07/07/2007

Expulsés de Cachan, l'histoire en pièce de théatre

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Un an après, les contes des «1 000 de Cachan»
Des expulsés du squat, évacué en août 2006, montent une pièce de théâtre.
Par Christophe Lehousse/LIBERATION
QUOTIDIEN : samedi 7 juillet 2007

Soudain un moment de stupeur s’abat sur le bâtiment F du Crous de Cachan. «La police, la police est là !» Puis c’est la confusion la plus totale : des cris, des pleurs, des supplications. Un homme noir fouille fébrilement dans ses poches à la recherche de son passeport. Une femme blanche trébuche dans sa course désespérée pour échapper à la charge des policiers. La scène se fige sur un CRS casqué et armé, brandissant sa matraque au-dessus des squatteurs terrorisés.

On est au théâtre. Mais pour les hommes qui la jouent et une partie du public qui y assiste, cette scène relève de la réalité la plus crue. Il y a à peine un an, le 17 août 2006, Issoufou Soumahoro, Mamadou Fofana, Youssouphou Nassouro-Belo et Sanounou Coulibaly se retrouvaient avec environ 500 autres occupants pris au piège de l’évacuation du squat de Cachan. Commençait alors une longue lutte pour retrouver un hébergement décent et, concernant les quelque 250 personnes en situation irrégulière, obtenir un réexamen de leur dossier.
C’est cette expérience, «par moments terrible» selon les comédiens, qu’ils ont voulu raconter à travers un spectacle mêlant saynètes, chants et danses : le Témoignage théâtral des 1 000 de Cachan. «Pour que les gens comprennent mieux qui nous sommes vraiment, des hommes et pas des délinquants», explique Issoufou, l’un des quatre acteurs.
Petits tableaux. En décembre dernier, ils acceptent la proposition d’Annie Quentin, bénévole qui a soutenu leur mouvement et directrice de la compagnie Théâtre en mouvement : «Il s’agissait pour eux d’écrire une succession de petits tableaux retraçant leur histoire. Avant de raconter Cachan et l’évacuation, ils ont choisi de remonter dans le temps pour expliquer ce qui peut amener un Africain à quitter son pays.»
Issoufou et Mamadou, tous deux originaires de Côte-d’Ivoire, Sanounou du Mali et Youssouphou du Cameroun ont mis beaucoup d’eux-mêmes dans leur pièce. Le premier tableau nous transporte ainsi dans un village de Côte-d’Ivoire, où sévit le personnage du «boucantier». Beau parleur, c’est un charlatan qui fait miroiter aux jeunes l’image d’une France fantasmée, Eldorado qu’ils ne trouveront jamais. Auprès de ceux qui ont mordu à l’hameçon, il joue ensuite les professeurs de bonnes manières. Ainsi, « il y a quelque chose de très important chez les Blancs. Dès que tu arrives à l’aéroport Charles-de-Gaulle, tu achètes le journal Libération.»
Plus tard, toujours en Côte-d’Ivoire, c’est une femme qui supplie son mari de partir en exil politique parce qu’il est recherché en tant que dissident du pouvoir en place. «Quand est-ce que l’Occident arrêtera de nous vendre des armes pour nous vendre des usines où travailler nos matières premières ?», s’interroge le chef rebelle, avant de quitter aussi son pays. Tous se retrouveront dans le squat de Cachan, pour certains d’entre eux étonnés, perplexes, pour tous, déracinés.
Eaux stagnantes. Retour dans le réel : «Je me souviens encore très bien de mon arrivée en France , raconte Issoufou Soumahoro. C’était le jour de Noël 2005. Ça tombait plutôt bien, parce que les policiers du contrôle, plus joyeux que d’habitude, n’ont pas examiné très attentivement mon passeport d’emprunt. Le soir, j’étais à Cachan. La première image qui me vient toujours à l’esprit, ce sont ces escaliers recouverts de boue, où les eaux stagnaient. C’était la toute première fois que je voyais un squat. Chez moi, ça n’existe pas, et j’étais choqué. Mais j’ai compris qu’on n’avait pas le choix et qu’ici au moins, on avait la vie sauve.»
Près d’un an après l’évacuation du gymnase Belle Image, les choses vont un peu mieux pour Issoufou et le reste de la troupe. Tout comme 227 autres ex-squatteurs, ils ont obtenu une régularisation valable pour un an. Mais la lutte des «1000 de Cachan» n’est pas pour autant terminée. Il y a d’abord la difficulté d’obtenir un travail validé par un contrat en bonne et due forme, condition sine qua non pour voir son titre de séjour renouvelé. Et puis il y a la question, brûlante, du logement : 370 personnes, dont les quatre comédiens sont toujours hébergés à titre provisoire dans les structures de l’association France Terre d’asile. Les quatre anciens de Cachan continuent à écrire leur vie, qu’ils joueront à nouveau les 29 et 30 à Arcueil (Val-de-Marne).

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