Economiques
Les enjeux de l'économie sarkozienne
Par Pierre-Yves GEOFFARD
QUOTIDIEN : lundi 21 mai 2007
Pierre-Yves Geoffard est professeur à l'Ecole d'économie de Paris.
Et maintenant, que faire ? Nicolas Sarkozy est élu, démocratiquement, pour cinq ans ; selon toute vraisemblance, ce vote sera confirmé lors des élections parlementaires. C'est donc le programme économique du candidat de l'UMP qui servira de feuille de route au gouvernement ; la composition de celui-ci, et l'intitulé des ministères, donne également une indication sur la politique qui sera menée. Ceux qui lisent régulièrement cette chronique n'accuseront pas, j'imagine, son auteur de complaisance excessive vis-à-vis des idées de Nicolas Sarkozy. Pourtant, si ce programme économique suscite de nombreuses craintes légitimes, il serait injuste de ne pas également reconnaître la pertinence de certaines mesures envisagées. Tâchons, sans sectarisme, d'en identifier les enjeux à venir.
Commençons par ce qui fâche le plus : la politique fiscale. De ce point de vue, pas de grandes surprises, mais un train de baisses d'impôt, notamment des droits de succession ainsi que des impôts sur le revenu et la fortune, à travers le renforcement du bouclier fiscal. Sans ambiguïté, la politique fiscale sera régressive : elle profitera davantage aux ménages les plus riches, qu'il s'agisse des hauts revenus ou des patrimoines importants.
En ce qui concerne les politiques de l'emploi, le tableau est plus contrasté. Le scandale actuel de l'emploi en France est sa forte polarisation entre des travailleurs relativement protégés contre la perte de leur emploi (du fait de leur statut, ou de leur secteur d'activité) et une part croissante de travailleurs précaires alternant intérim, CDD, temps partiel subi et périodes de chômage. L'urgence est de briser cette polarisation. De ce point de vue, l'encouragement des heures supplémentaires est évidemment une absurdité, tant elle ne profitera qu'aux travailleurs disposant déjà d'un emploi, qui plus est dans un secteur dynamique où les débouchés sont importants. En revanche, une réforme du contrat de travail associée à la mise en place d'une réelle sécurité sociale professionnelle peut répondre aux enjeux actuels : ces deux éléments indissociables visent à mieux protéger les personnes plutôt que de s'acharner à défendre leurs emplois. La grande difficulté sera de mener à bien simultanément ces deux volets d'une même réforme, car le pire serait sans doute de n'en conduire qu'une partie.
La protection sociale sera également au coeur de plusieurs réformes prévisibles. A commencer par les retraites. On l'a dit et redit : la baisse de la mortalité aux âges élevés déséquilibre en profondeur l'équilibre des retraites, et ni une vigoureuse natalité ni une immigration massive ne suffiront à rétablir l'équilibre de manière durable. Certes, l'allongement de la durée de vie est une excellente nouvelle, car on vit plus longtemps en meilleure santé ; mais le prix à payer pour sauver les retraites par répartition est de travailler plus longtemps. C'est d'ailleurs, peu ou prou, ce que disait déjà le Livre blanc sur l'avenir des retraites préparé, il y a plus de quinze ans par... Michel Rocard. Douze ans après, le contraste est saisissant sur cette question entre la lucidité de la droite et la consternante ambiguïté de la candidate socialiste : la pédagogie des réformes n'est plus l'apanage de la gauche. Notons au passage que la Suède a répondu aux enjeux du vieillissement en liant directement le niveau de la pension perçue à l'espérance de vie du travailleur au moment du départ à la retraite : le gouvernement Fillon saura-t-il s'inspirer d'une réforme à la fois juste et efficace ?
L'assurance maladie sera aussi, sans doute, bouleversée. La mesure phare du programme de Nicolas Sarkozy consiste à responsabiliser les patients par des mécanismes de franchise : l'assurance maladie n'interviendrait qu'au-delà d'un certain montant de dépense annuelle, montant qui peut être modulé selon le revenu ou l'état de santé de chacun. Ce mécanisme peut s'avérer très efficace ; il fonctionne dans d'autres pays sans créer de désastre en termes de santé publique et sans remettre en cause l'accès aux soins. Toutefois, il n'est pas clair que la nécessité de la réforme pèse sur la demande plutôt que sur l'offre de soins. Car l'efficience de la dépense de soins doit aussi s'appuyer sur une responsabilisation identique des professionnels de santé : le plus urgent semble bien de s'attaquer aux modes de rémunération, sujet sur lequel le programme est resté totalement silencieux.
L'objectif du revenu de solidarité active (RSA), promu depuis quelques années déjà par Martin Hirsch, est de lutter contre les tragiques effets de seuil : la reprise d'un travail, même faiblement rémunéré, peut entraîner une perte des droits à certaines allocations sociales, et se traduire par une baisse de revenu. On sait que, malgré ces effets désastreux, de nombreux allocataires du RMI préfèrent reprendre un emploi ; mais la justice, autant que l'efficacité, recommande de les encourager davantage à le faire. Le RSA peut-il répondre aux carences de la prime pour l'emploi, mesure qui visait le même objectif ? Pour cela, avant de remplacer la prime pour l'emploi, il aurait fallu conduire une véritable évaluation de cette politique, seule approche à même d'en identifier les atouts et les défaillances. La création d'un secrétariat d'Etat consacré à l'évaluation des politiques publiques semble indiquer que cette démarche sera promue par l'actuel gouvernement. Prenons acte de ces éléments positifs, et, surtout, restons vigilants lors de leur mise en oeuvre.
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