Dans « L'affaire Coca-cola », documentaire diffusé lors du festival international du film des droits de l'homme*, le réalisateur canadien d'origine colombienne, Germán Gutiérrez suit pendant trois ans l'action de deux avocats américains qui se battent pour que la responsabilité de la multinationale soit reconnue dans le meurtre de 8 syndicalistes colombiens (Sinaltrainal) travaillant dans une usine d'embouteillage de la marque, à la fin des années 90-début 2000. Rencontre avec Germán Gutiérrez et la productrice Carmen Garcia.
Comment vous est venue l’idée de faire ce documentaire ?
Germán Gutiérrez : L’histoire est assez simple. Nous avons appris il y a trois ou quatre ans, lors de notre précédent film « Qui a tiré sur mon frère ? », tourné là bas, qu’il y avait plus de 4000 syndicalistes assassinés en Colombie. Il était donc assez difficile de rester insensible à cela car dans cette proportion là, il s’agit clairement d’une politique déterminée d’éliminer le mouvement syndical. Or, ce problème était peu connu dans le monde et même en Colombie car l’information ne circule pas.
Carmen Garcia : C’est aussi à cette époque que nous avons rencontré l’un des protagonistes principal de l’affaire Coca-Cola, l’avocat Dan Kovalik, qui mène la procédure judicaire pour le syndicat Sinaltrainal aux Etats-Unis. Il a mené plusieurs procès contre des multinationales implantées dans le pays et qui se défaussent de leurs responsabilités en matière de droits humains sur leurs franchisés.
Ces violations de droits humains touchent plusieurs multinationales dans le pays. Pourquoi avoir ciblé Coca-Cola en particulier ?
Germán Gutiérrez : Il s’agissait d’un cas très documenté et qui faisait déjà l’objet d’une procédure devant une cour américaine. Et puis, c’est la marque par excellence dont la valeur est uniquement basée sur son image ; donc si l’on garde un œil ouvert sur elle, elle n’a pas d’autre choix que de réagir…
Carmen Garcia : Utiliser le nom de Coca-Cola nous paraissait plus efficace. Si Coca-Cola décidait de changer ses pratiques et de faire respecter les droits humains, nous pensions que cela aurait encore plus de force. C’est aussi ce que pensent les avocats, qui pendant les négociations, ont dit à Coca-Cola qu’elle avait effectivement ce pouvoir de changer les choses…
De fait, depuis que les poursuites ont été lancées, il n’y a plus eu d’assassinats de syndicalistes chez un fournisseur de Coca-Cola en Colombie…Et c’est ce paradoxe que vous essayer de montrer : d’un côté Coca affirme ne pas avoir de responsabilité chez ses sous-traitants et de l’autre, son poids lui permet d’imposer le respect des droits humains…
Carmen Garcia : Dès les premières menaces à l’encontre des syndicalistes, Sinaltrainal a envoyé des lettres à Atlanta, mais Coca-Cola n’a pas bougé. Puis ils ont essayé d’obtenir justice en Colombie, sans succès. C’est alors qu’ils ont entendu parler de ces avocats américains qui avaient déterré une vieille loi, l’« Alien tort claims act » qui permet à des étrangers de poursuivre aux Etats-Unis des citoyens américains qui violent les lois internationales. Eux, veulent l’utiliser contre les multinationales.
Germán Gutiérrez : Dans le cas de Coca par exemple, il existe réellement un lien entre la maison mère et les embouteilleurs. Coca-Cola leur fournit le sirop et même si elle n’est pas majoritaire, elle détient des parts dans ces usines, et reçoit une part des profits. Le cas de la Colombie n’est pas isolé ; nous avons connaissance de problèmes similaires en Turquie ou au Guatemala (un procès est en cours aux USA concernant l’usine d’embouteillage Incasa, ndlr).
Dans votre documentaire, le point de vue de Coca-Cola est exclusivement donné par le président de l’époque, Neville Isdell, lors des assemblées d’actionnaires. Pourquoi ?
Germán Gutiérrez : A partir du moment où l’on a eu accès à la voix du président, qui est la voix officielle, il n’y avait plus d’intérêt à aller voir les autres membres du groupe. C’était aussi intéressant de voir que des actionnaires, dont certains détiennent beaucoup de parts, s’interrogent sur la responsabilité de Coca-Cola. Malheureusement, parce qu’ils ne sont pas majoritaires, leurs propositions sur l’environnement ou le respect les droits de l’homme, sont systématiquement rejetées d’années en années.
Carmen Garcia : D’un point de vue plus cinématographique peut-être, l’idée était aussi de suivre les gens dans la situation, en Colombie, aux Etats-Unis ou ailleurs. Or, à chaque fois que nous avons voulu parler à l’équipe Coca-Cola, ils prétendaient cela n’était jamais « le moment ». Ils pouvaient aussi nous demander de ne pas filmer…
Depuis la sortie du documentaire, Coca-Cola a envoyé des lettres aux diffuseurs, Cinema Politica au Canada et même au Festival des Droits de l’homme à Paris pour dire que le film contenait des informations inexactes…
Carmen Garcia : Coca-Cola a dû se procurer une copie du documentaire en septembre dernier et depuis ils envoient des lettres aux diffuseurs, expliquant qu’il y a diffamation et « bris de confidentialité » sur les négociations. Mais nous n’en sommes pas à notre premier documentaire et nous avions tout vérifié avec nos assureurs et avocats ; il n’y a rien dans le film qui ne soit aujourd’hui rendu public et nous ne disons jamais que Coca-Cola est directement responsable des meurtres. Je pense aussi que c’était le moyen pour eux de faire entendre leur voix et d’exprimer leur désaccord avec le film.
Germán Gutiérrez : Au fond cette intervention de Coca-Cola nous a presque aidés. La lettre s’est retrouvée très vite publiée sur le net et le film, qui a l’époque était déjà diffusé en Colombie, a de fait beaucoup circulé dans les milieux militants. Il marche aussi très bien au Canada. Nous allons désormais le présenter aux Etats-Unis, ce sera le test ultime…
Effectivement car dans le film, vous montrez aussi une séquence assez hallucinante où des étudiants de l’université de Chicago, dont l’un avec un tee-shirt provocant « Fuck the human rights », manifestent pour que Coca-Cola soit réintégré dans les distributeurs de l’école au nom de la liberté de commerce…
Carmen Garcia : Oui nous voulions aussi montrer ce côté-là. Ce n’est pas pour stigmatiser ces étudiants, car nous pensons que cela reflète une partie de l’opinion, qui ne voit pas forcément le lien entre la canette qu’ils boivent et les conditions de travail des employés qui la fabriquent.
Germán Gutiérrez : Cette séquence est intéressante car il faut savoir qu’en réalité il s’agit plus de monopole que de libre concurrence. Dans les universités nord-américaines, les distributeurs contiennent exclusivement ou des boissons Pepsi ou des boissons Coca-Cola, avec en échange des subventions qui peuvent se chiffrer en millions de dollars pour l’université…
Au final, la bataille judiciaire n’a rien donné mais les syndicalistes colombiens ont choisi de continuer leur combat plutôt que d’accepter l’argent que Coca-Cola leur proposait dans les négociations…
Carmen Garcia : L’objectif des avocats est de faire aboutir un cas pour qu’il y ait une jurisprudence, mais jusqu’à présent beaucoup d’affaires se sont en fait réglées par des négociations à l'amiable. C’est donc ce que Coca-Cola a tenté de faire. Et c'est aussi la grande réussite de Sinaltrainal ; pendant un an, les syndicalistes ont assis l’entreprise à la table des négociations puis, ils se sont permis de refuser l’accord! Il faut dire que celui-ci exigeait l’arrêt des campagnes contre Coca-Cola ou tout autre multinationale, ce qui était pour eux inacceptable. Cepndant, il y a quelque chose de positif qui ressort de tout cela, car au fond, c’est aussi un film sur la solidarité internationale, un concept qui n’est pas forcément à la mode aujourd’hui.
L’Affaire Coca-Cola, 2009. Diffusion au film international des droits de l’homme au Nouveau Latina, à Paris, en présence des réalisateurs le mardi 9 mars à 20h30, le mercredi 10 à 18h, le jeudi 11 à 22h et la vendredi 12 à 12h.
propose recueillis par Béatrice Héraud
Mis en ligne le : 09/03/2010
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