15/11/2007

La Radio fait sa révolution numérique, la fin d'une époque..

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Stations commerciales et opérateurs de téléphonie veulent imposer une coûteuse norme de diffusion. Le CSA doit trancher.

Préparez-vous à bazarder vos vieux transistors. L’année 2008 sera celle de la numérisation de la radio. Un progrès technologique incontestable mais dont les modalités, actuellement en discussion, risquent de mettre en péril la pluralité de ce média. Présentation d’un débat houleux.
Le passage au numérique menace les petites radios
RUE89
Par Alice Milot (Etudiante) 12H32 14/11/2007

Avec ses 6 000 fréquences, notre bande FM est largement saturée. La densité de couverture est l’une des plus fortes d’Europe, mais la diffusion analogique française maintient de grandes inégalités de réception entre les régions. Ainsi, si tous les contribuables paient leur redevance radio, ils sont seulement 75% à capter France Info.

Outre une meilleure couverture du territoire, le passage national à la diffusion numérique doit offrir de nombreux avantages: une meilleure qualité de son, un panel de programmes plus vaste, l'affichage de données associées sur les récepteurs, la possibilité de mettre en pause la diffusion d’une émission et de la reprendre plus tard.

Voulu avant la fin 2008 par Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, l’abandon de la bande FM se fera donc progressivement jusqu’en 2011. Reste à savoir dans quelles conditions.

Sur le poste, un écran LCD pour recevoir des données multimédia

Deux normes de diffusion sont disponibles: T-DMB et DAB+. C’est là où le bat blesse... Au-delà des aspects techniques, le choix sera primordial, puisqu'il aura des conséquences sur la diversité de ce média.

Le Groupement pour la radio numérique (GRN), qui réunit entre autre Radio France, Lagardère, RTL, NRJ... et revendique 90% de l’audience française, fait la promotion du T-DMB: cette technique permet de recevoir, sur un écran à cristaux liquides, un certain nombre de données multimédia, par exemple la photo de l’invité de l’émission, les références du livre présenté, des brèves, la pochette de CD de la chanson qui passe, une carte météo, le trafic routier...

Des fonctionnalités que n'offre pas le DAB+, la seconde technique, qui ne permet, elle, de diffuser que des textes. Mais ce format offre, à moindre coût, une même qualité d’écoute, et un panel de programme plus large, puisqu’il occupe une fréquence plus basse. Les radios associatives et indépendantes militent pour une diffusion "multinorme", pour que chaque antenne puisse choisir entre ces deux systèmes de diffusion. Une question de survie pour nombre d'entre elles.

Le GNR a tout d’abord prétexté qu’il n’était techniquement pas possible de faire fonctionner les deux normes en même temps. Or les récentes expérimentations, notamment celles menées par l’association DR France, prouvent le contraire, comme l’explique son président Samil Shalak sur le site:

"Il faut laisser à ceux qui souhaitent diffuser en T-DMB la faculté de le faire et à ceux qui entendent diffuser en DAB+ cette possibilité. Rien ne s'y oppose, ni dans les textes, ni du point de vue technique, les expérimentations le prouvent."

Martin Ajdari, directeur général de Radio France avance cependant un autre argument en faveur du T-DMB seul. Pour lui, il faut privilégier une seule norme, pour éviter la confusion chez les auditeurs au moins au moment du lancement:

"Quand les parcs de récepteurs seront au point, on pourra diffuser sur une autre norme si certains le souhaitent. Les petites radios ne sont de toute façon pas en mesure financièrement de passer maintenant au numérique".

Les trois quarts des petites radios seraient mises sur la touche

Avec les coûts de la T-DMB, dont l’encodage mais aussi des émetteurs et des antennes plus onéreux, la numérisation sera en effet financièrement hors de portée pour ces radios rurales et associatives, qui seront amenées à disparaître au moment de l’abandon de l’analogique.

Ce que dénonce le Syndicat national des radios libres (SNRL), qui va jusqu’à parler de "ségrégation". Selon lui, 75 à 80% des radios rurales et associatives ne pourront pas tenir le choc. Il s’inquiète d’un paysage radiophonique appauvri, en contradiction avec les principes de la loi de 1986 sur le pluralisme des opérateurs. Le syndicat réclame donc une aide financière, dont le principe a d'ailleurs été accepté par le ministère de l’Industrie, mais qui reste à mettre en oeuvre.

Pour le président de ce syndicat, Emmanuel Boutterin, si l’enjeu paraît au premier abord uniquement technique, il est avant tout industriel et politique. "Les réseaux commerciaux souhaitent profiter de la numérisation pour rebondir économiquement et faire de la radiotélévision." Un argument que Martin Ajdari réfute:

"La radio doit rester un média d’accompagnement. Mais rien n’empêche de jeter un coup d’oeil à l’écran pendant qu’on se rase."

Les opérateurs téléphoniques entrent dans la danse

Le débat s'est compliqué quand les opérateurs de téléphonie se sont invités à la table des négociations. Profitant de l’ouverture de nouvelles fréquences, ils souhaitent les utiliser pour la télévision mobile. Les radios vont devoir défendre leur pré carré, si elles veulent éviter que leurs fréquences soient mises aux enchères face à ce puissant concurrent.

Le poids économique de ces nouveaux acteurs, associés aux radios commerciales, pourrait peser, pour le gouvernement et le CSA, en faveur du T-DMB. C’est en tout cas ainsi que Yannick André-Masse, directeur de l’opérateur de diffusion VDL, qui commercialise encodeurs et multiplexes essentiels à la numérisation, explique que le CSA ait privilégié dans un premier temps le T-DMB.

Pour lui, ce débat cache une opposition classique dans le monde radiophonique:

"Les radios associatives occupent une place équivalente aux radios commerciales sur la bande FM sans créer de la valeur ajoutée. Les unes prennent forcément le contre-pied des autres: les places sont chères."

Au CSA de choisir la future norme, avant d'attribuer les fréquences

Le ministère de l'Industrie a demandé au CSA de statuer sur le choix d’une norme de diffusion. Tout d’abord opposé à une diffusion multinorme qui compliquerait administrativement le passage au numérique, le CSA a finalement accepté de recevoir début novembre les expertises réalisées pendant l'été par les deux camps.

Le régulateur audiovisuel est pris en étau entre ceux qui réclament que toutes les expérimentations soient réalisées avant qu’un décret ne soit adopté, et ceux qui souhaitent le passage au numérique le plus rapidement possible. Le CSA, que Rue89 n'a pu joindre, n'a pas communiqué la date à laquelle il rendrait publique sa décision.

Suivront des appels à candidature, une question tout aussi épineuse, puisque les procédures d’attribution de fréquence ne doivent exclure personne. Il existe en effet deux bandes de diffusion, la bande III, moins coûteuse et plus efficace en termes de couverture que la bande L. Le CSA attribuera en priorité les fréquences sur la première, mais il devra aussi avoir recours à la seconde, qui présente de nombreux désavantages.

Qui en sera victime? Les radios associatives étant locales, il est possible qu’elles soient un temps reléguées sur la bande L, afin de libérer de la place sur la bande III pour les radios commerciales qui sont, elles, nationales ou régionales.

Bande III ou bande L, T-DMB ou DAB+, les appareils de radio actuels ne permettront pas de capter les nouvelles ondes numériques. Radio-réveil, autoradio, chaîne hi-fi: les amateurs devront donc renouveler tous leurs équipements pour profiter de la radio du futur.



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