Triste

Dans quelque temps, l’EHESS rejoindra le 9-3. Pas question, répliquent quelques sociologues habitués à leur très chic VIe arrondissement.
Certains des universitaires les plus éminents de France, les tenants d’un certain radicalisme chic, font ardemment campagne pour empêcher l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de s’installer à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, au nord de la capitale.France
COURRIER INTERNATIONAL
ELITISME - La banlieue ? D’accord, mais de loin

Pour les partisans du déménagement, en revanche, la seule chose qui intéresse “l’intelligentsia Rive gauche” dans cette affaire, c’est de rester à proximité des cafés de Saint-Germain-des-Prés et de ses boutiques de marques, de ses boulangeries choisies ou de ses épiceries fines où l’on vend du saumon fumé. La dispute a éclaté lorsque l’école a annoncé qu’elle quitterait le boulevard Raspail, dans le VIe arrondissement, pour prendre ses quartiers dans un campus à l’américaine – surnommé Berkeley-sur-Seine – dans une friche industrielle à Aubervilliers. Prévu pour 2012, le déménagement a été avancé depuis que le bâtiment du boulevard Raspail a été déclaré insalubre pour cause d’amiante. La délégation de chercheurs qui a visité le site d’Aubervilliers s’est déclarée “catastrophée”. “Aucun résident. Aucun espace vert. Pratiquement aucun arbre. Aucun commerce. Aucun café. Aucun restaurant”, se plaignent-ils amèrement sur un blog . Philosophes, historiens, économistes et sociologues ne cessent de dénoncer le fait que la Seine-Saint-Denis est une “zone qui manque de tous les outils nécessaires au travail intellectuel”. L’EHESS est, selon eux, victime d’un complot ma­chiavélique orchestré par le président Sarkozy dans le but de démanteler ce bastion de l’anti-establishment. L’école est en effet célèbre pour son rôle dans les manifestations étudiantes de 1968 et pour avoir produit certains des plus grands penseurs de gauche français, dont le sociologue Pierre Bourdieu.
Cela dit, cette campagne anti-déménagement en fait ricaner d’autres, tel Francis Chateauraynaud, directeur du Groupe de sociologie pragmatique et réflexive, pour qui “les nantis du VIe arrondissement refusent de se remuer le derrière et ont peur du 9-3”. Pour ses partisans, le déménagement permettra peut-être de combler le fossé qui sépare le centre riche et blanc de Paris d’une périphérie marquée par l’immigration, le chômage et la violence. Catherine Sautter, membre de l’administration de l’EHESS, conclut : “Peut-être nos intellectuels sont-ils finalement loin d’être si intelligents.
Adam Sage
The Times