La «France qui brûle» scrutée par la presse britannique
La presse britannique suit attentivement la mobilisation des Français contre la réforme des retraites. Elle accorde un intérêt particulier au durcissement du mouvement survenu ces derniers jours. Mais elle s'intéresse également au défi politique auquel Nicolas Sarkozy se trouve confronté, ainsi qu'à une éventuelle propagation de ces protestations.«La France brûle»
The Independent n'y va pas par quatre chemins. «La France brûle», titre le quotidien de gauche. Le journal souligne que les violents incidents survenus ces derniers jours rappellent «l'orgie d'automutilation survenue lors des émeutes multiraciales dans les banlieues en octobre-novembre 2005».Le tabloïd Daily Mail, deuxième tirage du pays, se focalise lui aussi sur les violences qui ont opposé plusieurs centaines de jeunes et les forces de l'ordre. Il publie sur son site de nombreuses photos, spectaculaires, des affrontements. Autre angle de traitement, le blocage partiel de certains secteurs de l'économie française (raffineries, transports). Pire, selon le Daily Mail, «beaucoup en France auraient peur d'un nouveau Mai 68 à Paris, lorsque des milliers de personnes avaient battu le pavé pour renverser le pouvoir du président Charles de Gaulle».
Le dilemme de Sarkozy
Le conflit porte «autant contre Sarkozy et contre l'establishment que contre la réforme des retraites», analyse The Independent. «Quel que soit l'épilogue de cette affaire, il semble que Nicolas Sarkozy a déjà perdu la bataille du "travailler plus pour gagner plus"», affirme le correspondant quotidien à Paris. Pour ce qui n'est pourtant, selon lui, qu'une «réforme modeste». L'échec, depuis 2007, est patent: «Il avait promis aux Français un gouvernement qui ne se soucierait que d'eux, il a au contraire mené une présidence qui n'a été que le culte du Moi.»Le Telegraph (conservateur) décrit la situation délicate du chef de l'Etat. «Rehausser l'âge de départ à la retraite à 62 ans est un petit sacrifice, alors que le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et d'autres ont fixé la barrière à 65 ans et envisagent de nouvelles augmentations». «Reculer serait un suicide politique pour Nicolas Sarkozy», explique le journal, d'autant plus pour quelqu'un qui espère affirmer sa stature d'homme d'Etat en dirigeant le G20 et le G8 l'an prochain. «Un éventuel échec à réformer le système des retraites affaiblirait sa position de champion du nouvel ordre économique mondial.» La «chance» du chef de l'Etat pourrait résider dans les «violences urbaines anarchiques», qui favoriseraient sa réputation de dirigeant «sévère contre le crime», selon le journal.
Si Sky News estime que «les manifestations prolongées ont souvent pour effet de faire renoncer les plus ardents présidents», le Financial Times insiste au contraire sur la faible marge de manœuvre de Nicolas Sarkozy: «Les sondages montrent que ses électeurs attendent de lui qu'il reste ferme.»
Le quotidien économique d'obédience libérale enjoint le président français à ne pas laisser les protestataires faire dérailler sa réforme. «Les changements sont nécessaires - pas seulement pour sauver le système des retraites ou s'attaquer au déficit - mais aussi pour sauver la présidence de Nicolas Sarkozy et son idée selon laquelle la France était prête à être réformée». Le FT va même plus loin, puisqu'il estime que le projet gouvernemental n'est pas assez ambitieux et qu'une nouvelle mouture devra être proposée d'ici 2020.
La France, trois étoiles au Michelin de la manif
Au détour d'un article très factuel, le Daily Mail (conservateur) cite l'économiste américain Joseph Stiglitz, selon lequel les «citoyens américains et britanniques devraient suivre l'exemple français et descendre dans la rue pour protester contre les plans d'austérité et de réforme des systèmes d'Etat-providence». Une idée développée mardi dans le Guardian (centre-gauche) par l'éditorialiste Tariq Ali, qui a salué la combativité des manifestants français.«Si l'on devait établir un guide Michelin des manifestations, la France aurait trois étoiles, la Grèce viendrait ensuite avec deux étoiles.» Selon lui, la mobilisation française contraste nettement avec les actions «misérables et minables» menées par «les syndicats poltrons» outre-Manche contre l'austérité. Selon lui, «l'épidémie française pourrait se propager, mais rien ne viendra du sommet». La raison? «Les gens du New Labour ont institutionnalisé les coups dur infligés par Margaret Thatcher.»
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