Elle habite un petit deux-pièces au-dessus du carrefour de Belleville à Paris, avec son mari et ses enfants, Liang et Patrick. Un calendrier chinois accroché au mur, des photos de classe posées sur une étagère et une petite fenêtre "bien commode" au fond de la pièce. "En me penchant, j'aperçois les entrées du métro, explique Mme C., une Chinoise sans papiers qui est coiffeuse à domicile. Avant de sortir, je regarde toujours s'il y a des fourgons de police. S'ils sont là, je reste chez moi, c'est trop dangereux."
La vie confinée et discrète des familles de sans-papiers
LE MONDE | 19.10.07 | 15h03 • Mis à jour le 19.10.07 | 15h03
Arrivée en France en 2002, Mme C. sait ce qu'une imprudence peut coûter à un sans-papiers : en juillet 2005, elle a été arrêtée et expulsée quinze jours plus tard vers Shanghaï. "Dans l'avion, je pleurais, je pensais à mes enfants, à mon fils Patrick, qui avait seulement 2 ans. J'avais les pieds et les mains menottés." Deux mois et demi plus tard, Mme C. était de retour en France avec de faux papiers. "Que faire là-bas, en Chine, toute seule ?, demande-t-elle. Je suis clandestine mais mon mari, mes enfants, tout ce qui compte pour moi est à Paris."
Depuis son retour, Mme C., comme tous les sans-papiers de son quartier, a appris à vivre dans la discrétion. Elle ne quitte jamais Paris, elle sort le moins possible de son appartement et elle reste sur le qui-vive lorsqu'elle va chercher son fils à l'école maternelle de la rue de la Présentation. "Quand mon mari, qui est électricien, prend le métro pour son chantier, il s'habille toujours correctement et il ne saute jamais un portique. S'il y a des fourgons à Belleville, il marche jusqu'à Colonel-Fabien, Couronnes ou Goncourt", les autres stations proches.
Son appréhension s'est transmise à sa fille Liang, qui surveille les alentours lorsqu'elles font des courses dans les supermarchés du quartier. "Ces familles vivent dans une grande précarité, souligne Pascale Chamard, directrice du centre de loisirs de l'école maternelle Présentation. Les parents travaillent au noir, les logements sont souvent dégradés, l'accès aux soins difficile. Dès que les parents sont régularisés, on sent que les enfants sont plus détendus, plus sereins. Ils peuvent enfin se poser."
A Belleville, Hui Ji, une association chinoise qui dispense des cours de français, vit, elle aussi, au rythme des contrôles policiers. "S'il y a des fourgons au métro, nous faisons une annonce avant et après les cours, raconte l'une des formatrices, Marie-Line Patrice. Et quand il y a des arrestations le lundi, il y a moins d'élèves le mardi et le mercredi. Dans ces moments-là, on sent, même s'ils n'en parlent pas, qu'ils sont moins attentifs. Au printemps, certaines mamans avaient tellement peur de se faire arrêter qu'elles venaient aux cours avec leurs enfants."
Créée en 2003, Hui Ji, qui accueille 150 adultes et une quarantaine d'enfants, reçoit des subventions de la mairie de Paris et de la région Ile-de-France, mais son travail est perturbé par les contrôles. "C'est absurde ! note son directeur, Liwen Dong. Pour les régularisations, la préfecture exige des attestations d'alphabétisation mais la même préfecture arrête nos élèves à la sortie des cours."
Comme beaucoup de sans-papiers de Belleville, M. L., qui a 27 ans, vient du district du Wenzhou, au sud-est de la Chine. Et comme beaucoup de Whenzou, il a, avant de quitter le pays, emprunté à sa communauté le prix de son passage clandestin, une somme qui peut varier de 12 000 à 20 000 euros. Au terme d'un voyage de trois mois qui l'a amené en Russie et en Europe de l'Est, il est arrivé en 1997 à Paris. "Je travaille depuis dix ans dans des ateliers de confection clandestins, raconte-t-il. Je gagne environ 1 000 euros pour des semaines de cinq jours et demi de travail, de 9 heures à 19 heures. J'ai mis cinq ans à rembourser mon voyage."
M. L., qui vit en France depuis dix ans, a une épouse chinoise et une petite fille inscrite à la crèche du quartier. La communauté lui a fourni un logement - son bail locatif est en règle - et sa famille est désormais réunie : sa mère a rejoint la France en 1999, son frère en 2000, son père en 2001. Tous sont en situation irrégulière mais tous ont trouvé un travail : sa mère garde des enfants, son père est manutentionnaire, son frère vendeur.
Depuis son arrivée en France, en 1997, M. L. n'est sorti de Paris qu'à trois reprises : il est allé passer une journée à Deauville une première fois avec un collectif de sans-papiers, une deuxième fois avec une association d'alphabétisation et une troisième fois avec son oncle, qui est en situation régulière. "En ce moment, je vais moins à l'atelier à cause des contrôles. Je travaille une dizaine de jours par mois, pas plus, ce qui n'est pas facile financièrement. J'évite le métro et je fais attention en allant au square avec ma fille. C'est dur, bien sûr, mais je ne veux pas repartir : ma vie est ici."
Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 20.10.07.
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