Le procès de Jacques Attali
Gardes, faites entrer l'accusé !
Le président : Conseiller de François Mitterrand puis banquier libéral, découvreur de Ségolène Royal et ami de Nicolas Sarkozy, vous êtes accusé d'avoir soudé entre eux la gauche qui capitule, les patrons qui plastronnent et les médias qui mentent.
La défense : Nous plaidons coupable : c'est en effet notre projet ! L'accusé n'aime pas le souligner, par modestie, mais il est doué - à la fois énarque et polytechnicien. Son ami Alain Minc a estimé : « Jacques Attali est un esprit que je trouve supérieur à quiconque et y compris à moi sur maints plans, en tout cas intellectuel. »
Le procureur : Mais, au cours du même entretien, Minc, pour une fois lucide, ajoutait : « Ni Attali ni moi ne laisserons des livres qui dureront, c'est une évidence. » Quand ils ne sont pas plagiés, certains des ouvrages d'Attali ruissellent d'erreurs. Dans sa « biographie » de Marx, il transforme par exemple le monarchiste Raoul Villain, qui assassina Jaurès, en... « anarchiste ». Il paraît également avoir confondu le palais d'Été (situé à Pékin) et le palais d'Hiver (de Saint-Pétersbourg). Quant à la modestie du prévenu, vous voulez rire ! Mon dossier déborde des preuves du contraire [il montre une pile de
90 centimètres et y plonge la main au hasard].
Le président : Ne nous lisez pas tout !
Le procureur [qui fait mine de n'avoir pas entendu] : Le 30 mai 1998, Jean-Pierre Elkabbach rapporte à Jean Daniel une réflexion de leur ami commun Attali : « Que ferais-je de plus dans un nouveau septennat ? Déjà quarante chefs d'État m'appellent par mon prénom. » Le -25 fé-vrier 1999, l'accusé fait le paon, cette fois devant un journaliste de Libération : « J'ai écrit 28 livres, traduits en 17 langues, et 2 millions d'exemplaires vendus. Pas mal, non ? Leonard Bernstein m'appelait maître. » Le 13 janvier 1995...
Le président (impatient) : Bon, on a compris !
Le procureur : Soit. Mais [il montre à nouveau son gigantesque dossier] la fatuité de l'accusé ne s'est pas estompée avec le millénaire.
La défense : Là, vous faites erreur. La soixantaine approchant, mon client s'est d'abord soucié d'argent.
Le procureur : Désormais, il réclame en effet près de 20 000 euros par conférence et explique que « les auteurs vont devenir des spectacles vivants. Ils vont gagner plus d'argent avec leurs conférences qu'avec leurs livres - comme les journalistes, avec les ménages, gagnent plus d'argent qu'avec l'exercice de leur métier ». Du temps de Jean-Marie Messier, il a reçu 457 000 euros de Vivendi Universal en échange de ses conseils lors de la prise de contrôle (1,2 milliard d'euros) d'un réseau de mobiles polonais. Un brillant conseil : la participation a été revendue pour moitié moins... Mais l'accusé a également appuyé le général-président du Congo Sassou-Nguesso, dont les miliciens avaient massacré des centaines de civils.
La défense : Impossible ! Un pays très pauvre qui loue à mon client son carnet d'adresses citoyennes contre un forfait de 61 000 euros par mois ne peut pas être tyrannique !
L'accusé : À l'époque, comme je l'ai indiqué, « notre volonté était d'accompagner des pays vers la démocratie ». Au Congo, mon entreprise A&A cherchait à développer des « microcrédits devant créer des emplois de proximité ». [Ricanements et vomissements dans la salle.]
Le procureur : L'accusé s'est également rendu en Angola dans l'avion de Pierre Falcone, mis en cause pour trafic d'armes. Cet homme d'affaires a admis avoir rémunéré l'accusé : « Je l'ai contacté pour lui faire part de l'immense besoin de reconstruction de l'Angola. Il m'a dit que, a priori, c'était le type de pays où une structure de microcrédits pouvait être efficace. »
Le président : Je vois que l'accusé s'est aussi, très tôt, soucié de culture. En 1972, il réalise un film sur la « qualité de vie » pour les assises nationales du patronat.
La défense [avec des trémolos d'exaltation] : Cette passion pour l'art populaire ne l'a plus quitté. En 1999, il se lance sur les planches avec sa pièce Les Portes du Ciel. Le contre-pouvoir salue l'artiste. Jean-Pierre Elkabbach, Ruth Elkrief, Bernard Pivot invitent notre nouveau Molière à parler de théâtre. Le soir de la générale, toute la culture internationale est venue : Jean Tiberi, Jacques Toubon, Robert Hue, Catherine Trautmann, Bernard Kouchner, Danièle Gilbert, Jacques Delors, Jack Lang, Christine Ockrent, Michel Rocard, Michel Drucker... [L'avocat se pâme et défaille.]
L'accusation : Remettez-vous, maître [narquois], nous ne sommes pas à la Comédie-Française... Le Monde, tout en assurant la promotion d'un vieil ami de Minc et de Colombani, se sent obligé de noter que la « pièce » est un patchwork de dialogues stéréotypés et solennels : « Les seniors seront enchantés par l'impression de tomber sur des propositions de dissertation inédites du Lagarde et Michard. »
Le président : Passons. Le 4 février 1999, l'accusé réclame une intervention militaire européenne au Kosovo. Le titre de son appel : « Sauvons le Kosovo ! » Un an plus tôt, il propose la « création de brigades internationales » en Algérie. Interrogé sur sa disposition à en faire partie, il répond : « S'il fallait prendre sa part dans une bataille de ce genre, sans ridicule particulier, je le ferais. » Or vous êtes resté à Paris.
L'accusé : Non, pas à Paris. Mon hôtel particulier est sis à Neuilly. J'y ai souvent reçu Sarkozy.
Le procureur : Et c'est ce matamore du clavier prêt à exiger que le hall d'entrée de sa banque soit en marbre de Carrare qui, dans l'émission du monarchiste Stéphane Bern, reprocha à Albert Camus, qui fut le directeur du journal clandestin Combat, d'avoir sous l'Occupation « bu des coups à Saint-Germain avec les Allemands »...
Le président : Calmez-vous ! [Il reprend.] Le 19 avril 2004, l'accusé fustige dans L'Express le gouvernement Raffarin, qui vient d'appeler les ressortissants français à quitter l'Irak occupé. C'est pour lui « une attitude de fuite », alors qu'il faudrait plutôt « aider la victoire de la démocratie en Irak ».
L'accusé : Je pense que les démocraties doivent se montrer courageuses.
Le président : Toutefois, ce 19 avril, au lieu d'assembler votre paquetage pour partir au combat, vous préparez un « concert exceptionnel devant un public composé de personnalités de la politique, de l'économie et de la publicité ». Richard Attias vous aide à monter le projet.
L'avocat : Mon client est aussi nomade que les élans sentimentaux d'Attias [futur amant de Cécilia Sarkozy, ndlr]. Les deux firent connaissance dans un avion. La suite, Attias l'a expliquée au Figaro : « Nous avons parlé musique. Il voulait jouer dans la capitale. L'audace de ce défi et son enthousiasme m'ont convaincu de l'aider à réaliser ce rêve. » Défi social, rêve : la vie de Jacques Attali est un symbole de réussite pour les jeunes de banlieue. D'ailleurs Rachida Dati...
Le président : Faites entrer Mme la Ministre de la Justice. Vous connaissez l'accusé ?
Rachida Dati : Oui, je le rappelais encore le 15 janvier dernier à Elkabbach sur Europe 1, j'ai eu trois parrains en politique : l'ancien ministre Albin Chalandon, feu le patron humaniste Jean-Luc Lagardère, enfin Jacques Attali dont [Elle gronde.] je me demande bien ce qu'il fait ici ...
Le président [baisse les yeux et, avec une voix doucereuse] : Et vous avez rencontré l'accusé lors d'une de ses courageuses missions humanitaires dans les... quartiers difficiles.
Rachida Dati : Certainement pas ! Nous avons fait connaissance lors d'un dîner mensuel du Siècle, un club ultrasélect de 550 membres. Outre Attali, on y retrouve Pinault, Rothschild, Seillière, Kouchner, Raffarin, DSK et, naturellement, les journalistes les plus intrépides : Elkabbach, Colombani, Giesbert, July, PPDA, Joffrin. [En prononçant ce nom barbichu, elle éclate de rire, la salle aussi.] Je travaillais déjà pour Sarkozy, ami d'Attali. Très vite, Attali m'a recrutée, comme Kouchner, dans le conseil d'administration de son machin PlanetFinance.
Le procureur : Et vous savez renvoyer l'ascenseur. Le 12 mai dernier, dans l'émission sarkozyste de Giesbert justement, vous recommandez un livre. C'est celui d'Attali, Une brève histoire de l'avenir.
Rachida Dati : Pressée comme je suis, je voulais, brièvement, connaître mon avenir. [Elle fait un petit signe à l'accusé puis tourne les talons, son téléphone portable vissé à l'oreille. Jacques Attali la suit, acquitté d'office.]
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