Sarkozy-Kadhafi: la preuve du financement
28 avril 2012 |
Le régime de Mouammar Kadhafi a bien
décidé de financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en
2007. Mediapart a retrouvé un document officiel libyen qui
le prouve.
Cette note issue des archives des services secrets a été rédigée il y a plus de cinq ans.
L’en-tête et le blason vert de la Jamahiriya préimprimés s’effacent d’ailleurs légèrement.
Ce document, avec d’autres, a échappé aux destructions de l’offensive militaire occidentale.
D’anciens hauts responsables du pays,
aujourd’hui dans la clandestinité, ont accepté de le communiquer à
Mediapart ces tout derniers jours.
La note signée Moussa Koussa. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
La traduction intégrale du document est à lire sous l'onglet "Prolonger" de cet article
Dès 2006, le régime libyen avait choisi « d’appuyer la campagne électorale» de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007, et ce pour un « montant de
cinquante millions d’euros » : c’est ce qu’indique en toutes
lettres cette note datée du 10 décembre 2006, signée par Moussa Koussa,
l’ancien chef des services de renseignements extérieurs
de la Libye.
Un accord « sur le montant et les modes de versement »
aurait été validé quelques mois plus tôt par Brice Hortefeux, alors
ministre délégué aux
collectivités locales, en présence de l’homme d’affaires Ziad
Takieddine, qui a introduit dès 2005 en Libye les proches du ministre de
l’intérieur, notamment Claude Guéant, et Nicolas Sarkozy
lui-même.
Le directeur de cabinet de Mouammar
Kadhafi, Bachir Saleh, alors à la tête du Libyan African Portfolio (LAP,
soit l'un des fonds d'investissement financier du
régime libyen), aurait de son côté été chargé de superviser les
paiements.
Mon client n'était pas présent à la réunion indiquée dans le document,
nous a indiqué Me Samia Maktouf, l’avocate de M. Takieddine. En revanche, il pense que ce document est crédible, vu la date et les personnes qui apparaissent
dans ce document outre lui-même. »
« Ce document prouve qu'on est en présence d'une affaire d'Etat, que ces 50 millions d'euros aient été versés ou non, a lui-même commenté M. Takieddine,
rencontré par Mediapart vendredi 27 avril.
L'enquête sera difficile parce
que beaucoup d'intervenants sont morts pendant la guerre en Libye, mais
c'est déjà important de rendre public ce document
».
Cette réponse de Ziad Takieddine –
malgré son hostilité exprimée de multiples fois à notre égard – est
celle d’un acteur clé de la lune de miel franco-libyenne, qui
a secrètement conseillé Claude Guéant jusqu’à la veille de la
guerre, comme en attestent de nombreuses notes publiées par Mediapart.
L’une d’entre elles, rédigée le 6
septembre 2005 par Ziad Takieddine et adressée à Claude Guéant,
affirmait ainsi que certains pourparlers franco-libyens devaient
« revêtir un caractère secret ».
« L’autre avantage : plus d'aise pour évoquer l'autre sujet important, de la manière la plus directe...», précisait le document, mystérieusement.
L’élément nouveau que nous publions
aujourd’hui vient désormais confirmer les accusations portées par les
principaux dirigeants libyens eux-mêmes peu avant le
déclenchement de la guerre sous l'impulsion de la France, en mars
2011.
Mouammar Kadhafi, son fils Saïf
al-Islam et un ancien chef des services secrets, Abdallah Senoussi,
avaient en effet tous trois affirmé publiquement détenir des
preuves d'un financement occulte du président français.
La découverte de la note de M. Koussa
exige désormais que s’engagent des investigations officielles –
qu’elles soient judiciaires, policières ou parlementaires –
sur cet épisode sombre et occulte des relations franco-libyennes.
La face cachée de l’arrivée de
Nicolas Sarkozy sur la scène libyenne, en 2005, puis en 2007,
apparaissait déjà en filigrane dans le dossier des ventes d’armes à
l’Arabie Saoudite et au Pakistan instruit par les juges Renaud Van
Ruymbeke et Roger Le Loire, en particulier à travers l’activité de
lobbying déployée par M. Takieddine en faveur de l’ancien
ministre de l’intérieur auprès de Tripoli.
Or l’enquête entre leurs mains vient
d’être élargie par un réquisitoire supplétif, le 5 avril dernier, à tous
les faits de blanchiment présumés apparus jusqu’à ce
jour.
Les investigations visent
l’intermédiaire, mais aussi plusieurs proches du chef de l’Etat, Thierry
Gaubert, Brice Hortefeux, Nicolas Bazire ou encore plus
indirectement Jean-François Copé.
Echappée des secrets de la dictature
déchue, la note décisive que nous reproduisons ci-dessous – et dont la
traduction intégrale est sous l'onglet Prolonger — vient
en outre confirmer les propos de l'ancien médecin de M. Takieddine,
qui avait suivi alors les déplacements de l'homme d'affaires, notamment
en Libye, et avait rapporté des projets de financement
de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy par la Libye.
Selon des connaisseurs du régime
libyen à qui nous l'avons soumis, ce document, dont le signataire et le
destinataire appartenaient au premier cercle de Kadhafi,
est conforme, jusque dans son style, aux habitudes bureaucratiques
du régime.
Outre celle du calendrier grégorien,
la deuxième date qui y figure conforte son authenticité: elle n'est pas
celle du calendrier musulman habituel, mais de celui
imposé par le dictateur, qui part de l'année du décès du prophète
Mahomet, l'an 632.
Un document authentique, selon Ziad Takieddine
Depuis plusieurs mois, nous avons
entrepris des recherches pour retrouver des dépositaires d’archives du
régime déchu, en rencontrant à Paris et à l’étranger
plusieurs représentants de factions libyennes, dont certaines
avaient conservé des documents et d’autres s’en étaient emparé, en marge
des affrontements armés.
Ainsi, Mediapart a publié ici, dès le 10 avril dernier, des documents des services spéciaux libyens demandant des mesures de
surveillance d’opposants toubous domiciliés en France.
Le document décisif que nous publions
aujourd’hui, sous la signature de Moussa Koussa, a été adressé, le 10
décembre 2006, à un ancien homme clé du régime libyen,
Bachir Saleh, surnommé le « caissier de Kadhafi ».
Directeur de cabinet du “guide”
déchu, M. Saleh était aussi le responsable du Libyan African Portfolio
(LAP), le puissant fonds souverain libyen crédité de plus de
40 milliards de dollars.
Sous l’ère Kadhafi, le LAP a servi à d’innombrables opérations d’investissement.
Certaines avouables (tourisme,
pétrole, agriculture, télécommunications…). Et d’autres moins, comme
l’ont confirmé plusieurs sources libyennes concordantes.
Contacté sur son numéro de téléphone portable français, M. Saleh n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Connu pour avoir été l’un des plus
proches collaborateurs de Mouammar Kadhafi et le mentor de deux de ses
fils (Motassem et Saïf al-Islam), Moussa Koussa a quant à
lui été le patron pendant plus de quinze ans, entre 1994-2011, des
services secrets extérieurs libyens (l’équivalent de la DGSE française),
avant de devenir le ministre des affaires étrangères de
la Libye.
Notons que l’auteur de cette note et son destinataire ont vécu, à l’heure de la chute du régime Kadhafi, des destins similaires.
Moussa Koussa vit actuellement au
Qatar, sous protection, après avoir fui la Libye en guerre, en mars
2011, ralliant d’abord Londres, puis quelques semaines plus
tard Doha. Bachir Saleh, emprisonné brièvement par les rebelles du
Conseil national de transition (CNT) avant d’être relâché en août
dernier, a été exfiltré et accueilli par les Français.
Comme l'a rapporté Le Canard enchaîné, lui et sa famille bénéficient toujours de la protection des autorités françaises qui leur ont accordé un titre de
séjour provisoire.
Les deux paragraphes écrits par Moussa Koussa sont sans équivoque sur le sujet explosif abordé.
«En référence aux instructions
émises par le bureau de liaison du comité populaire général concernant
l’approbation d’appuyer la campagne électorale du candidat
aux élections présidentielles, Monsieur Nicolas Sarkozy, pour un
montant d’une valeur de cinquante millions d’euros », peut-on d'abord y lire.
Puis M. Koussa affirme transmettre et confirmer « l’accord de principe sur le sujet cité ci-dessus ».
Le montant pharaonique promis par les
Libyens est à rapprocher des 20 millions d’euros officiellement
dépensées par Nicolas Sarkozy lors de sa campagne
présidentielle de 2007.
L’ancien chef des services secrets extérieurs de Mouammar Kadhafi ajoute dans sa note que l’accord évoqué est formulé «
après avoir pris connaissance du
procès-verbal de la réunion tenue le 6. 10. 2006, à laquelle ont
participé de notre côté le directeur des services de renseignements
libyens (Abdallah Senoussi, ndlr) et le président du
Fonds Libyen des investissements africains (Bachir Saleh, ndlr), et du côté français Monsieur Brice Hortefeux et Monsieur Ziad Takieddine ».
Ce serait « au cours » de cette entrevue qu’« un accord a été conclu pour déterminer le montant et le mode de paiement ».
Le document ne précise cependant pas
le lieu de cette réunion, qui s’est tenue un an jour pour jour après une
visite de Nicolas Sarkozy en Libye.
Ziad Takieddine, rencontré par
Mediapart en présence de ses avocats, vendredi 27 avril, n’a pas
contesté l’authenticité du document que nous lui avons présenté,
tout en précisant comme Me Samia Maktouf, son avocate, qu’il n’avait
pas été présent, le jour indiqué, à cette réunion.
« Je n'ai pas assisté à cette réunion, mais elle a certainement pu avoir lieu, nous a indiqué M. Takieddine.
Votre document reflète un accord
signé par Moussa Koussa pour soutenir la campagne présidentielle de
Nicolas Sarkozy en 2007, et Brice Hortefeux a été
effectivement là-bas à cette date ainsi qu'à d'autres dates, ça,
c'est sûr. M. Moussa Koussa et les autres personnes citées étaient
effectivement des relais avec la France ».
Selon M. Takieddine, Claude Guéant, l’ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, et « son correspondant en matière de renseignement d'Etat », Bernard
Squarcini, étaient parallèlement en lien étroit avec M. Koussa.
« Cela se passait nécessairement en secret, vu la sensibilité des relations entre les services de renseignement », précise-t-il, tout en confirmant
l’implication, côté libyen, de Béchir Saleh, comme représentant du LAP, et Abdallah Senoussi lui-même « dans les relations de la Libye avec la France ».
« J'ai les éléments et je n'hésiterai pas à les sortir »
Les relevés des voyages de M.
Takieddine, dont la justice française détient la copie depuis plusieurs
mois, montrent toutefois que l’homme d’affaires était à
Tripoli le 9 décembre 2006, soit la veille de la rédaction de la
note de Moussa Koussa.
Il était également en Libye quelques jours plus tôt, les 20 et 21 novembre.
Dans une entretien accordé le 25 avril à l’hebdomadaire Jeune Afrique, M. Takieddine déclare avoir été informé en mars 2011 par Saif al-Islam Kadhafi de
l’existence d’un « versement d’argent » pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
« Lors de ma dernière rencontre
avec Seif al-Islam que j'ai interrogé, il m'avait bien dit: “J'ai les
éléments et je n'hésiterai pas à les sortir”,
explique M. Takieddine à Mediapart.
En réalité, il ne pensait pas que Nicolas Sarkozy irait jusqu'au bout.
On peut penser que c'est pour
cette raison que le système a protégé Bachir Saleh (exfiltration et
production d'un passeport diplomatique) et qu'ils ont essayé
par tous les moyens de tuer Saif al-Islam qui a été à l'origine de
ces révélations.
Par ailleurs, cela explique l'accueil que Monsieur Claude Guéant m'a réservé dès mon retour de Libye, en m'arrêtant à l'aéroport (ndlr, le 5 mars
2011), car il pouvait penser que j'étais moi-même en possession de ces documents, pour pouvoir les subtiliser. »
MM. Hortefeux et Takieddine, en 2005
Ce n’est pas la première fois que le
nom de Brice Hortefeux est associé à l’arrière-plan financier des
relations franco-libyennes.
Mais le haut responsable de l’UMP, intime de Nicolas Sarkozy, a toujours démenti.
« Je n'ai jamais rencontré Moussa Koussa et Bachir Saleh, a déclaré M. Hortefeux à Mediapart, le 27 avril. J'ai déjà rencontré Abdallah Senoussi, qui
connaissait beaucoup de monde, mais nous n'avons jamais de discussion sur un financement électoral.
Je suis allé en Libye une seule fois dans ma vie, en 2005. J'oppose donc un démenti catégorique et vérifiable ».
Comme Mediapart l’avait rapporté (ici),
les confessions de l’ancien médecin de M. Takieddine, couchées sur
papier le 20 décembre 2006 par le directeur d’une société de
renseignements privés suisse, Jean-Charles Brisard, évoquaient déjà le
nom de M. Hortefeux dans un schéma de financement de la
campagne de Nicolas Sarkozy par la Libye en 2007.
En des termes plus télégraphiques : «
MODALITES FIN CAMPAGNE NS », « FIN LIB 50 ME », « MONTAGE INCLUT SOC BH
PAN + BANQUE SUISSE (ND) » et « FIN CAMPAGNE
TOTALEMENT REGLE ». Le mémo Brisard avançait aussi le chiffre de 50
millions d’euros affectée à la campagne de M. Sarkozy.
« C'est grotesque », avait réagi Nicolas Sarkozy sur le plateau de TF1, le 12 mars dernier.
« S'il (Kadhafi, ndlr) l'avait financée (la campagne, ndlr), je n'aurais pas été très reconnaissant », avait ironisé le président-candidat, en référence à
l’intervention militaire française en Libye.
Contacté vendredi 27 avril, l'Elysée n'a pas souhaité faire de nouveaux commentaires.
L’actuel ministre de l'intérieur
français, Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy place
Beauvau, en 2006, a lui même admis ses contacts répétés avec
Moussa Koussa, début 2007, devant la commission d'enquête
parlementaire sur la libération des infirmières bulgares.
La sollicitude de la France vis-à-vis
de Bachir Saleh pourrait aujourd’hui trouver son explication par sa
connaissance des lourds secrets franco-libyens. Et des
circuits financiers qu'il a lui même supervisés.
Quant à Abdallah Senoussi, également
cité dans la note de décembre 2006, comme ayant participé aux réunions
préparatoires avec Brice Hortefeux, au sujet du
financement de la campagne électorale de 2007, il aurait été arrêté
il y a quelques semaines en Mauritanie, mais aucune image n’est venue
confirmer une telle affirmation.
Il est réclamé par la Libye, mais
également par la Cour pénale internationale (CPI), et la France, ayant
été condamné par contumace à Paris dans l’affaire de
l’attentat contre le DC-10 d’UTA.
Une chose est en revanche certaine :
les forces de l’Otan ont bombardé le 19 août 2011, à 5 heures du matin,
la maison d’Abdallah Senoussi, située dans le quartier
résidentiel de Gharghour, à Tripoli.
Un cuisinier indien avait trouvé la mort dans le raid et une école avait été détruite. « C'est un quartier résidentiel.
Pourquoi l'Otan bombarde ce site ? Il n'y a pas de militaires ici », avait alors dénoncé un voisin, Faouzia Ali, cité par l’Agence France
Presse.
La réponse se trouve peut-être dans les secrets qui lient M. Senoussi à la France.
« C'est le principal témoin de la
corruption financière et des accords qui ont impliqué de nombreux
dirigeants et pays, dont la France », a affirmé en mars
dernier à l'agence Reuters une source «
haut placée dans le renseignement arabe ».
un article propulsé par TORAPAMAVOA :
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