"L'idée est de casser le mouvement très vite"
Blocage des facs : Entretien avec David Dufresne
Le maintien de l'ordre c'est d'abord (et surtout) de la politique. S'il y a une chose à retenir des récents travaux de David Dufresne c'est bien celle-là. L'auteur de Quand la France s'embrase et Maintien de l'ordre, documentaire et livre où il décryptait le traitement politique de la fronde anti-CPE et des émeutes de banlieues, pose pour Flu son regard sur la gestion de l'actuel mouvement étudiant.
Y a t-il des fondamentaux de la gestion politique contemporaine du maintien de l'ordre ?
A l'époque (du CPE), on a laissé deux mois des universités occupées parce qu'il y a une loi de la franchise universitaire qui dit que les lieux de savoir comme les lieux de culte ne sont pas accessibles à la police. (...)Donc là l'idée semblerait de casser le mouvement à la source, très vite. On évite le bis repetita.
David Dufresne : L'un des principaux est la démilitarisation. Ce sont des policiers pas des soldats qui interviennent, même s'il y a parfois des gendarmes mobiles, comme mardi à Nanterre, ils sont placés sous l'autorité d'un commissaire ou d'un préfet.
Il y a la très importante notion du chiffre qui pousse les policiers à interpeller,même brièvement, beaucoup de monde à la fin des manifs pour balancer des chiffres aux journaux télévisés.
Un autre aspect essentiel, c'est l'organisation. Il y a une fonction - que les manifestants ne connaissent généralement pas - c'est celle d'officier de liaison. Comme son nom l'indique, il est chargé des liens entre les organisateurs de la manifestation et la police sur le tracé, les horaires de départ etc..
Une manifestation est-elle systématiquement encadrée de la sorte ?
C'est tout le problème. Certains mouvements plus spontanéistes ou anarchisants ne sont pas enclins à discuter avec les autorités. Les mouvements étudiants inquiètent aussi la police. Les coordinations des mouvements par leurs organisateurs sont parfois complexes. Les déclarations en préfecture des manifestations ne sont pas toujours faites notamment en province. Je pense d'ailleurs qu'il y a comme un savoir-faire commun à Paris, une grande coordination qui n'est pas toujours aussi évidente ailleurs dans le pays où il y a peut être - c'est mon sentiment - moins d'enjeu parce que moins de caméras et de médias.
La question des médias est aussi celle de la popularité d'un mouvement. L'opinion publique n'est-elle pas moins favorable à l'actuel mouvement étudiant expliquant ainsi la radicalisation plus décomplexée des actions policières ?
Avant toute chose, je précise que je n'ai pas travaillé spécifiquement sur le mouvement en cours. J'ajoute qu'il est difficile de mesurer la popularité d'un mouvement. Le combat contre le CPE au départ ce n'est pas grand-chose. Bruno Julliard de l'UNEF-ID expliquait dans mon film qu'il avait refusé la proposition initiale des autorités qui leur proposaient les grandes avenues pour défiler parce que cela aurait entrainé des images de défilés clairsemés.
Une des hypothèses pour expliquer le durcissement est d'ailleurs que la leçon du CPE a été retenue.
A l'époque, on a laissé deux mois des universités occupées parce qu'il y a une tradition de la franchise universitaire qui dit que les lieux de savoir comme les lieux de culte ne sont pas accessibles à la police. Mais du coup, il y a un côté sanctuaire et quand des bastions comme l'université de Rennes 2 ou La Sorbonne sont tenus, le mouvement y réfléchit, s'organise et peut prendre à partir de là beaucoup d'ampleur.
Donc là l'idée semblerait de casser le mouvement à la source, très vite. On évite le bis repetita.
La division des étudiants sur la réforme de Valérie Pécresse ne joue-t-elle pas dans l'attitude des policiers ?
Certainement. Les syndicats ont pour la plupart amendé cette réforme au départ. C'est moins évident maintenant de lancer un grand mouvement.
Le CPE était plus clair : il s'agissait d'un passage en force par le 49. 3 donc sans vote à l'assemblée, sans discussion, on pouvait donc plus facilement s'autoriser à lancer le débat dans la rue. Là c'est différent. Il faut comprendre que la gestion de l'autorité est à géométrie variable. Le Nicolas Sarkozy qui gère n'est pas le Sarkozy ministre de l'Intérieur qui se flattait de discuter avec les syndicat et qui pouvait laisser Dominique de Villepin s'enfermer seul dans la crise tant que lui évitait la violence des manifestations. Cette fois l'enjeu politique n'est plus le même. Il ne veut pas voir durer le mouvement.
Propos recueillis par Daniel De Almeida
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