Le héros n'en était pas un, mais il ne le savait pas
LE MONDE | 17.10.07 | 14h00 • Mis à jour le 17.10.07 | 14h00
Frappé à coups de pelle par quatre ou cinq jeunes gens, il avait été admis à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil dans un état très grave. Selon le récit qui avait été livré au lendemain des faits, Jilali se serait interposé face à une bande de jeunes qui s'en prenaient à une dame après un accident de la circulation. L'affaire avait été largement reprise par les médias et avait fait l'ouverture de certains journaux radio. Resté un temps entre la vie et la mort, M. El-Mrabet avait été hissé au rang de héros de la République.
Un jeune homme, présenté comme témoin, avait raconté la scène sur les ondes. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur en campagne pour l'élection présidentielle, s'était rendu au chevet de Jilali le 20 février. "Je suis allé dire à ce jeune homme combien il pouvait être fier de son acte, et que la nation lui était reconnaissante de son attitude", avait déclaré le ministre-candidat, avant de lui remettre trois semaines plus tard la médaille d'or du courage et du dévouement.
Dans une lettre datée du 9 mars à l'en-tête du ministère de l'intérieur, M. Sarkozy écrit à Jilali El-Mrabet : "J'ai l'immense plaisir de vous convier à la remise de décorations qui aura lieu, sous ma présidence, le mercredi 14 mars prochain à 11 heures, dans la cour du 19-août de la préfecture de police de Paris. (...) Cette cérémonie réunira des femmes et des hommes qui se sont distingués par des gestes de bravoure accomplis, parfois au péril de leur vie, pour le bien de la communauté humaine."
Devenu président de la République, M. Sarkozy avait invité le héros le 14 juillet à la garden-party de l'Elysée au milieu d'autres individus pareillement honorés. Le maire d'Evry (PS), Manuel Valls, qui ne voulait pas être en reste de ce concert de louanges, lui avait adressé "ses sincères félicitations" par un courrier du 21 mars.
Problème : Jilali El-Mrabet n'a jamais porté secours à personne. Interrogée après l'incident par les policiers, Christine B. - la dame que M. El-Mrabet aurait secourue - a déclaré n'avoir subi aucune menace. "J'ai peut-être été bousculée un peu au départ par les petits curieux, mais cela n'avait rien d'une agression", a-t-elle affirmé sur procès-verbal le 1er mars. Et d'ajouter : "Le seul moment qui aurait pu être critique c'est quand j'ai couru vers la victime pour que ses agresseurs la laissent tranquille."
"INSTRUMENTALISÉ"
En fait, M. El-Mrabet avait heurté le pare-chocs arrière du véhicule de Christine B. qui avait freiné brusquement afin d'éviter la voiture qui la précédait. C'est en allant demander aux occupants de celle-ci pourquoi ils s'étaient arrêtés brutalement, que Jilali El-Mrabet a été presque lynché à coups de pied et de pelle. Christine B. était au cœur de la scène.
"Quand j'ai vu que la victime s'était pris un premier coup de pelle au niveau de la nuque, j'ai accouru vers le groupe pour leur dire d'arrêter. Je leur criais dessus pour qu'ils s'en aillent", a-t-elle expliqué lors de cette audition.
"Les agresseurs s'en sont-ils pris à vous ?", lui ont demandé les enquêteurs. "Non, jamais", a répondu celle-ci. "La victime vous a-t-elle porté secours ?", ont insisté les policiers. "Bien sûr que non puisque je n'ai pas été agressée. C'est lui qui s'est fait taper dessus, pas moi", a assuré Christine B., qui s'est dite "écœurée" par ce qu'elle avait lu dans la presse. "On fait de moi une victime. Ce n'est pas le cas", a-t-elle déploré.
A la suite de ces violences, M. El-Mrabet a sombré dans un coma dont il est sorti deux jours plus tard. Sérieusement blessé au crâne, il a conservé un souvenir imprécis des événements. Lorsque à son réveil on lui a dit qu'il s'était comporté en héros, il l'a cru.
Mais en prenant connaissance du dossier d'instruction il y a quelques jours - ses agresseurs comparaîtront le 12 décembre devant le tribunal correctionnel d'Evry -, il a découvert la vérité. "Lui, il est traumatisé, on ne peut pas lui en vouloir", plaide Me Bourdais.
En revanche, les intentions de ceux qui ont érigé ce fait-divers en exemple, n'hésitant pas, pour cela, à tordre la réalité, lui paraissent autrement plus douteuses. "Une semaine après le drame, les services de police, la préfecture de l'Essonne, le parquet d'Evry qui avait ouvert une information judiciaire sur cette affaire savaient que mon client n'avait secouru personne", souligne-t-il.
Aujourd'hui Jilali El-Mrabet et Me Bourdais s'interrogent : le ministre-candidat a-t-il été mal informé ou a-t-il sciemment fait de cette affaire un symbole ? "Mon client a l'impression d'avoir été instrumentalisé" conclut Me Bourdais.
Yves Bordenave
Article paru dans l'édition du 18.10.07.
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