24/10/2007

Une belle 'usine à gaz' pour des cacahouètes

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Durant la campagne présidentielle, les dirigeants d'entreprises avaient été conquis par une idée chère à Nicolas Sarkozy : "Travailler plus pour gagner plus" Aujourd'hui, nombre d'entre eux déchantent depuis que ce slogan électoral est devenu réalité, grâce à la loi du 21 août 2007 "en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat" (TEPA).Heures supplémentaires : les entrepreneurs déchantent
LE MONDE | 22.10.07 | 14h49 • Mis à jour le 22.10.07 | 15h23

Ce texte, qui allège les prélèvements fiscaux et sociaux sur les heures supplémentaires et complémentaires, est une "usine à gaz", estime Christian du Mesnil du Buisson, directeur financier d'Agatha, une société d'environ 500 salariés qui commercialise des bijoux fantaisie. "En vingt-sept ans de carrière dans les ressources humaines, c'est l'un des dispositifs les plus complexes que j'ai eu à connaître", renchérit Eric Asselin, DRH du groupe de transport public Keolis (environ 33 500 salariés dans le monde).

Modalités de calcul des réductions de cotisations salariales, dénombrement des heures supplémentaires... Plusieurs dispositions de la "loi TEPA" se révèlent difficiles à déchiffrer. Entrées en vigueur le 1er octobre, elles font même parfois l'objet d'interprétations divergentes. Pierre Faucher, président de la commission sociale du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, raconte avoir eu un désaccord avec un agent de l'Urssaf à propos du nombre d'heures supplémentaires qu'il fallait prendre en considération pour une entreprise où le temps de travail varie d'une semaine à une autre.

Confrontés à un texte dont ils n'ont pas saisi toutes les subtilités, certains responsables de très petites entreprises disent se retrouver dans des situations embarrassantes lorsque leur main-d'oeuvre demande des éclaircissements sur les avantages de la réforme. "La vraie difficulté consiste à expliquer cette loi. Or, je n'ai pas très bien compris les règles sur la défiscalisation", confie Olivier Beurton, gérant d'une SARL qui emploie une à deux personnes - voire quatre, lorsque le niveau d'activité est élevé.

UN IMPACT LIMITÉ

Le nombre d'heures supplémentaires effectuées devra être scrupuleusement reporté dans des documents spécifiques. Ce suivi était déjà demandé par les textes, avant même l'adoption de la "loi TEPA", mais il n'était pas forcément ancré dans les habitudes des entreprises, observe M. Faucher.

Si elles pêchent par "défaut de formalisme", l'Urssaf risque fort de leur "notifier des redressements dans quelques années", pense David Jonin, associé du cabinet Gide, Loyrette et Nouel. Dans cette hypothèse, l'administration fiscale pourrait, à son tour, réclamer aux salariés de lui restituer les exonérations d'impôts sur le revenu dont ils avaient bénéficié, complète M. Faucher.


Consciente que la "loi TEPA" allait soulever de nombreuses questions, l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) a mis en place un numéro d'appel pour renseigner les employeurs déboussolés. Fait surprenant, relève Eric Le Bont, directeur de la réglementation, "nous avons été très peu contactés jusqu'à présent, mais le nombre de sollicitations est en légère hausse depuis quelques jours" : 600 appels le 5 octobre, 766 une semaine après...

Les entreprises s'emploient, elles aussi, à diffuser de l'information en interne. Chez l'enseigne de distribution Champion (groupe Carrefour), par exemple, la direction s'apprête à envoyer à l'ensemble de ses "équipes opérationnelles" une note de huit pages sur la réforme des heures supplémentaires. "Il s'agit d'un document très factuel, comprenant des fac-similés de bulletin de salaire, pour montrer ce qui change", explique Marc Veyron, DRH de l'enseigne. L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) a également élaboré deux "circulaires" pour faire oeuvre de pédagogie en direction de ses adhérents.

Enfin, les entreprises vont devoir remettre à jour leurs logiciels de paie. Chez Agatha, c'est une "société de service informatique" qui s'en charge, d'après M. du Mesnil du Buisson. Montant de la facture : "entre 2 000 et 3 000 euros".

Cela dit, dans un certain nombre de sociétés, ces "adaptations" peuvent aussi être vécues avec plus de sérénité. "La loi TEPA nous a causé quelques complications pour les payes du mois d'octobre, indique Samir Rizk, directeur général du groupe GA (bâtiment, un peu plus de 400 salariés). Mais nous disposons d'un service informatique costaud. Une fois qu'il aura actualisé les logiciels, nous ne devrions plus rencontrer de difficultés."

Au-delà de leur complexité, les nouvelles dispositions sur les heures supplémentaires risquent fort d'avoir un impact limité, aux yeux de nombreux patrons, car les réductions de charges se révèlent trop modestes, selon eux. " Je ne suis pas persuadé que la loi TEPA va encourager les entreprises à recourir aux heures supplémentaires", conclut M. Faucher.
Bertrand Bissuel
Article paru dans l'édition du 23.10.07.

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