02/12/2007

Un article qui met du baume au coeur

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A chaque conflit, on entend les mêmes banalités sur l’archaïsme des syndicats… Stupidité, estime un éditorialiste britannique, qui dénonce avec humour un mauvais partage des richesses.Ils ont bien raison de faire grève
COURRIER INTERNATIONAL

L’une des conséquences des grèves en France est qu’elles rendent fous ceux qui écrivent habituellement sur ce genre d’événements. On se retrouve à lire des articles du genre : “Dans une économie moderne et mondialisée, le militantisme à l’ancienne n’a strictement aucun pouvoir. C’est la raison pour laquelle ces cheminots doivent se rendre compte que, en immobilisant la totalité du pays, leurs syndicats impuissants sapent l’économie non seulement de la France, mais de l’Europe tout entière et d’une bonne partie du cosmos. Pis encore : d’autres secteurs d’activité ne manqueront pas aussi de se mettre en grève ! N’ont-ils pas lu mon livre où il est clairement expliqué pourquoi ce genre de choses est désormais impossible ? Et maintenant, à cause d’eux, je vais carrément devoir marcher pour me rendre à ma conférence intitulée : Pourquoi il est complètement absurde d’imaginer qu’une grève puisse avoir de nos jours le moindre impact !”
Parce qu’elles sont françaises, ces grèves sont menées avec un certain panache. Ainsi, les chanteurs d’opéra se sont joints aux protestations, ce qui devait donner des échanges des plus savoureux dans les piquets de grève, entre sopranos et altos : “Tu es un jauuuuuuuuune ! — Je veux travailler ! — Tu es un jauuuuuuuuuuune ! Aussi me voyez-vous dans l’obligation, cher monsieur, de vous balancer un pavé !” Et maintenant, pour protester contre la fermeture de leurs tribunaux, des avocats et même des juges ont voté la grève. Peut-être les magistrats manifesteront-ils au cri de : “Que voulons-nous ? Avant de répondre, je vous demanderai d’examiner soigneusement les pièces à conviction.” Contre les grèves, les mêmes arguments démodés ressortent toujours : les travailleurs défendent leurs privilèges, comme le droit à la retraite après des décennies de travail, et le pays ne peut plus se le permettre. Aussi le discours typique d’un économiste progouvernemental pourrait-il commencer ainsi : “Ce système de retraite date des années 1960 alors que nous étions beaucoup plus pauvres, mais, maintenant que notre société est bien plus riche, il faut le supprimer. Car personne n’ignore que plus on est riche, moins on a les moyens.”

Prendre exemple sur le Myanmar, une bonne idée !

C’est pourquoi les gagnants du Loto, dès qu’ils ont touché leur chèque, vendent tous leurs disques et éteignent le chauffage, conscients qu’ils sont de ne plus pouvoir se vautrer dans leurs anciens privilèges. Et c’est bien connu, quand on a inventé la charrue, on a réuni tous les paysans pour leur dire : “Cette petite merveille va faire le boulot en deux fois moins de temps. Et c’est formidable parce que cela signifie que désormais nous allons tous travailler cinq heures de plus par jour.”
Ces prétendus “privilèges” seraient un frein pour l’économie et la raison pour laquelle le pays va mal. Les Français devraient donc prendre exemple sur les Britanniques, parce que, grâce à nos politiques visionnaires, notre système de retraite est désastreux et nous travaillons en moyenne 2 h 38 de plus par semaine que les Français. Nous sommes donc de toute évidence bien mieux lotis. Cela dit, nous avons encore beaucoup à apprendre de ces véritables économies modernes que sont des pays comme le Myanmar, où il n’y a pas de retraites et où les gens sont contraints de travailler jour et nuit s’ils ne veulent pas être battus comme plâtre en public. Et, en plus, c’est connu : ils sont pleins aux as, les veinards !
Etant donné la détermination du nouveau gouvernement français à éradiquer cette culture d’acquis sociaux indus, Nicolas Sarkozy doit bien connaître quelques-uns des représentants de cette classe privilégiée ! Vous serez surpris d’apprendre que non : l’actuel président n’est pas copain comme cochon avec, par exemple, un cheminot lillois mal rasé, mais avec Bernard Arnault, PDG de Christian D’Or [sic], qui pèse bien 21 milliards de dollars. Son syndicat doit être drôlement archaïque.
Dans ce contexte, il peut sembler miraculeux que quiconque puisse devenir aussi riche dans un pays comme la France. On nous présente toujours ce pays comme un cas ­désespéré où les hommes d’affaires ne peuvent monter le moindre projet sans se retrouver avec des hordes de manifestants balançant dans leur jardin des dizaines de milliers de porcs brûlés. Mais l’économie française a connu une croissance similaire au reste du monde occidental. Avec, certes, une différence majeure : la fortune des 1 % de Français les plus riches n’a pas été multipliée par trois en termes réels au cours des dix dernières années, comme au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.
Le président Nicolas Sarkozy est le représentant d’une aile frustrée des hommes d’affaires qui veulent que la gestion du pays soit confiée à des financiers du genre de ceux qu’on rencontre à la City londonienne, ces fameux 1 % les plus riches. Mais une partie des grévistes semblent avoir compris que réduire les retraites, fermer des tribunaux, supprimer des milliers de postes d’instituteurs et privatiser une partie du système universitaire n’est pas une crise de folie passagère, mais fait partie d’un plan bien précis. Et puis, un gouvernement qui a l’air de dire : “La gestion de nos chemins de fer est dépassée : faisons plutôt comme les Anglais” doit être empêché de réussir.
Mark Steel
The Independent

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