Peugeot Mulhouse . À la suite des cinq suicides dans l’usine alsacienne de PSA, les salariés témoignent de leur vie à l’usine : intensification, isolement, flicage et répression.
Mulhouse (Haut-Rhin),
correspondance particulière.
Dans une communication diffusée à la fin de la semaine dernière, le directeur des ressources humaines du groupe PSA, Jean-Luc Vergne, s’est empressé d’annoncer aux salariés de Peugeot Mulhouse que le suicide de Mario Graffi (voir notre édition du 18 juillet) était dû à des raisons personnelles. Lundi dernier, dans une salle mise à la disposition par l’union départementale de la CGT, des salariés et des collègues proches des cinq suicidés ont tenu à témoigner du malaise qui règne actuellement dans lalsacienne. Harcèlements, conditions de travail, licenciements abusifs, pressions et menaces constituent un catalogue éloquent du mal-être au travail. Bertrand Dubs, l’ami de Mario, est le plus prompt à réagir au courrier du directeur des ressources humaines : « Comment, quatre jours après le décès de Mario, peut-on écrire cela ? Certes, il avait des problèmes familiaux
mais comme beaucoup d’autres. Pourquoi, M. Vergne ne souligne-t-il pas qu’il y a deux semaines son poste de travail a été une nouvelle fois modifié ? Tout le monde sait dans l’usine que Mario était à la pointe de la bagarre contre la fermeture du self. Pour lui, c’était un lieu privilégié de lien social. Et comment peut-on dire que les conditions de travail n’ont cessé de s’améliorer depuis des années ? »
Les ouvriers éloignés de 40 mètres
les uns des autres
Au ferrage, l’atelier d’assemblage des caisses de voiture où trois salariés se sont donné la mort au mois de mai dernier, l’amélioration des conditions de travail mise en avant par le DRH rime avec une individualisation renforcée des tâches : « La mise en place des postes de travail de la nouvelle chaîne de la 308 éloignera de 40 mètres chaque salarié. Fini donc les petits mots que l’on pouvait échanger avec un collègue tout en travaillant, le coup de main nécessaire ou la blague qui redonne du moral. L’ouvrier sera seul et bien seul… » souligne Frédéric Foernbacher, un salarié du ferrage. Ces modifications importantes des postes de travail résultent directement de la mise en place de la méthode Hoshin, une recette de management à la japonaise qui doit rendre le salarié 100 % disponible pour son travail. Une méthode qui n’exclut pas certaines dérives : « Nous avons une petite fiche sur notre poste de travail. Dès le moindre incident de production sur notre poste, nous devons par écrit en signaler la cause. Le document étant prérempli, c’est obligatoirement un collègue qui est responsable de ce qui nous arrive. Soit le cariste qui est arrivé en retard à la recharge, soit le collègue précédent qui met trop de temps pour réaliser sa tâche. Cette délation est obligatoire sinon votre évolution de carrière est bloquée », précise un collègue de Frédéric qui préfère garder l’anonymat.
Stress et pressions se surajoutent donc à la pénibilité du travail. « Nous sommes de moins en moins nombreux et il faut que la production sorte. Il n’y a pas de secret : les cadences augmentent. Sur la nouvelle ligne de la 308, nous avons fait venir l’ergonomiste de l’entreprise. La multiplication des tâches à réaliser par agent a rallongé de façon importante les déplacements sur le poste de travail. Le salarié fera, dans sa journée de travail, dix kilomètres de marche à pied. Il nous a répondu que cela n’était rien et que cela équivalait à une promenade en forêt ! Il ne doit pas en faire souvent, des balades de 10 kilomètres, lui ! » peste Frédéric Foernbacher. Les conditions de travail iraient donc en s’améliorant selon le DRH de PSA. Pourtant, après le cinquième suicide, certaines organisations syndicales comme la CGC ou la CFDT semblent avoir certains doutes sur certaines méthodes employées.
Dans les ateliers, quelques velléités de résistance se manifestent. Mais, visiblement, la chasse aux contestataires semble, elle aussi, clairement ouverte : « Il y a quelque temps, nous avons vu arriver Gaston et son vélo. Cette personne circulait à travers l’usine, carnet en poche. Son travail, tel que la direction a bien voulu nous le définir, consistait à repérer tous les dysfonctionnements dans l’entreprise. Seulement, les dysfonctionnements qu’il repérait étaient uniquement ciblés sur des salariés présentant, aux yeux de la direction, un comportement "anormal". Il notait le temps passé aux toilettes pour certains, des conversations trop longues entre salariés ou des contacts douteux. Bref, c’était le flic de service. Nous avons réussi à mettre un terme à ce genre de pratique, mais les suites de ce boulot ne se sont pas fait attendre. On a failli friser l’ignominie », souligne Florence Bolognesi, déléguée du personnel CGT. Conséquence directe de ce travail de renseignement : un chef d’équipe en est arrivé à demander aux femmes de sa ligne de production de déclarer tous les mois leurs dates de menstruation : « Il s’était aperçu que les déplacements aux toilettes étaient plus importants sur sa ligne de production que sur d’autres. En réunion, il a annoncé aux salariés qu’il fixerait à deux les déplacements de ce type. Les femmes, nombreuses dans cette équipe, ont protesté en invoquant leur besoin de se changer en période de règles. Il a donc tout simplement demandé aux filles de déclarer les époques où elles étaient indisposées afin d’organiser son planning toilettes. Seule la menace d’une pétition envoyée à l’inspection du travail a mis un terme à ce genre d’initiative », souligne la déléguée du personnel. Une petite victoire, reconnaît la déléguée.
Avertissement pour avoir déposé un collègue sur
un passage pour piétons
Jean-Luc Jenny, ouvrier d’une unité de mécanique, présente le dernier courrier d’avertissement qu’il a reçu. En poste de nuit, il ne bénéficie pas du transport des salariés organisé par l’entreprise : « On fait donc du covoiturage. Un soir, j’ai simplement arrêté ma voiture sur un passage pour piétons pour laisser descendre un collègue. Un agent de sécurité, très vigilant, a relevé ma plaque et j’ai pris un avertissement pour non-respect du Code de la route. Je savais pourtant que je devais être vigilant : je suis une cible… » Jean-Luc a pris, depuis deux ans, la défense de Yassine, un jeune Français dont la couleur de peau déplaît à un petit nombre de salariés de la mécanique : « À son arrivée, les insultes racistes ont fusé. Yassine a eu le malheur de réclamer à son chef d’équipe de faire cesser ce genre d’agissement. La réponse a été plus que décevante : il a demandé à Yassine de faire preuve d’humour, prétextant que ces mots lâchés à son encontre faisaient partie d’un contexte politique alsacien que nul ne pouvait ignorer. Il devait donc s’adapter. Avec le soutien de la CGT, une plainte a été déposée. Mais Yassine vit l’enfer sur son lieu de travail. Aucune évolution de carrière, et les tâches ingrates lui sont réservées. Une salariée d’origine yougoslave a vécu une aventure identique, le sexisme en plus, et avec le même chef. Là aussi, il y a eu plainte. L’instruction est en cours, et aujourd’hui Yassine et sa collègue sont en maladie. La direction, après deux années d’avertissements de la part de la CGT, a enfin reconnu que ce chef n’était pas apte à conduire une équipe comportant des personnes détrangère. Il a été muté, seul dans un bureau », précise Jean-Luc. La réalité ne serait donc pas aussi rose que le prétendent les responsables du lion alsacien. Des oreilles plus responsables que celles d’un numéro vert devraient écouter la détresse qui règne aujourd’hui dans les ateliers. Encore faut-il le vouloir ?
Alain Cwiklinski
http://www.humanite.fr/2007-07-26_Politique_Les-ateliers-de-la-colere
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