr son devoir de réserve sur ses positions personnelles! Commentaire moins politiquement correct de l’un des membres de l’équipage: depuis la présidentielle, les mesures de rétorsion à l’égard des passagers solidaires des expulsés sont de plus en plus courantes.

Révoltés par la procédure d’expulsion, écoeurés par le sort réservé à quatre d’entre nous (dont nous ne connaissons même pas les noms!), nous décidons de ne pas en rester là. Un projet de lettre ouverte à Air France circule, rendez-vous est pris à Lomé pour finaliser le texte. Etonnamment, plusieurs membres de l’équipage nous encouragent: "Faites le savoir, nous ne pouvons rien dire, mais franchement, on n’en peut plus." Des propos livrés bien sûr sous couvert d’anonymat.

Domyovo, passagère du vol AF 848

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