25/06/2007

Les maîtres du monde

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Le Who's who des leaders
LE MONDE | 25.06.07 | 15h27 • Mis à jour le 25.06.07 | 15h27

Quel point commun entre un salarié de Picard Surgelés, le promoteur Kaufman & Broad, le constructeur automobile Chrysler ou l'opticien Afflelou ? Tous ont pour "patron" un fonds d'investissement. Omniprésents dans le capitalisme moderne - ils ont investi dans 80 000 sociétés dans le monde depuis dix ans -, ces financiers s'emparent d'entreprises qu'ils restructurent ou développent, avant de les revendre deux ou trois fois leur mise quelques années plus tard. Partis avec quelques millions en poche, ils ont engrangé, en vingt ans, assez de profits pour lorgner sur des géants du CAC 40.
En s'attaquant à des emblèmes industriels, les fonds, initialement discrets, sont devenus de plus en plus visibles. L'entrée en Bourse, vendredi 22 juin, du fonds multimilliardaire Blackstone dans une opération de près de 5 milliards de dollars renforce cette nouvelle notoriété. Mais si Blackstone ainsi que ses homologues Carlyle KKR ou TPG sont des noms familiers, leur histoire reste encore méconnue.

CARLYLE, UN PASSÉ TROUBLE
Créé en 1987 avec 5 millions de dollars, le fonds américain gère aujourd'hui 39 milliards. Il a su, au cours des dernières années, effacer une réputation sulfureuse. Carlyle doit son nom au Carlyle Hotel de New York, où ses quatre fondateurs ont créé la société. Le fonds a longtemps flirté avec le complexe militaro-industriel américain et engagé des personnalités politiques pour obtenir des contrats publics.
George W. Bush, administrateur d'une des sociétés rachetées par Carlyle avant qu'il ne devienne président des Etats-Unis, George Bush père, ancien président des Etats-Unis, Franck Carlucci, ancien secrétaire à la défense sous Ronald Reagan, Colin Powell, secrétaire d'Etat, John Major, ancien premier ministre britannique : ces recrutements ont forgé un mythe. Pendant un temps, les sociétés détenues par Carlyle faisaient du fonds l'un des dix premiers fournisseurs du Pentagone. La découverte, au lendemain du 11-Septembre, du rôle, comme investisseur du fonds, de la famille Ben Laden, avait attiré l'attention sur Carlyle. "Une famille riche et respectable jusqu'à ce que l'un des 49 frères dirige Al-Qaida", argue l'un des porte-parole du fonds.
Carlyle est ainsi devenu le symbole des relations troubles entre le secteur de la défense aux Etats-Unis, le monde politique et l'Arabie saoudite. Conscient du danger, il a changé de dirigeants et de stratégie et s'est refait une virginité. "Le secteur de la défense représente moins de 1 % du portefeuille", précise aujourd'hui Carlyle. En France, le fonds est connu pour avoir racheté le groupe de bateaux pneumatiques Zodiac, mais aussi pour ses démêlés judiciaires avec l'ancienne direction de l'industriel Otor.
KKR, LE PRÉCURSEUR

Kohlberg Kravis Roberts (KKR), du nom des trois fondateurs qui l'ont créé en 1976, est l'ancêtre de tous les fonds. Lui aussi a dû gommer une fâcheuse réputation. En 1988, en pleine euphorie boursière à Wall Street, KKR multiplie les "raids" hostiles, s'emparant notamment du groupe agroalimentaire RJR Nabisco. L'opération, gigantesque pour l'époque (30 milliards de dollars en 1988), est un échec. Et le fonds est le héros involontaire de l'ouvrage de B. Burrough et J. Helyar Barbarians at the Gate ("Les barbares sont à la porte"), décrivant ses relations électriques avec les dirigeants. Depuis, KKR opte pour des rachats amicaux. Cette nouvelle image lui a valu de prendre sans ambages, épaulé par le français Wendel, le contrôle du groupe de matériel électrique Legrand. Présent dans le monde entier, KKR a, depuis sa création, réalisé plus de 150 opérations représentant près de 280 milliards de dollars.

BLACKSTONE, L'ENTRÉE EN BOURSE
The Blackstone Group, créé en 1985, est aussi dans le trio de tête du capital-investissement. Le fonds doit son nom à ses deux fondateurs, Black étant la traduction anglaise de schwarz (noir en allemand) pour Stephen Schwarzman, et Stone celle de petra (pierre en grec) pour Pete Peterson, deux anciens de la banque d'affaires Lehman Brothers. Blackstone est, depuis le 22 juin, coté à la Bourse de New York. Cette opération intrigue : les fonds accusent souvent la Bourse de tous les maux. En outre, une cotation oblige à lever le voile, en partie au moins, sur des données financières confidentielles. Mais l'occasion pour les fondateurs de vendre en Bourse une partie du capital de leur société à bon prix se révèle séduisante.
Dans cette opération, M. Peterson, 80 ans, empochera 1,88 milliard avant de prendre sa retraite. M. Schwarzman, 60 ans, touchera 449 millions. Participer aux bénéfices juteux de la société (2,26 milliards de dollars en 2006) a aussi attiré l'Etat chinois, qui investira 3 milliards de dollars dans les 8 milliards de l'opération.

TEXAS PACIFIC GROUP, LE DISCRET
Texas Pacific Group (TPG) doit son nom à la ligne de train qui relie l'Etat du Texas à la Californie. Fondé en 1993 par David Bonderman, ancien avocat d'affaires démocrate, et deux financiers, James Coulter et William Price, le fonds gère près de 30 milliards de dollars. Connu pour le redressement spectaculaire de Continental Airlines, racheté au bord de la faillite en 1992 pour 66 millions et cédé en 1998 pour plus de 700 millions, TPG a été moins inspiré en France. En 2000, il a acquis 26 % du fabricant de cartes à puce Gemplus et a été accusé de "piller la technologie française". Depuis, le fonds s'est attaché les services de Bernard Attali, ancien PDG d'Air France et du GAN, pour gérer diplomatiquement ses investissements dans l'Hexagone.
APAX, TPG, AXA PE, PAI PARTNERS, WENDEL, EURAZEO, LES SPÉCIALISTES

A côté des fonds multimilliardaires se trouvent des acteurs un peu moins riches, plus spécialisés, qui représentent l'essentiel du métier. En 2006, selon l'European Venture Capital Association (EVCA), 90 % des montants des fonds ont été investis en Europe dans des sociétés de moins de 500 salariés. C'est dans ce vivier de PME que se concurrencent Apax France, Axa PE ou PAI Partners. Leur objectif : faire d'une PME un leader de son secteur "grâce à un mode de gestion plus efficace, qui permet dans un horizon de temps limité d'accroître significativement les résultats d'une entreprise", explique Maurice Tchenio chez Apax. Ce procédé reste toutefois critiqué par les syndicats, qui dénoncent la pression mise sur les salariés et l'enrichissement disproportionné des dirigeants intéressés aux résultats.
Reste, dans ce paysage, deux "exceptions françaises" : Eurazeo et Wendel. Ces sociétés cotées en Bourse ont pour particularité d'être passées du statut de groupes industriels plusieurs fois centenaires, et familiaux, à celui de fonds, illustrant la mue du capitalisme français.
Claire Gatinois
Article paru dans l'édition du 26.06.07.

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