07/10/2007

Pourquoi ?

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« Les conseillers de gauche passent à droite », titre le Parisien Libéré en date du dimanche 23 septembre. Interrogé dans le même journal, Jean-François Doumic, éditeur du « Guide du pouvoir » remarque qu’outre une vingtaine de conseillers déjà en poste dans les gouvernements de gauche, on assiste à une arrivée importante de nouveaux conseillers venus de la gauche. Doumic poursuit : « Des verrous ont sauté. Autrefois le passage ne se faisait pas ou peu. Il y avait une sorte d’interdit, c’est fini. » Parmi les causes de ce phénomène, on doit évidemment invoquer les ambitions : beaucoup de ces spécialistes du pouvoir ne voyaient mal rester au placard pour encore cinq ans. Mais Doumic ajoute des raisons de fond, « la déconfiture idéologique de la gauche, l’implosion du PS ».

De gauche à droite
OU COMMENT SARKOZY A CONQUIS LES "INTELLECTUELS"...


samedi 29 septembre 2007, Denis COLLIN/LA-SOCIALE.NET

Comment expliquer cette hémorragie de cadres, d’élus, d’experts ? Il faut remonter assez loin en arrière et en tout cas avant 2002. Il y a des données sociales : le décrochage progressif de la gauche et des classes populaires est patent. Le PCF n’est plus que l’ombre de lui-même et le PS est devenu le parti de ce que les anglo-saxons appellent la « upper middle class ». Les importants votes obtenus pas Mme Royal dans ces couches sociales huppées et très bien intégrées aux rouages du capitalisme mondialisé sont un témoignage criant de ce nouvel ancrage de la social-démocratie. Il est significatif, au-delà des péripéties politiques, que les quelques succès de la gauche aux municipales de 2001, qui concernent des villes « bourgeoises » (Paris, Lyon) ne semblent pas devoir être mis en cause lors des prochaines échéances municipales.

À ces données de base, on doit ajouter le bilan du mitterrandisme. Si les socialistes n’ont pas résolu la « question sociale », et la considèrent même comme archaïque, pour un certain nombre d’entre eux ils ont au moins résolu leur propre question sociale. Les années 80 et 90 avaient vu une certain nombre de cadres et d’experts du PS propulsés à la tête des principales entreprises privées ou privatisées [1]. Si, prenant un peu de recul, on considère le tableau d’ensemble, on ne manquera pas d’être frappé par la dynamique qui s’est mise en route avec l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981. Toute une génération de hauts fonctionnaires, souvent encore jeunes, va arriver aux affaires. Unissant idées modernistes, voire teintées de gauchisme, à une forte culture de la compétence technique, ils vont progressivement pénétrer tous les rouages de l’appareil d’État et de l’économie. Puis, chevauchant la vague néolibérale, eux qui furent embauchés sous l’enseigne de la « rupture avec le capitalisme » vont se retrouver à la tête des plus grandes entreprises, souvent privatisées sous les gouvernements de droite et de gauche. On passe d’un capitalisme d’État qui se voulait « socialiste » à un capitalisme privé qui a pris entièrement le contrôle de l’État. En changeant ce qui doit être changé, ce processus rappelle étrangement le démantèlement de l’ex-Union Soviétique. Les bureaucrates formés à l’école du Gosplan ont privatisé l’économie d’État ... et s’en partagés les dépouilles, donnant la naissance à une classe de milliardaire presque unique au monde. Le passage à droite des hiérarques socialistes comme Bockel, Besson, Kouchner, et des technocrates comme Jouyet ou des membres de la « société civile » (Amara, Hirsch) n’est donc que le couronnement d’un long processus de fusion organique des « élites » de droite et de gauche dans une sorte de parti commun. L’expression polémique UMPS pour désigner la communauté de vues du PS et de l’UMP renvoie bien à une réalité visible de l’évolution de la classe dirigeante de notre pays.

Dans les processus récents, il y a cependant quelques spécificités à pointer qui soulignent peut-être encore mieux qu’on n’a pas affaire à une question de carriérisme ou à une inexplicable multiplication des « traîtres ». En devenant adjointe de Mme Boutin, Fadela Amara, co-fondratice de « Ni putes ni soumises » parachève l’évolution du groupe de Julien Dray. Entré au PS au début des années 80, en provenance directe de la LCR, Julien Dray a fondé SOS Racisme (1983). Il prétendait incarner une nouvelle gauche du PS - une nouvelle gauche fondée avec la bénédiction de François Mitterrand qui trouva dans l’aventure de SOS Racisme un moyen utile de faire pendant au tournant droitier impulsé en 1983, le fameux « tournant vers la rigueur ». Rompant progressivement tous ses liens avec les courants véritablement de gauche du PS (Jean-Luc Mélenchon, Gérard Filoche, etc.) [2], Julien Dray s’est rapproché de François Hollande et est devenu un des hommes de paille de Ségolène Royal. Malek Boutih, dont les positions sur l’immigration sont de longtemps « sarko-compatibles » l’a suivi dans cette évolution. « NPNS » était un des éléments de cette stratégie « à droite, toutes ! ». Le passage de Fadela Amara chez Boutin est donc logique et n’est pas lié aux ambitions personnelles de cette conseillère municipale PS. L’idéologie « SOS racisme » qui substitue à la lutte de classes le combat pour transformer les mentalités et combattre « l’exclusion » - à la place des classes on a maintenant les exclus et les inclus - ouvrait la voie à ces ralliements. Le côté « dame patronesse » du catholicisme de Mme Boutin s’harmonise parfaitement avec l’idéologie développée par le groupe Dray sous ses divers avatars. Le soutien apporté par « SOS racisme » au développement d’une bourgeoisie d’origine immigrée (rebaptisée réussite de l’intégration) lui a permis de nouer des liens avec la grande bourgeoisie française, notamment dans les médias et les industries du luxe. L’idéologie a fini par trouver sa base sociale.

Il faut signaler également l’évolution de certains « souverainistes ». Pour les « républicains de l’autre rive », chers au Chevènement de 2002, le cas patent est celui d’Henri Guaino, séguiniste, « gaulliste social », ancien commissaire au plan, défenseur jadis des services publics et de la monnaie nationale, devenu le porte-plume d’une politique ultra-atlantiste, entièrement tournée vers la destruction du « modèle 1945 » de l’État social. Comment peut-on ainsi piétiner ses propres convictions, mettre au service de ceux qu’on a jadis combattu les ressources d’une rhétorique mensongère ? Voilà qui nécessiterait sûrement une analyse complexe. Mais après tout, Guaino était un homme de droite et il le reste, comme d’ailleurs tous les « séguinistes », Fillon en tête, qui sont les plus acharnés à enterrer le fantôme du « gaullisme social ». Le cas de Max Gallo est, à certains égards, plus grave et plus symptomatique, politiquement parlant. Ex-président du MRC de Jean-Pierre Chevènement, ex-ministre de François Mitterrand, ex-communiste (dans sa jeunesse de fils de réfugiés italiens), ex-Max Gallo, pourrait-on dire ! Voilà un défenseur sourcilleux de la patrie et de l’indépendance nationale qui parle et écrit pour faire l’éloge de celui qui soumet la France aux diktats de la Maison Blanche. Voilà un adversaire de la guerre en Irak, un ami chevènementiste du monde arabe et musulman qui se prépare à faire la guerre à l’Iran. Celui qui jadis brocarda les liens entre le monde des affaires, celui de la presse et le monde politique (dans son roman Dans la demeure des puissants par exemple) fait l’apologie d’un gouvernement où jamais n’a été si étroite l’union de ces trois milieux, où jamais le politique ne s’est fait avec autant de complaisance le porte-parole des intérêt et de la gloutonnerie sans limite des possédants et où jamais le journalisme ne s’est autant soumis à ses maîtres. Écouter Max Gallo aujourd’hui quand on a estimé l’homme d’antan est quelque chose qui donne un peu la nausée.

La question intéressante cependant est de comprendre politiquement ce revirement du souverainisme à l’atlantisme. Pourquoi le sarkozysme a-t-il séduit des hommes dont tout l’éloignait sur le plan des idées et des propositions stratégiques ? L’habileté de Sarkozy n’est pas une bonne explication - elle n’est que le revers de la thèse largement diffusée avant les élections qui faisait de Sarkozy un véritable diable incarné. En vérité, les souverainistes de droite comme de gauche séparent la nation (mythifiée) du peuple qui la constitue et sont donc plus ou moins toujours à la recherche de l’homme providentiel (« l’homme de la nation ») ou de l’élite apte à remplir cette fonction. Max Gallo ne cache plus depuis longtemps son pessimisme radical à l’égard de la démocratie et soutient que seuls peuvent gouverner des oligarchies (le gouvernement du petit nombre). On passe de l’Aigle à Napoléon le Petit... et de De Gaulle à Sarkozy. Et les Guaino et Gallo se font conseillers du nouveau prince, courtisent le « despote éclairé » et renouvellent ainsi l’illusion la plus commune des intellectuels. Sarkozy ne devient pas un défenseur de l’indépendance nationale, mais Gallo et Guaino sont devenus des défenseurs de Sarkozy.

Pour ne pas se laisser hypnotiser par ce gouvernement de coalition « droite-gauche » qu’est le gouvernement Sarkozy n°1 [3], c’est sont ces évolutions idéologiques à long terme qu’il faut considérer. Contrairement à ce qu’affirme le matérialisme vulgaire, les idées produisent des idées. Comprendre cette dynamique, cela suppose un travail théorique et une clarification programmatique qui ne semblent plus guère de mise dans une gauche où la confusion a atteint des sommets. De même, puisque l’évolution mortifère du socialisme français commencée dans les années 80, poursuivie sous le gouvernement de la « gauche plurielle » [4] semble parvenue à son terme, la disparition pure et simple de la gauche, une des plus utiles contributions dont nous aurions le plus grand besoin serait une histoire raisonnée du dernier quart de siècle.

[1] Voir le détail dans L’illusion plurielle de Denis Collin et Jacques Cotta, JC Lattès 2001
[2] On peut penser ce qu’on veut de leurs positionnements tactiques, du rôle qu’ils jouent au PS, etc. mais ceux-là gardent clairement dans leur discours publics un lien avec la lutte du mouvement ouvrier organisé.
[3] Il faut bien appeler ce gouvernement par son nom puisque M. Fillon en est réduit à jouer les figurants, parachevant l’évolution bonapartiste de régime issu du coup d’Etat de 1958.
[4] Voir l’ouvrage déjà cité de Denis Collin et Jacques Cotta sur l’analyse de cette période



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