La lauréate du Goncourt déclarait cet été «trouver la France de Sarkozy monstrueuse». Des propos «insultants» estime le député UMP Eric Raoult qui en appelle au devoir de réserve de l'auteur. Une demande fantaisiste répliquent les milieux littéraires.
Recevoir le Goncourt et avoir une langue bien pendue ne sont pas forcément compatibles aux yeux de tous. Depuis le début de la semaine, la dernière lauréate en date du prix, Marie Ndiaye, est ainsi la cible pour excès de franchise de la colère d'Eric Raoult. Le député UMP n'a pas digéré l'interview donnée cet été par l'auteur de «Trois femmes puissantes» aux Inrockuptibles. Dans le numéro daté du 18-24 août, la romancière expliquait pourquoi elle avait choisi de vivre à Berlin avec son compagnon et leurs trois enfants depuis deux ans «en grande partie à cause de Sarkozy». «Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité... Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. Je trouve cette France-là monstrueuse», affirmait-elle en réponse à la question «Vous sentez-vous bien dans la France de Sarkozy?».
Des propos «insultants» fustige Eric Raoult, qui estime qu'en tant que récipiendaire du Prix Goncourt, Marie Ndiaye se doit de «respecter la cohésion nationale et l'image» de la France. Dans une «question écrite» adressée au ministre de la Culture, l'élu de Seine Saint-Denis a donc demandé à Frédéric Mitterrand de lui «indiquer sa position sur ce dossier et ce qu'il compte entreprendre en la matière». Selon Eric Raoult, «les déclarations de la romancière d'une rare violence sont peu respectueuses à l'égard de ministres de la République et plus encore du chef de l'Etat». Evoquant un «devoir de réserve dû aux lauréats du Prix Goncourt», le député suggère qu'une «personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d'un certain respect à l'égard de nos institutions».»Il me semble que le droit d'expression ne peut pas devenir un droit à l'insulte ou au règlement de compte personnel», ajoute même l'ancien ministre.
Marie Ndiaye demande aussi son avis à Mitterrand
Son indignation amuse plutôt les milieux littéraires. Le journaliste Bernard Pivot, membre de l'Académie Goncourt, a souligné mercredi que «le devoir de réserve des prix Goncourt n'existe pas et n'existera pas». «Ce qui est vrai, c'est que le Goncourt renforce une position, donne une aura, une légitimité. Mais les propos que tiennent les lauréats n'engagent qu'eux-mêmes, ils n'engagent en aucun cas la France», a poursuivi l'ancien présentateur de «Bouillon de Culture». «Un prix Goncourt n'est pas un préfet ou un fonctionnaire, c'est l'inverse. M. Raoult devrait plus lire et plus aimer la liberté», a corroboré Erik Orsenna, ancien lauréat. Quant au compagnon de Marie Ndiaye, Jean-Yves Cendrey, il a choisi, sur France Info, le registre de l'ironie : «M. Raoult est habitué aux sorties de route mais là il nous fait trois tonneaux dans un champ de navets. Reste à savoir si quelques ministres prendront une civière pour chercher Raoult dans ce champ de navets».
Le Ministère de la culture n'a pas commenté la requête d'Eric Raoult, qualifiée d' «ignoble intimidation» par le député socialiste Christian Paul. Rue de Valois, on indique seulement que le député UMP ayant adressé au ministre une question écrite, il lui sera répondu «par écrit».
La principale intéressée, Marie Ndiaye, a elle-même demandé mercredi, sur France info, au ministre de la culture de donner son avis. «J'aimerais beaucoup que Frédéric Mitterrand intervienne dans cette histoire puisque c'est à lui que M. Raoult s'est adressé, et nous donne son avis sur le devoir de réserve des Prix Goncourt et même tout simplement des écrivains», a déclaré la lauréate. «Ce serait bien, a-t-elle ajouté, qu'il nous donne son avis et mette un point final à cette affaire, qui est quand même assez simple».
Dans une interview accordée dès lundi soir à Europe 1, avant le début de la controverse, la romancière tempérait ses propos et rejetait l'idée que son départ à Berlin constituait «une forme d'exil politique». «Non, je n'aime pas dire les choses ainsi, c'est très excessif. Je ne veux pas du tout avoir l'air de fuir je ne sais quelle tyrannie insupportable, simplement depuis quelques temps je trouve l'atmosphère en France assez dépressive et morose, tandis qu'à Berlin en ce moment elle me semble plus exaltante». Quant au lien direct entre son départ de France et l'élection de Nicolas Sarkozy ? «Je ne crois jamais qu'un seul homme puisse faire un pays», concluait-elle.
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