29/08/2007

Absurde, malsain, indigne d'une démocratie

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Des sans-papiers jugés en douze minutes chrono
A Paris, la justice examine à la chaîne les procédures d’expulsion du territoire.
Par Pierre Perot
QUOTIDIEN : mercredi 29 août 2007

Mesurer le temps que la justice consacre aux cas des sans-papiers, cela donne, montre en main, douze minutes. C’est le temps moyen de la procédure pour expulser un sans-papiers. Quatre minutes à la 35e chambre bis du tribunal de grande instance de Paris pour décider du maintien ou non en rétention. Et huit minutes au tribunal administratif pour étudier l’appel ou recours de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF). Au palais de justice de Paris, dans une petite pièce éclairée par des néons loin des illustres salles d’audience, les sans-papiers défilent à la chaîne. Exténués par leurs nuits précédentes en garde à vue ou en rétention, les étrangers, en majorité africains et asiatiques, rejoignent leur avocat et, fréquemment, leur interprète. Pressé par le temps et les dossiers qui s’accumulent sur son bureau, le juge délégué martèle inlassablement la même question : «La personne est-elle munie d’un passeport ?» Un passeport rend possible l’assignation à domicile en attendant l’expulsion. Pas de passeport, c’est le retour en rétention en attendant l’accord du consulat du pays concerné.

Hôtel particulier. Pour la défense toujours la même ligne, ­faire jouer la nullité de la procédure en alléguant une irrégularité. Comme pour Ren Zhong Meng, 33 ans, de nationalité chinoise dont l’avocat invoque que «le PV de l’interpellation signale que l’intéressé a été arrêté à la station Barbès-Rochechouart entre la ligne 22 et la ligne 24 qui, bien sûr, n’existent pas». Pas assez convaincant d’un point de vue juridique, Zhong Meng est remis en rétention.
Même sort pour cette Congolaise de 21 ans dont l’avocat a plaidé le projet de mariage avec un résident français. Au terme de chaque dossier, le juge rappelle le droit de déposer un recours au tribunal administratif dans les quarante-huit heures suivant la remise de l’APRF. Chose faite, la plupart se retrouve deux jours plus tard dans ce tribunal situé dans un somptueux hôtel particulier du Marais. Escortés par des policiers, les sans-papiers descendent en file indienne vers la salle d’audience où s’entassent familles et militants du Réseau éducation sans frontières. Après un retard remarqué, l’avocat de la défense, commis d’office, pénètre dans la salle en ruminant : «Trois minutes et demie, c’est le temps qui m’est imparti pour examiner chaque dossier» ; cet après-midi, il y en a onze.
Mme Qiu, qui a été remise en liberté, rejoint son mari, toujours en rétention, devant le présentoir duquel l’avocate entame sa plaidoirie: «Mariés en 2002, à la mairie du XIXe, le couple a trois enfants, nés sur le territoire français, dont un scolarisé à l’école Rampal (Paris, XIXe, ndlr) […] Ils déclarent leurs impôts depuis leur arrivée en France il y a plus de huit ans, et sont en voie d’intégration car ils prennent des cours de français.» Comme tous les avocats plaidant pour des sans-papiers ayant de la famille en France, elle insiste sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon l’appréciation du juge, cet article peut contester l’APRF s’il représente une atteinte à la vie privée et familiale. A son tour, l’avocat représentant la préfecture se charge de débouter les arguments de la défense.
Requête. «L’Etat ne va tout de même pas les remercier de payer leurs impôts et la seule scolarité d’un enfant n’est pas un critère d’intégration», insiste-t-il. A la suite du délibéré, le juge-rapporteur confirme la reconduite à la frontière pour le couple. Sur les onze dossiers, une seule requête a abouti. Quelques jours plus tard, six nouveaux sans-papiers sont sur la liste des audiences de la matinée. Mme Xiu comparait pour des faits similaires au couple précédent, à la différence que deux de ses enfants sont scolarisés en France. Même avocat de permanence, même plaidoirie appuyée sur l’article 8 de la CEDH, une seule chose diffère : le juge. Il valide la requête à l’égard de l’arrêté préfectoral. Sur les six sans-papiers de la matinée, trois ont bénéficié de la même clémence.

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