18/09/2008

Médias : à qui profite le rapport Giazzi ?

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Le rapport Giazzi sur "les médias et le numérique", que lepoint.fr vous propose en exclusivité , énumère 34 recommandations dont 13 sont présentées comme "incontournables" par son auteur. Danièle Giazzi a rencontré plus de 80 interlocuteurs (des patrons de presse aux syndicalistes en passant par les experts). Les lignes de force qui se dégagent de ses conclusions traduisent les revendications portées par différents types de lobbies.









1. Le lobby industriel

Un mot résume leur revendication de longue date : dérégulation . De Martin Bouygues (TF1) à Arnaud Lagardère ( Paris Match , Europe 1, Elle , le JDD ...), en passant par Nicolas de Tavernost (M6), Jean-Paul Beaudecroux (NRJ)... tous revendiquent un allègement du carcan règlementaire. Danièle Giazzi a reçu le message 5 sur 5 et propose de faire sauter les seuils anti-concentration. C'est la recommandation 23.
Martin Bouygues pourrait ainsi posséder 100 % de TF1 (au lieu de 49 % aujourd'hui), acquérir un groupe de radio (pourquoi pas NRJ ?) ainsi qu'un quotidien de dimension nationale ( Le Figaro l'intéressait il y a quelques années). En autorisant une telle concentration, Danièle Giazzi entend favoriser l'émergence de groupes puissants, capables, à partir d'une souche française solide, de se projeter dans la compétition mondiale. C'est aussi la volonté déjà exprimée de Nicolas Sarkozy. Mais quid du pluralisme des courants d'opinion, si tant de médias sont concentrés dans si peu de mains ?
Danièle Giazzi estime que la liberté d'expression n'en serait pas menacée car Internet pallie les failles, tandis que l'Union européenne veille au respect de la concurrence...

Jean-Paul Beaudecroux, le patron de NRJ, milite depuis des années pour que le seuil maximal des 150 millions d'auditeurs pour un opérateur soit relevé à 180 millions. Danièle Giazzi (recommandation 24) y est favorable. Le ministère de la culture n'est pas sur cette ligne. Ce faisant, Beaudecroux (qui possède NRJ, Chérie FM, Nostalgie et Rires et Chansons) pourrait ainsi reprendre ses emplettes et - pourquoi pas ? - racheter son grand concurrent : Skyrock. Ou bien faire son marché chez les radios dites "indépendantes" qui lui font de l'ombre sur le plan publicitaire. Arnaud Lagardère (Europe 1, Europe 2, Virgin) ne verrait pas non plus d'inconvénient à se déployer en avalant d'autres radios...


2. Le lobby des journalistes

Danièle Giazzi a bien conscience qu'en libérant l'appétit des industriels des médias, le pluralisme risque de faire partie du banquet. Elle propose donc de préserver ce principe à valeur constitutionnelle en renforçant le statut du journaliste. En somme, posséder un média, ce n'est pas élever en batterie une armée de journalistes aux ordres... Mais comment ? Inscrire l'indépendance de la presse dans la Constitution. Nicolas Sarkozy vient de le faire lors de la réforme des institutions. Mais quelle en sera la traduction concrète dans la vie de tous les jours pour le journaliste de base ? Le rapport Giazzi propose de créer un observatoire du pluralisme dans la presse auprès du Premier ministre... C'est oublier que le Premier ministre est un acteur politique et qu'il n'a pas toujours intérêt à ce que la presse exerce ses investigations à ses dépens. En quoi ce comité théodule sera-t-il le véritable garant de l'indépendance ? Fausse piste, qui ne trompera aucune carte de presse.
Plus sérieuse est la proposition consistant à inscrire les chartes déontologiques des journalistes dans leur convention collective (recommandation 6). C'est une revendication du Syndicat nationale des journalistes (SNJ). Danièle Giazzi y accède. Ces chartes seront-elles pour autant mieux respectées ? Seront-elles véritablement opposables aux patrons de presse ? Tout est souvent question de courage personnel, dans ces affaires... Accepter une pression d'en haut, c'est éviter la plupart du temps une punition professionnelle non dite (blocage du salaire et des carrières, placardisation progressive...).


3. La mise au pas de l'AFP

Nicolas Sarkozy en veut à l'AFP, c'est un secret de polichinelle. L'agence France presse a eu le malheur de délivrer des informations erronées sur sa vie privée (à l'époque, on a maquillé tout cela derrière le paravent de la condamnation de Ségolène Royal, mais ce n'était pas le vrai motif du courroux présidentiel). Des voix à droite se sont alors élevées pour réclamer une "privatisation de l'AFP". Tout en écrivant que l'agence est "une institution prestigieuse dont la marque est une référence en matière d'information", Danièle Giazzi emprunte aussi ce chemin en proposant que l'AFP "ouvre son capital si nécessaire" afin de disposer de fonds propres. Ce qui agace prodigieusement le pouvoir, c'est que l'AFP, statutairement, n'appartient à personne, et qu'elle est gérée par un conseil essentiellement composé de patrons de presse (voir article précédent). Ce qui la rend très indépendante du pouvoir tout en vivant des deniers publics.

4. Le droit d'auteur des journalistes bousculé

Danièle Giazzi se range clairement du côté du patronat : elle estime qu'un journaliste de presse écrite, en l'échange d'un salaire, devrait abandonner ses textes à son employeur qui pourrait ainsi les utiliser à sa guise sur tous les supports (papier, numérique, mobile). Elle concède que, contre une rémunération supplémentaire, le patron de presse pourrait également faire circuler les textes d'un titre à l'autre à l'intérieur de son groupe de presse. En somme, un journaliste qui écrit un article pour son quotidien verrait son texte réduit à quelques lignes pour le mobile et recomposé différemment pour le site Web. Puis, contre un petit supplément, son texte retravaillé pourrait figurer sur un autre titre du groupe, voire à l'étranger. En somme, quel est le statut d'un texte ? De la marchandise "saucissonnable" à volonté.
Danièle Giazzi concède tout de même que le journaliste conserve le droit de refuser la cession du "contenu" à l'extérieur du groupe si le support ou le groupe acquéreur ne lui conviennent pas.


5. Où finira le rapport Giazzi ?

Dans notre République, les rapports connaissent deux destinations : soit ils finissent au fond d'un tiroir ministériel, et c'est l'oubli ; soit ils deviennent des lois, des décrets et des arrêtés, en tout ou partie.
Celui de Danièle Giazzi a l'avantage d'épouser les thèses défendues par Nicolas Sarkozy. Mais il n'a pas vraiment l'approbation de Christine Albanel, ministre de la Culture, qui s'est refusée à la recevoir... Danièle Giazzi n'a pu rencontrer que des conseillers de la ministre.
Laquelle des deux femmes aura le plus d'influence auprès du Président ? C'est dans cette lutte de couloir que se joue la destinée du rapport...

source : Le point

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