Les adversaires du texte présenté par Rachida Dati se mobilisent.
Par CHRISTOPHE LEHOUSSE/ LIBERATION
QUOTIDIEN : mardi 3 juillet 2007
Adeux jours de l’examen par le Sénat du projet de loi sur la récidive, plusieurs acteurs du monde judiciaire sont à nouveau montés au créneau hier. Lors d’une conférence de presse, à Paris, Sophie Desbruyères, secrétaire générale du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (Snepap), a ironisé sur un gouvernement pris en flagrant délit de «récidive politique». Allusion à la cacophonie qu’avait provoqué le projet des «peines-plancher» au sein de l’UMP en décembre 2006. Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin affichaient alors de telles divergences sur le sujet que le texte avait été enterré par le ministre de la Justice de l’époquePascal Clément. Le voilà donc remis sur la table (lire aussi page 4).
Contestable. Pour les intervenants réunis hier, l’architecture du texte est disproportionnée, mais surtout inefficace. Selon l’universitaire Pierre Tournier, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de la récidive, la «vertu dissuasive» de ce texte, selon la formule de la garde des Sceaux Rachida Dati, est très largement contestable. «Il n’y a en effet pas de corrélation nette entre le montant de la peine prononcée et le taux de probabilité de récidive, remarque Pierre Tournier. Or c’est un des présupposés de ces peines planchers». D’après les travaux de ce chercheur sur des cohortes de détenus condamnés deux fois en moins de cinq ans, le taux de récidive tend parfois même à augmenter quand la peine prononcée est plus sévère, comme dans le cas des violences volontaires sur adultes. Sophie Desbruyères fait, elle, appel au bon sens pour expliquer la même chose : «La dimension dissuasive de cette loi relève du fantasme total. Elle est peut-être réelle pour des gens qui n’ont pas de problèmes par rapport à la loi : c’est la fameuse peur du gendarme. Mais elle ne s’applique pas du tout à ceux que cette loi vise : les récidivistes. Un passage à l’acte, qui plus est une répétition de ce passage à l’acte obéissent à des logiques bien plus complexes».
Résultat: il est fort probable que les peines planchers aboutissent à ce qu’elles veulent justement empêcher: une augmentation des cas de récidives. Là encore, Pierre Tournier laisse parler les chiffres: d’après une étude comparant deux populations de détenus différentes - l’une constituée de personnes condamnées à l’emprisonnement et l’autre de personnes condamnées à des peines non carcérales comme le sursis avec mise à l’épreuve (SME)-, les taux de nouvelle condamnation sont presque toujours plus élevés après la prison qu’après une peine alternative à l’incarcération.
Déroger. Or, si le projet de loi était accepté en l’état, ce seraient bien les peines d’emprisonnement qui constitueraient la règle, et les peines alternatives l’exception. «Alors qu’il est établi que la liberté conditionnelle et toutes les autres formes d’aménagement de peines marchent», s’agace Eric Martin, le secrétaire général de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap). Pour lui, il s’agit avant tout d’un «texte de défiance à l’égard des juges». Car même si le texte prévoit pour le juge la possibilité de déroger «par une décision spécialement motivée» à la peine-plancher imposée, le magistrat prédit que «dans les faits, ça ne se fera pas». Parce que le juge concerné manquera d’une part «de temps et d’éléments de personnalité, toujours absents des dossiers de correctionnelle» et qu’il subira d’autre part la pression de l’opinion publique et des médias. «L’urgence de l’urgence, c’est de changer les conditions de détention, avec 12000 détenus de trop par rapport aux places disponibles. Faire appliquer certaines peines en milieu ouvert résoudrait déjà beaucoup de problèmes», préconise Pierre Tournier. Mais on n’en prend pas le chemin.
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