16/09/2007

Le lobbying non , les petits cadeaux oui

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Députés tous frais payés au Mondial de rugby
Par David Servenay (Rue89) 01H30 16/09/2007

Alors que l'Assemblée s'apprête à légiférer sur le lobbying, de nombreux élus sont invités dans les loges VIP.


Lien à copier-coller, pour la partie audio
http://www.rue89.com/2007/09/16/deputes-tous-frais-payes-au-mondial-de-rugby


Le rugby est à la mode en ce mois de septembre. Et les députés français nombreux à se presser dans les loges VIP des stades de la Coupe du monde. A Paris comme en province, à l'invitation des plus grandes entreprises: France Telecom, La Poste, TF1... Tous les groupes français s'offrent ainsi d'efficaces opérations de relations publiques. Et ce alors que l'Assemblée s'apprête justement à tenir un débat sur le sujet.

Chaque grande compétition sportive est désormais l'occasion de "resserrer les liens", "d'échanger des informations" ou de "mieux se connaître". Signe des temps: les députés que nous avons interrogés l'avouent facilement: oui, on les invite. Souvent. Un petit cocktail organisé par Visa Europe (les cartes bancaires, ndlr) "en présence de Philippe Sella, ancien capitaine du XV de France" si vous êtes une députée communiste inconnue. Plus si vous êtes un ancien et ministre populaire.

"C'est vrai, on m'a proposé des places, reconnait Jean Glavany, ancien ministre de l'Agriculture, mais moi, je refuse tout. TF1 m'a proposé des places, France Telecom et d'autres, je ne sais plus."

Inconditionnel du ballon oval, le député socialiste des Hautes-Pyrénées s'est acheté il y a un an un "pack équipe de France" avec des amis supporters.

"Les gens attendent quelque chose de vous"

Qu'ils siègent au Palais Bourbon ou à Strasbourg, les députés sont énormément sollicités. La plupart acceptent sans barguigner ces propositions, qu'ils siègent à droite ou à gauche de l'hémicycle. Avec le raisonnement suivant:

"Je n'ai pas le temps d'y aller, mais si je pouvais, j'aurai accepté, explique Benoît Hamon, député socialiste invité par TF1 pour aller voir le "petit" match Tonga/Etats-Unis. Et je l'aurais déclaré comme avantage en nature, ainsi que le règlement du Parlement européen nous y oblige. Après, il ne faut pas mélanger les genres. En faisant cela, les gens attendent quelque chose de vous, mais vous n'êtes pas obligés de jouer le jeu. Personne n'est dupe. Le problème ce n'est pas d'être invité, c'est de savoir si cela va changer votre comportement politique."

Patrick Beaudouin, député UMP du Val-de-Marne et auteur d'une proposition visant à "établir des règles de transparence concernant les groupes d'intérêts" ne condamne pas non plus ce genre de pratiques:

Même raisonnement chez le député UMP du Vaucluse Thierry Mariani, qui, lui, s'est vu proposer une place pour le match Nouvelle-Zélande/Italie à Marseille: "Les loges dans les stades, c'est un moyen comme un autre de faire du lobbying. C'est un moyen d'échanger des choses, c'est pas 10 millions d'euros dans une valise!" D'après les tarifs officiels du stade de France, c'est en fait de 100000 euros par an pour la loge de dix places à 213000 euros pour celle de 28 places. Pour juste seize manifestations. Faites le calcul!

Ca fait un cadeau de 625 euros. Avec hôtesses, boissons, maître d'hôtel et petit cadeau souvenir compris. Et il y a 168 loges VIP à Saint-Denis... D'ailleurs, pour le match d'ouverture France-Argentine, l'International Rugby Board et la Fédération Française de Rugby ont invité l'ensemble des participants à la Coupe du monde des parlementaires qui a précédé le Mondial. Soit une centaine de personnes, aux premiers rangs bien sûr.

"En 1998, j'ai assisté à la finale de la Coupe du monde de football grâce à Ricard."

Une invitation à un match de rugby permettait-elle de mieux comprendre les difficultés économiques d'un secteur clef de votre circonscription? Peut-on, après pareil spectacle, refuser un service à des hôtes tellement prévenants? Sera-t-on aussi combatif face à des actions concertées d'influence lors d'un débat à l'Assemblée? "Il y a aussi les invitations dans les musées par exemple, continue Thierry Mariani, les entreprises font des RP avec ça. En 1998, j'ai assisté à la finale de la Coupe du monde de football grâce à Ricard. Je n'ai pas honte." Quelle est la limite acceptable dans les cadeaux? "La limite, c'est à chacun de la trouver. Arrêtons d'être hypocrite ou alors interdisons les loges dans les stades."

Créer un simple registre d'inscription

Depuis la sortie du livre de nos confrères Hélène Constanty et Vincent Nouzille, "Députés sous influences, le vrai pouvoir des lobbies à l'Assemblée nationale" (Fayard) en octobre 2006, les lobbyistes du Palais Bourbon sont soumis à une intense pression. Prenant conscience du vide réglementaire qui entoure le travail des "vendeurs d'influence", les députés ont lancé plusieurs initiatives.

La première tentative de légiférer, soutenue par deux députés UMP, Arlette Grosskost et Patrick Beaudouin, sombre dans l'oubli, étouffée par un calendrier surchargé. Peu ambitieuse, elle prévoyait juste de créer un registre d'inscription pour les lobbyistes ayant un accès permanent à l'Assemblée nationale. Rien sur les cadeaux, les colloques ou les voyages tout frais payés pour "bien cerner une problématique".
En guise de contrôle, les deux députés prônent la transparence. En clair, il s'agirait de déclarer les cadeaux acceptés par les députés, sur une liste accessible au public. Les explications de Patrick Beaudouin:

Tout cela sera débattu dans les prochains mois. Aux propositions des deux députés UMP s'ajoute aujourd'hui le "livre bleu du lobbying" de Jean-Paul Charié. "Organisons et développons le lobbying", attaque d'emblée le député UMP du Loiret, dans une conception très anglo-saxonne et libérale de la vie publique. En une quarantaine de pages, l'élu, par ailleurs "Directeur multimédia de société de presse" comme le précise sa fiche de l'Assemblée, dévoile un argumentaire qui ferait rosir le premier lobbyiste de Bruxelles. Et de conclure que, finalement, "il n’est pas utile de passer par une loi pour réglementer le lobbying".

A gauche, aucune proposition de loi n'a pour l'instant vu le jour.

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