A Rennes, des entrepreneurs du BTP jugés pour l'emploi de clandestins
LE MONDE | 18.06.07 | 12h29 • Mis à jour le 18.06.07 | 12h29
RENNES CORRESPONDANT
Il ne faut pas plus de cinq minutes au Bar des sports de Mernel (Ille-et-Vilaine), commune de 700 habitants à 35 kilomètres au sud de Rennes, pour qu'au comptoir on parle charpente, maçonnerie, parpaings et "artisans qui ne parlent même pas le français".
Il faut dire que dans ce village, le bâtiment (BTP), on connaît. À trois kilomètres du bourg se trouve le siège de la société Cardinal, une des plus grosses entreprises du secteur en Bretagne et Pays de la Loire.
Là, de nouveaux bureaux aux lignes futuristes font face au hangar à l'ancienne. Ils symbolisent bien l'évolution de cette entreprise. Créée en 1969 et dirigée par Yves Cardinal, la société de construction de maisons individuelles est devenue un groupe de BTP présent sur les plus gros chantiers régionaux. L'entreprise emploie aujourd'hui plus de 500 salariés et a affiché, en 2006, un chiffre d'affaires de 53 millions d'euros. Localement, elle fait la fierté du secteur.
Une ombre plane pourtant au-dessus de Cardinal depuis la mi-novembre 2003. Quelque 200 gendarmes et policiers de la section de recherches et du groupement d'intervention régional (GIR) étaient alors intervenus sur des chantiers et au siège de la société. Ils avaient interpellé 26 personnes et en avaient auditionné plus d'une centaine d'autres.
Plusieurs mises en examen avaient alors été décidées à l'encontre d'entrepreneurs de maçonnerie nés en Turquie ou au Maroc, de M. Cardinal et de son bras droit. La justice leur reproche d'avoir eu recours à des travailleurs clandestins afin d'être plus compétitifs.
De l'argent liquide - 149 000 euros dont 83 000 chez M. Cardinal - a été saisi ; 260 000 euros ont été bloqués. Le dirigeant a dû verser une caution de 150 000 euros pour rester en liberté. Les enquêteurs ont aussi interpellé seize étrangers en situation irrégulière. La préfecture a pris quatorze arrêtés de reconduite à la frontière.
Lundi 18 juin, après plus de trois ans d'instruction, s'ouvre à Rennes le procès de cette affaire. Il devrait durer jusqu'au 29 juin. Vingt-trois prévenus sont convoqués pour "exécution d'un travail dissimulé" ou "emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié".
Les peines encourues peuvent aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement, des amendes mais, aussi, des interdictions d'exercer ou des exclusions temporaires des marchés publics.
"UNE ENQUÊTE EXEMPLAIRE"
Outre les demandes au niveau fiscal ou en termes de cotisations sociales, la fédération nationale de la CGT-construction s'est portée partie civile. "Pour une fois, explique Philippe Christmann de la CGT, on a eu une enquête exemplaire avec des filatures, des hélicoptères, des gardes à vue. Ce qui nous intéresse c'est que, souvent, dans ces affaires de travail clandestin, il y a des salariés qui sont mal payés, vivent et travaillent dans des conditions dégradantes."
M. Cardinal, lui, ne souhaite pas s'exprimer. Le dirigeant a démissionné de son poste de maire de Mernel en janvier 2004. Dans cette affaire, il estime être un bouc émissaire. Au moment de l'enquête, il a affirmé avoir fait appel en toute bonne foi à des sous-traitants connus des autorités publiques et immatriculés à la chambre de métiers. Le procès devra donc établir s'il a agi, ou pas, en connaissance de cause.
M. Cardinal a bénéficié de nombreux soutiens, professionnels et politiques. La crainte que ce procès puisse avoir des conséquences sur l'emploi est réelle.
Gilles Kerdreux
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