07/02/2009

En 2008, la CNIL a constaté 83% d’erreurs dans les fichiers policiers

Partager


Excellent article lu ici :


Les gens ont souvent du mal à comprendre en quoi ils seraient concernés par le fichage policier.


C’est pourtant simple : le STIC (système de traitement des infractions constatées), sorte de “casier judiciaire bis”, recense plus de la moitié des Français.

Plus 100 000 policiers (sur les 146 116 fonctionnaires du ministère de l’Intérieur) y ont ainsi accès à des données sensibles concernant plus de 28 millions de victimes, et plus de 5,5 millions de personnes mises en cause (“suspects”). Et plus d’un million de salariés peuvent perdre leur travail, ou ne pas être embauchés, s’ils y sont fichés (voir le billet que j’avais récemment écrit à ce sujet : “Futurs fonctionnaires, ou potentiels terroristes ?“).






**********

Le problème se double du fait que ce fichier est truffé d’erreurs (voir “Victimes du STIC“, un excellent article de l’Express), et que des personnes se voient ainsi licenciées parce qu’elles étaient répertoriées comme suspectes -alors qu’elles étaient en réalité les victimes des affaires en question- ou bien encore parce que la décision de non-lieu, de relaxe ou de classement sans suite n’a pas été inscrite dans leur fichier.
65% des erreurs du fichier policier émanent des procureurs

L’an passé, je m’étonnais de la très nette augmentation des erreurs repérées par la CNIL dans les fichiers policiers ces dernières années :

En marge du rapport qu’elle vient de rendre public sur le STIC (le principal fichier policier), la CNIL révèle qu’en 2008, elle avait modifié 66% des fichiers qu’elle a été amené à contrôler, supprimé 17 autres %, et que seuls 17% des fichiers étaients exacts, et respectaient donc bien la loi. Soit un taux d’erreurs de 83%.

Ce chiffre est à prendre avec précautions : les fichiers contrôlés l’ont en effet été à la demande de ceux qui y étaient fichés, et qui avaient donc des raisons de demander à ce qu’ils soient vérifiés.


Mais un test, effectué par la CNIL sur un échantillon de 645 personnes impliquées dans des infractions sur les stupéfiants, montre que dans un tiers des cas, le fichier était erroné, faute d’avoir été mis à jour par le ministère de la Justice.

Alors que, depuis des années, c’est le ministère de l’Intérieur qui est stigmatisé pour sa gestion du STIC, la CNIL révèle dans son rapport que, dans 35% des cas, l’“erreur” émane de l’Intérieur, et que 65% de ces “erreurs” proviennent donc des procureurs et du peu de cas que fait le ministère de la Justice des libertés qu’il est pourtant censé garantir.
1 M de personnes, blanchies par la justice, mais toujours suspectes pour la police

Car si le STIC est alimenté par les policiers, sa mise à jour dépend des procureurs. Or, le rapport de la CNIL, qui se base sur l’utilisation du STIC par 34 procureurs représentant 50% de l’activité pénale en France, révèle que, depuis 2005, 1 020 883 classements sans suite, 54 711 relaxes, 873 acquittements et 7761 non-lieux n’ont pas été rapportés dans le STIC. Soit, en 3 ans, 1 084 228 personnes blanchies par la justice, mais toujours considérées comme “suspectes” dans les fichiers policiers.

Le ministère de la Justice ne s’est jamais décidé à donner les moyens informatiques aux tribunaux pour qu’ils puissent, matériellement, mettre à jour le STIC. Si son prochain système informatique devrait, en tout ou partie, permettre la mise à jour, il est “en développement” (la CNIL en parle comme d’une “arlésienne”) depuis 10-15 ans, et n’a pour l’instant rien prévu pour purger l’existant.

De plus, il arrive aussi à certains policiers de refuser la mise à jour ou d’effacement de certains fichiers. La seule chose qui reste à faire pour que les gens fichés ne pâtissent pas de ce fichage est qu’ils demandent, en vertu du droit d’accès indirect, à la CNIL ou au procureur d’aller vérifier la mise à jour, et la licéité, de leurs fichiers. Ce qui prend, en moyenne, plus d’un an.

Signe que le problème gagne en ampleur : il y a 4-5 ans, la CNIL enregistrait 400 demandes de droit d’accès indirect. L’an passé, elle en a traité 1400.

Une somme de négligences “coupables”

Dans son rapport, la CNIL déplore également :

. la politique de gestion des mots de passe permettant l’accès au STIC (& qui sont parfois écrits, en clair, sur des post-it collés à proximité des PC, confiés dans des enveloppes non cachettées ou facilement devinables, parce que constitués de quatre caractères alphanumériques seulement),

. les erreurs de saisie faisant passer la durée de conservation du fichier de 5 à 20 voire 40 ans, ou faisant d’une victime (il faut taper sur la lettre C, pour “constaté”) un suspect (là, c’est la lettre E, pour “élucidé”, le suspect ayant été identifié),

. le fait que l’on y trouve des mentions douteuses (”travesti” ou “homosexuel”, par exemple),

. l’absence de traçabilité des consultations du STIC (120 vérifications, l’an passé, sur plus de 20 millions de consultations, soit moins de 0,0006% de contrôle),

. le fait que les informations, qui devraient normalement être effacées au bout de 400 jours, dans les commissariats locaux, sont en fait conservées ad vitam aeternam…

La CNIL s’étonne également de l’utilisation qui est faite du STIC à l’occasion des enquêtes administratives faites pour jauger la “moralité” du million de salariés qui font l’objet de vérifications afin d’être habilités à travailler.

Après avoir découvert que ces enquêtes de police administrative avaient entraîné 1M de consultations l’an passé (soit 5% du total), la CNIL s’est en fait aperçu que ce chiffre était grossièrement sous-évalué, la majeure partie des policiers consultant le volet de police judiciaire, et non celui des enquêtes administratives, des fichiers.

Et ça change tout, comme si, au lieu d’envoyer le bulletin n°3 de votre casier judiciaire (celui qui ne comporte que les condamnations les plus graves prononcées pour crime ou délit) à votre employeur (comme c’est la règle, et le droit), c’était le bulletin n°1 (celui qui n’est pas expurgé, et auquel n’ont accès que les autorités judiciaires) qui leur était transmis.

Un fichier illégal depuis… 13 ans


Dernier point, qui n’est pas le plus anodin : dans son rapport, la CNIL écrit que le STIC a été créé en 2001. C’est faux. Le STIC a été créé en 1995, mais la CNIL s’y opposa, parce que le ministère de l’Intérieur refusait d’accorder aux personnes fichées un droit d’accès et de rectification (ce que prévoit expressément la loi informatique et libertés). Cela lui avait d’ailleurs valu de remporter un prix Orwell aux Big Brother Awards, en l’an 2000.
Le fichier n’a finalement été légalisé qu’au cours de l’été 2001, juste avant les attentats de septembre, qui ont par ailleurs entraîné le gouvernement d’alors à en élargir l’utilisation, aux fins d’enquêtes de “moralité” & de police administrative visant toute personne postulant (ou travaillant) dans des métiers sensibles, ou réclamant la nationalité française, la légion d’honneur, etc.
Reste que le STIC a donc fonctionné, illégalement, pendant 6 ans. Ceci pouvant peut-être aussi expliquer cela, et ce pour quoi les ministères de l’Intérieur et de la Justice ne respectent toujours pas la loi. Cette précision aurait peut-être permis aux lecteurs du rapport de la CNIL, aux journalistes qui s’en sont fait l’écho, et aux citoyens qui en ont entendu parler, de mieux comprendre la généalogie de cette dérive du fichage policier.


La CNIL a préféré ne pas l’évoquer. Elle préfère probablement ne pas attaquer bille en tête le gouvernement. D’autant que, et aussi étonnant que cela puisse paraître, les fichiers policiers ont le droit de violer la loi : en vertu de la loi informatique et libertés, telle qu’elle a été révisée en 2004, les fichiers policiers disposent d’un délai courant jusqu’en octobre 2010 pour se conformer à la loi, et ont donc le droit d’être “hors la loi” d’ici là.
Voir aussi le compte-rendu du chat organisé par LeMonde.fr à ce sujet : “Avec le STIC, c’est la présomption de culpabilité qui prévaut“. )**********





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire