« C dans l’air » se charge de « réformer » la France
Marie-Anne Boutoleau
Publié le lundi 3 septembre 2007
Le 4 juillet 2007, l’émission « C dans l’air » diffusée sur France 5 – alors présentée par Thierry Guerrier, le double estival d’Yves Calvi – nous a livré un grand cru en matière de « débats faussement vrais et vraiment faux », avec une émission intitulée « Les réformes au banc de l’Assemblée ». Ce fut une nouvelle fois l’occasion pour les protagonistes présents sur le plateau – éditorialistes multimédias et intellectuels multicartes – de faire œuvre de « pédagogie » afin de promouvoir les « réformes » du gouvernement auprès du téléspectateur, tout en affichant morgue et mépris à l’égard des mobilisations et des luttes sociales.
Le dispositif d’encadrement du « débat » … et du consensus
« C dans l’air », émission phare de « débats » de France 5, est mise en scène de telle manière que jamais le « débat » ne sorte des limites définies – de manière certes informelle mais néanmoins très efficace – par les gardiens médiatiques de l’ordre libéral. Intitulés aguicheurs, casting d’invités (toujours les mêmes) garantissant un pluralisme de façade ; accord entre eux sur le fond et divergences à la marge garantissant une impression de « débat » ; présentateur « pédagogue » et inquisiteur pour ses adversaires (ou supposés tels [1]) ; thématiques pré-définies et introduites par de courts reportages-prétexte ; mascarade de démocratie avec la séquence des « questions SMS » par le biais desquelles les téléspectateurs peuvent – modestement – prendre part au « débat » (voir en Annexe) : tout ceci permet d’escamoter le « débat » tout en donnant l’impression qu’il a lieu. Le 4 juillet dernier, l’émission nous a offert un cas d’école en la matière.
Encore une fois, l’équipe de « C dans l’air » a en effet constitué un plateau dans lequel le « pluralisme » était garanti. Il suffit pour en juger de dresser la liste des invités : René Silvestre, un patron de presse (PDG du groupe L’Etudiant) ; Jacques Marseille, sarkozyste patenté, qui se présente comme un « historien économiste » ; Pascal Perrineau, un « politologue » de droite et directeur du CEVIPOF (un centre de recherches de Sciences-Po) et Laurent Joffrin, lui aussi patron de presse (PDG de Libération). Dès lors, le « débat » peut commencer, entre « libéraux de droite » et « libéraux de gauche », tous soucieux de « ne pas juger » mais d’« expliquer » (Laurent Joffrin).
Les seules divergences qu’il y a entre Laurent Joffrin et ses comparses n’occupent que les marges du « débat » sur les « réformes », par exemple sur les « modalités » (Joffrin) d’application des « réformes » et la « méthode » [2] utilisée pour les faire passer, et nullement sur leur bien-fondé.
Les « divergences » entre eux sont si grandes que pendant le premier quart d’heure de l’émission, nos éminents « intellectuels » s’écharpent – avec virulence – sur la question de savoir si le gouvernement mène des « réformes de riches […] ou pour les riches » (Thierry Guerrier). Question subversive s’il en est, puisque Perrineau juge utile de répondre par une pirouette : « Oui, non, enfin ça n’a pas de sens de dire ça comme ça ! La réforme des universités une réforme de riches alors nos enfants, les étudiants, les étudiantes qui peuplent les universités seraient des gosses de riches, voyons ça ne… ça n’a pas… ça n’a pas de sens […] [3] » Comme si une « réforme de riches » ne devait concerner que les « riches » et ne pas avoir de conséquences sur les autres classes sociales !
A peine le débat a-t-il commencé que nos zélateurs du libéralisme envisagent déjà de le clore. René Silvestre s’empresse donc de renchérir, à propos de la « réforme » des universités : « Ce n’est pas une réforme de riches bien sûr, pour moi ! […] On ne peut pas dire qu’au niveau de l’Université elle favorise les riches… Bon heu, évidemment pas. » C’est si « évident » qu’il hésite à le dire… Quant à Jacques Marseille, il juge dès le départ que « plutôt que de se balancer des riches ou des pauvres à la tête », mieux valait s’intéresser à une « vraie question » [4] : « comment on fait pour sortir ce pays de son mal-être dans lequel il est englué depuis une vingtaine d’années » ? Face à un « débat » d’une telle vivacité, Thierry Guerrier finit par s’écrier à un quart d’heure environ de la fin : « enfin vous dites tous la même chose, quoi ! » Quelle lucidité !
La thèse : des réformes « nécessaires », « symboliques » et « modernes »
Pour les « débatteurs », ce qui compte n’est pas tant le fond que la forme des « réformes ». Ce n’est donc pas tant leur « efficacité » ou non qu’il convient ici de discuter, mais bien plutôt leur caractère « symbolique » (ou « psychologique »). Car toute l’« efficacité » est dans le « symbole », et vice-versa [5] !
D’ailleurs, comme l’explique avec conviction René Silvestre, l’exonération d’« un certain nombre de choses » [des droits de succession] « c’est pas une mesure économique directe. Faut pas y voir une mesure sur les droits de succession. (sic) Faut y voir une mesure de… C’est pour attirer la confiance, en fait des gens. C’est une mesure psychologique, là. Elle n’est pas économique, elle est purement psychologique. » Et de renchérir (suivez bien le raisonnement) : « Mais il ne faut pas oublier ce qu’est la France. La France c’est un pays de culture – je n’ai pas dit d’"économie" aujourd’hui – mais de "culture" paysanne. C’est-à-dire de culture de la terre. […] Nous on est cette culture. […] Donc on a cette culture. Et la culture, c’est quelque chose de fort. Et quand on prend des décisions politiques […] on prend des décisions qui ne sont pas toujours bonnes économiquement mais qui sont bonnes psychologiquement et qui vont entraîner un réflexe. Je ne suis pas sûr que les droits de succession soient bons ou justes économiquement, mais je pense que c’est une notion, ça correspond à notre État français. »
« Symboles », « psychologie », « pédagogie » et même « culture »… autant de poncifs bien utiles pour camoufler des « réformes » régressives sous le masque vertueux de la « modernité ». Des réformes fiscales destinée aux riches ? Pas du tout, puisqu’il s’agit, en favorisant les riches, de venir en aide aux pauvres : en effet, qui va leur venir en aide si les riches s’appauvrissent ? Thèses banalement libérales que personne - c’est là que le bât blesse – n’était présent pour contredire réellement.
La preuve par les sondages
Il serait cependant absurde de considérer que parce que le « débat » est vide, les « débatteurs » n’ont pas d’idées à défendre. Au contraire : il s’agit pour tous de montrer que les « réformes » sont « nécessaires » et qu’elles servent l’intérêt général. Une fois ceci admis (mais il faut le dire et le redire au peuple-téléspectateur ignorant), plusieurs méthodes peuvent servir à justifier cette thèse : en appeler aux sondages, montrer que même vos adversaires sont d’accord avec vous, faire référence à des exemples douteux, retourner les arguments négatifs en arguments positifs, etc.
Les sondages, tout d’abord. Marseille sait les utiliser quand il s’agit de ridiculiser ses adversaires politiques en montrant que finalement, ils sont d’accord avec lui. Sourire en coin, il explique : « Quand vous faites des sondages – alors je sais bien que ce ne sont jamais que des sondages mais vous avez en moyenne 70 à 80 % de la population française qui dit “on est d’accord”. … Je vais prendre l’exemple du service minimum, sur le service minimum c’est encore plus drôle il y a 51% des électeurs communistes qui disent "on est d’accord avec le service minimum". » Et il ajoute : « Nicolas Sarkozy a déclaré le 24 avril que le service minimum ça voulait dire trois heures de transport en continu le matin – en gros 6h-9h du matin – et trois heures de transport en continu le soir : 17 heures à 20 heures. Ill y a 53% des Français qui ont dit… ont voté pour lui en faisant ce… cette promesse, 75% des Français sont d’accord, et 51% des électeurs communistes. » Ainsi, résultats électoraux et sondologie ont la même valeur aux yeux de Marseille, pour prouver que les Français soutiennent largement les réformes libérales de Nicolas Sarkozy. Et il conclut : « donc la question c’est : est-ce qu’ on peut se permettre, est-ce que le gouvernement peut se permettre, de louvoyer sur cette question qui a la… l’adhésion d’une immense majorité de Français. » « On » ? « Le gouvernement » ? Apparemment aucune différence dans l’esprit de notre « économiste ».
Quant à Pascal Perrineau, il va plus loin. Inutile de s’encombrer de chiffres : le « politologue » de Sciences-Po prétend connaître les attentes et les « angoisses » des Français dans leur ensemble. Ainsi, selon lui, la « réforme des universités » et celle sur les « droits de succession » répondent à « cette angoisse des Français sur l’intergénérationnel », « c’est-à-dire des Français qu’ont intériorisé la crise pour eux mais qui se disent pour nos enfants, il faut que ça s’améliore. » Et de préciser : « Je crois qu’il y a là, je crois qu’il y a là … quelque chose de très symbolique, et qui répond aux angoisses des Français tels qu’ils se sont exprimés pendant des mois et des mois dans la campagne de l’élection présidentielle. » « Les Français […] se sont exprimés » ? N’est-ce pas plutôt les sondomanes du CEVIPOF (et d’ailleurs) qui se sont exprimés en faisant croire que leur parole reflétait l’opinion des Français ?
La preuve par les mandarins
Vous êtes encore sceptique ? Les intellectuels médiatiques présents sur le plateau de « C dans l’air » se chargent de vous convaincre en vous montrant leur propre bonne volonté et en se donnant en exemple, ce qui est d’autant plus aisé qu’eux-mêmes ne sont pas menacés par les réformes en cours, ou que l’application des mesures qu’ils proposent ne leur coûtera rien tout en leur apportant un surcroît de bonne conscience.
Ainsi, René Silvestre qui, pour prouver qu’il n’est pas élitiste, propose de faire payer 500 euros de frais d’inscription à tous les étudiants, explique, avec tout le mépris de classe dont il est capable : « Je trouve scandaleux politiquement et socialement qu’on ne fasse pas payer mon fils, si vous voulez ! C’est scandaleux ! C’est scandaleux ! Alors (inaudible : « c’est proprement » ?) scandaleux, et… et parce que qui paye ? Et bien c’est… Monsieur et Madame Michu qui n’y a pas droit pour des tas de raisons d’ailleurs. Hein, y a pas… Y a pas droit socialement ! » Vous avez bien lu : au lieu de permettre aux enfants de « Monsieur et Madame Michu » d’accéder comme les autres aux études supérieures, il suffit de se contenter de dispenser leur parents de payer les études des « riches » (ou supposés tels, des origines sociales aisées n’empêchant la précarité) au motif qu’il n’ y ont « pas droit socialement », sans que cette « interdiction » pose en soi problème.
Promu par Thierry Guerrier au rang de « sociologue », le patron de presse René Silvestre ne craint pas de déclarer plus tard dans l’émission : « Mais un autre problème beaucoup plus important et politiquement très important ! Parce qu’on oublie… Pourquoi on fait pas payer les universités ? Selon un grand principe qui est Jules Ferry : l’école est gratuite et obligatoire ! C’est ça, Jules Ferry ! Et laïque. Mais, l’Université, enfin l’enseignement supérieur à ma connaissance n’est pas obligatoire. Donc déjà y a un problème. Pourquoi serait-il gratuit ? Mais le deuxième problème c’est que qui paye ? Alors là le problème est grave ! On parlait tout à l’heure de… les riches, les pauvres, etc. Mais aujourd’hui, qui paye l’enseignement supérieur français ? C’est l’ensemble des Français ! Avec entres autres la TVA ! On nous a beaucoup parlé de la TVA sociale, et bien y a une TVA universitaire ou une TVA de l’enseignement supérieur qui finance l’enseignement supérieur de qui ? De 30% d’une population qui est composée essentiellement je dirais pas de « riches » comme dit… Joffrin, mais quand même de classes aisées puisque on sait très bien que dans l’enseignement supérieur universités comprises il y a très peu de fils d’ouvriers, une petite classe moyenne, et plutôt des gens aisés. Donc en définitive c’est l’ensemble de Français plutôt de classe moyenne qui paie pour une classe plutôt riche. Donc faire payer des droits d’inscription serait justice sociale ! » [6].
Quant au modèle de financement qu’il convient de retenir, c’est celui des « grandes écoles de gestion » (Silvestre) et de « Sciences-Po » (Guerrier) – deux types d’écoles que nos « élites » connaissent bien – que les entreprises financent en partie. Pour Laurent Joffrin, rien de « choquant » à cela, du moment qu’ « il y a une sorte de muraille de Chine entre les bailleurs de fonds et puis l’organisation de l’élite de l’enseignement, dès lors qu’on a définit un projet global. »
Et le même de tancer les profs : « je voyais le reportage sur la Grande-Bretagne alors on souriait entre nous en disant mais les profs sont jugés comme d’autres catégories. Moi ça ne me choque pas. Dans ma profession de journaliste quand on fait un mauvais article … c’est un problème. Le rédacteur en chef il le corrige, ou bien il demande qu’il soit refait. Et puis si les articles sont toujours, toujours mauvais, ça finit par poser un vrai problème. Je ne vois pas pourquoi les professeurs seraient abstraits de ce genre de jugements. » Heureusement pour lui, Joffrin est son propre rédacteur en chef… Et de citer de nouveau Sciences-Po en exemple : « Moi j’ai enseigné par exemple à l’Institut d’Etudes Politiques, que Perrineau connaît bien. Enfin j’étais maître de conférences. À la fin de l’année ,on faisait passer un questionnaire chez mes étudiants et ils me mettaient une note. Ca ne m’a jamais choqué, moi je trouve ça normal. » D’autant plus normal et facile à accepter qu’à notre connaissance l’avis des élèves n’a, en pratique, aucune incidence sur le contenu des cours ou sur la composition du corps enseignant.
Et Pascal Perrineau d’ajouter que dans « le système anglais que l’on voyait tout à l’heure il y a une autorité administrative totalement indépendante qui évalue à la fois l’enseignement et qui évalue la recherche, et qui met comme disait notre jeune collègue allemande tout à l’heure, "la pression" ! La pression en effet sur les enseignants et les chercheurs ! Mais c’est tout de même assez normal, hein qu’on mette la pression. » CQFD ! [7]
Convaincus d’être d’excellents professeurs, Jacques Marseille et Pascal Perrineau attendent tous deux avec impatience la mise en place d’un système d’évaluation des enseignants, afin de gagner plus sans travailler plus. Laissons-les à leurs rêves…
- Marseille : - Non ce qui serait moderne ce n’est pas d’évaluer les universités sur les pourcentages de reçus aux examens c’est sur le pourcentage de leurs étudiants qui ont une formation par la suite et qui trouvent un métier par la suite. C’est ça qui serait moderne.
- Guerrier : - Et évaluer les profs vous dites hein.
- Marseille ( ?) : - Bien sûr ! Mais absolument !
- Guerrier : - Alors on change de sujet, une autre question SMS…
- Perrineau : - Et ensuite rémunérés de manière différente. Vous savez le système britannique, pour un même poste selon que vous êtes dans une… une université de pointe ou non le salaire peut varier de un à trois !
- Guerrier (outré ?) : - Alors qu’en France tous les profs d’Université ont les mêmes salaires !
La preuve par les absents
Certains ayant l’outrecuidance de critiquer – voire de refuser – ces thèses mal argumentées, il convient de désamorcer toute velléité protestataire en jetant le discrédit sur l’adversaire. Chose d’autant plus aisée qu’aucun « contestataire » n’est présent sur le plateau : Laurent Joffrin, sommé d’y représenter la voix de la « gauche », étant d’accord sur presque tout avec ses comparses de droite, et allant même parfois au-delà de leurs propres espérances en matière de « réformisme » [8]. Car s’il est une chose qui fait horreur aux gardiens du consensus, c’est bien les mouvements sociaux !
Pour tanter de discréditer les absents, tous les moyens sont bons. On peut par exemple, comme Jacques Marseille, toujours souriant, prendre un malin plaisir à souligner le manque de représentativité des syndicats français tout en ayant l’air de s’en désoler, « parce qu’ils ne représentent que 8% de la population… des populations salariées. Et que c’est 5% dans le secteur privé. C’est-à-dire que, en France, il y a un million quatre-vingts mille syndiqués – je rappelle d’ailleurs qu’y a un million huit cent quatre-vingt mille patrons, si on fait l’équilibre. » [9] On peut aussi, toujours dans la même veine et avec le même personnage, noter malignement que les syndicats volent l’argent public : « Vous avez en France des syndicats qui sont peu représentatifs et qui ne vivent que de l’argent public en plus ! Ils n’ont aucune ressource propre. Donc … C’est quand même un peu gênant, quoi, pour faire des négociations. » Mensonge éhonté, mais qu’importe ! [10]…
On peut enfin, comme Thierry Guerrier, se moquer des échecs électoraux de certains partis de « gauche » (ici, des Verts et du Parti communiste), ou comme Laurent Joffrin insister sur leur inutilité, par une fine analyse politique : « Je pense que la division… historique du mouvement ouvrier n’a plus lieu d’être dès lors que l’U.R.S.S. a disparu c’est-à-dire il y a un certain temps déjà, et que donc le congrès de Tours ayant consacré une scission entre socialistes et communistes à cause des conditions posées par Lénine – vous voyez que ça remonte à longtemps . Je pense qu’il y a plus besoin de ça et que le parti communiste ne sert à rien ! Et qu’on ferait mieux… qu’’il ferait mieux de fusionner avec le parti socialiste : comme ça y aura un peu plus d’ouvriers au parti socialiste, ça lui ferait pas de mal. Et… donc voilà, voilà ma thèse sur le mouvement …sur la gauche française ! »
Dès lors, il ne reste plus qu’une chose à faire : haro sur les mouvements sociaux ! Et en particulier sur les mouvements étudiants, qui terrorisent Silvestre et pour lesquels il affiche le plus grand mépris :
- Silvestre : - Si y a un domaine où c’est totalement incontrôlable, c’est les étudiants. Parce que le dialogue avec les étudiants – il existe aujourd’hui, il a existé d’ailleurs avant !
- Guerrier :- Il a reçu toutes les centrales syndicales étudiantes [11].
- Silvestre : - Ah il les a reçues, il les invite même à bouffer, donc c’est pour vous dire ! (Guerrier ricane) Ils sont très contents. Ils vont peut-être …
- Guerrier : - C’est pas interdit, hein !
- Silvestre : - … Peut-être que Bruno Julliard va s’acheter un costard... J’en sais rien mais bon. Quoi qu’il en soit, … Je veux dire, c’est très bien ! Il y a le dialogue. Et il y a même le compromis puisqu’il a lâché les deux choses que demandaient les syndicats on y reviendra tout à l’heure. Mais… C’est pas les syndicats… C’est pas l’UNEF qui fait les manifs, hein.
- Guerrier : - Ah bon.
- Silvestre : - Ah non !… Ils ne les contrôlent pas non plus. Sinon ça se saurait ! Les manifs elles démarrent toujours par … l’extrême-gauche qui…
- Guerrier (qui est journaliste, il faut le rappeler) : - Oui mais elles sont entretenues par des responsables syndicaux quand même, on sait bien que tout ça…
- Silvestre : - Ah non ! Elle est rattrapée ! Elle est rattrapée ! Elle est rattrapée ! La CGT, la CFDT, les syndicats je dirais… classiques peuvent arrêter un mouvement, le contrôler, le rattraper, pas dans le milieu étudiant sinon encore une fois ça se saurait ! Tous les mouvements qui se sont développés en milieu les étudiant, les autres ont suivi les mouvements et…
- Guerrier : - Bon ça c’est une marmite après on va y revenir mais …
- Silvestre : - Regardez l’an dernier au CPE c’est parti de Rennes, de l’université de Rennes II, complètement incontrôlé !
- Guerrier : - Attendez. On va revenir aux étudiants parce que on a l’impression que la culture du compromis n’est pas possible dans ce secteur…
- Silvestre (en même temps) : - Je ne dis pas que ça va se passer. Je ne dis pas que ce n’est pas possible, mais je dis qu’il faut faire attention. D’ailleurs la Cinquième République depuis De Gaulle on sait très bien que… Tous les gouvernements ont été mis en danger uniquement par les mouvements étudiants et sur l’école. Uniquement, hein ! Trois millions de chômeurs ça ne vous a jamais viré un ministre du travail…
- Guerrier : - Culture…
- Silvestre : - …10000 morts avec la canicule, il n’y a pas eu un ministre de la santé viré, par contre les mouvements étudiants et les mouvements sur l’école ont été les seuls qui en ont viré … Et Thierry Guerrier de s’écrier : « c’est 95 qu’on ne veut pas revoir, hein, c’est décembre 95 ! » « On » ?
Mais heureusement, le « sociologue » de service, René Silvestre, nous rassure : « Mais on est dans une logique de compromis. Et ce qui est très intéressant c’est de voir qu’en ce moment les Français considèrent de plus en plus que l’espace de l’affrontement devient marginal et que l’espace du compromis doit être privilégié. Dans un sondage qui va sortir demain de la Sofres c’est très net le mouvement, la pédagogie du compromis, de la négociation… Alors parfois plus rapide, parfois plus longue – la négociation avec les syndicats jusqu’à la fin de l’année – est en train de passer dans l’opinion et les Français commencent à aimer une France qui substituerait le compromis à l’affrontement. C’est une nouveauté. Parce qu’on est plutôt dans une culture qui clive, dans une culture de l’affrontement, dans une culture des rodomontades où gauche et droite s’affrontent comme des petits coqs dans la cour [12]… Là il y a une nette évolution depuis un mois. » Enfin les Français vont devenir des Allemands comme les autres [13] ! Manière élégante d’enterrer le « débat » en réduisant, à l’instar de Marseille, toute contestation aux symptômes d’un « mal-être » qu’il convient se soigner à grands coups de mesures « psychologiques ».
D’autres voix se sont-elles fait entendre ? Non. Auraient-elles été audibles ? Rien n’est moins sûr
Marie-Anne Boutoleau
- Annexe : Du bon usage des SMS
Comme il serait dommage de priver le citoyen-téléspectateur de l’honneur d’interroger lui-même les « lumières » en présence, l’émission a mis en place le système des « questions SMS », simulacre d’agora démocratique où le peuple peut interroger les « élites » qui prétendent « penser » pour lui. Ce procédé présente au moins un avantage : il permet tout d’abord d’éviter les questions pièges que pourraient poser à l’antenne des téléspectateurs indisciplinés. D’autre part, il participe du « racisme de l’intelligence » dont font généralement preuve les « élites » médiatiques à l’égard du peuple-enfant. C’est d’ailleurs une constante chez Guerrier : par les formules « je voudrais comprendre » ou « j’arrive pas à comprendre », il fait mine de se mettre à la place du téléspectateur supposé ignorant des « arguments » développés. Il est même tellement soucieux de donner la parole aux téléspectateurs, qu’il lui arrive de reformuler leurs questions s’il ne les juge pas assez explicites.
Ainsi de cette question à destination de Joffrin : « "L’UNEF refuse-t-elle – c’est la question SMS – l’UNEF refuse-t-elle les réformes universitaires par conservatisme ou par divergence d’opinions politiques", c’est à dire par idéologie ? » Car tout « refus » des « réformes » est « idéologie », les « réformes » elles-mêmes étant forcément idéologiquement neutres… Une autre « question SMS » suscite l’étonnement de Guerrier, qui remarque, comme si ce n’était pas fait pour : « C’est… C’est… La question est dans la droite ligne de ce que vous venez de nous dire. »
Quelques minutes plus tard, il a, à ce sujet, un échange croustillant avec Laurent Joffrin :
- Joffrin : - Oui, je veux… Oui justement c’est une bonne question en fait, parce …
- Guerrier : - Toutes les questions SMS sont bonnes.
- Joffrin : - Elles sont toutes très bonnes, oui. (rires)
- Guerrier : - Non, non ! Mais oui parce que parce que… C’est les questions qui se posent quand on nous écoute, quand on vous écoute.
- Joffrin : - Si je dis le contraire ça va faire baisser l’audimat alors c’est emmerdant. (rires)
- Guerrier : - Pas du tout, pas du tout.
Flatter le peuple-téléspectateur sur la forme, tout en le méprisant sur le fond : voilà le principe même la « pédagogie » de « C dans l’air ».
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[1] Ici Laurent Joffrin, officieusement promu porte-parole de la « gauche » et des « syndicats » par Guerrier.
[2] Joffrin explique ainsi au cours de l’émission : « Il faut espérer effectivement que le gouvernement ne passe pas trop en force et qu‘il fasse celles des réformes pour lesquelles il a été mandaté, même si je les critique pour certaines, mais du point de vue de la méthode démocratique il vaut mieux que ça se passe comme ça c’est clair. »
[3] Cela a si peu de sens que Silvestre dira précisément le contraire plus tard dans l’émission : soutenant que les étudiants sont en majorité d’origine « aisée » - et donc, sous-entendu, aisés eux-mêmes – et qu’il serait quand même normal qu’ils paient pour étudier…
[4] Marseille est obsédé par les « vraies questions ». En un peu plus d’une heure d’émission, il prononce le terme « question » pas moins de vingt-neuf fois, dont huit occurrences de « la vraie question » et une de « la véritable question ».
[5] Les termes « symbole(s) » et « symbolique » reviennent pas moins de sept fois pendant la première demi-heure d’émission, dans les bouches de Joffrin (deux fois), Perrineau (deux fois), Marseille (une fois), Silvestre (une fois) et Guerrier (une fois) : un bel exemple de pluralisme ! De plus, pour Perrineau et Silvestre, le(s) « symbole(s) » est/sont « important(s) », et pour le premier, il y a même dans les « réformes » gouvernementales et en particulier celle concernant les droits de succession « quelque chose de très symbolique ».
[6] En gras, ici comme dans la suite : souligné par nous. On a bien noté au passage « ensemble des Français » = « plutôt de classe moyenne » : sic ! Concernant l’origine sociale des étudiants, le syndicat SUD-Etudiant note dans sa brochure 2004-2005 : « on compte seulement 13% d’enfants d’ouvrier-es en première année, qui ne sont plus que 5% en troisième cycle » (voir sur le site de SUD-Etudiant). Quand on sait que cet « écrémage » est en partie dû au coût des études (en particulier longues) et au fait que les étudiants les plus modestes sont contraints de travailler pour financer leurs études (ce qui entraîne chez eux un taux d’échec aux examens bien plus important que dans le reste de la population estudiantine), on mesure le caractère odieux des « propositions » de Silvestre et de Marseille, pour qui au contraire ce qui se passe à l’étranger, les droits d’inscription en France ne sont pas « décents ». Au sujet de la difficulté à concilier études et vie professionnelle, lire le rapport de l’Observatoire de la Vie Etudiante (OVE) sur la précarité et la pauvreté en milieu étudiant dirigé par C. CRIGNON et datant de 2003, p.14-15, sur le site de l’OVE.
[7] Le reportage diffusé pendant l’émission sur l’ « autonomie » des universités montre pourtant les limites et les effets pervers de cette « autonomie ». Le commentaire explique : « d’ailleurs, les universités sont des entreprises. Les professeurs sont recrutés par des chasseurs de têtes. […] Les professeurs ont la pression dans une culture du résultat où l’étudiant est d’abord un client ». Une professeure allemande y déclare même que les profs sont soumis à des « exercices » pour les évaluer qui lui rappelle « franchement les exercices d’autocritique dans les systèmes communistes ». Selon elle, on ne donne que des bonnes et des très bonnes notes aux « clients ». Qu’à cela ne tienne, nos chantres de la privatisation des universités françaises réussissent le tour de force de retourner cela en points positifs.
[8] S’il lui arrive de contester la volonté gouvernementale de favoriser les « riches » par son « paquet fiscal », Joffrin, quand il ne joue pas au conseiller stratégique du gouvernement, soutient en revanche contre Marseille que l’« autonomie des universités » est souhaitable pour favoriser une meilleure « gestion », alors que Marseille nie qu’il existe un lien de cause à effet entre les deux choses. Il se défend d’autre part à plusieurs reprises de vouloir donner raison aux syndicats, étudiants notamment.
[9] La comparaison – et non « l’équilibre » - exige que l’on compare ce qui est comparable : autrement dit, le taux de syndicalisation chez les salariés et chez les patrons, ou le nombre de salariés et le nombre de patrons (ce qui aurait permis à Marseille de constater qu’à l’échelle de la population française, les premiers étaient plus « représentatifs » que les seconds).
[10] Ce que dit Marseille est en effet mensonger, car les syndicats ont aussi des ressources provenant des cotisations de leurs adhérents ou de dons divers. Mais cela n’a aucune importance.
[11] « Il » ? Nicolas Sarkozy serait-il à ce point omnipotent que ses zélateurs ne prennent même plus la peine de citer son nom quand ils parlent de Ses actions ?
[12] Plus loin, ce sont les syndicats du CNRS qui se « dressent sur leurs ergots », dixit Thierry Guerrier.
[13] Thierry Guerrier a en effet répliqué à cette remarque : « Je voudrais comprendre. Est-ce qu’on est en train d’inventer une culture du compromis à la française ou est-ce qu’on est en train de plaquer la culture du compromis à l’allemande par exemple. »
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