22/09/2010

Migrants fantômes à Calais

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Migrants fantômes à Calais

Retour à Calais, un an après le démantèlement médiatique de la « jungle ».
le port de Calais, passage obligé pour l'Angleterre ©Marie Barbier
Dans les rues de Calais, les migrants ont disparu. Volatilisés. C’est à peine si l’on croise, parfois, deux ou trois Soudanais. Eric Besson aurait donc réussi. Le 22 septembre 2009, le ministre de l’Immigration détruisait la « jungle » de Calais, principal campement des Afghans à la périphérie de la ville. Il fallait, assurait alors le ministre de l’Immigration, « casser le principal outil de travail des filières clandestines dans la région ». Casser, détruire, démanteler… Ainsi, la politique de l’anéantissement serait gagnante.

Il ne reste rien de l'ancienne jungle de Calais, démantelée il y a un an et aujourd'hui un terrain vague ©Marie Barbier
Restes de l'ancien campement sur le terrain de la jungle démantelée ©Marie Barbier
La réalité est beaucoup plus sordide. Les migrants sont toujours là, mais réduits à l’invisibilité. Traqués par la police, ils sont des ombres qui se terrent dans des squats et des campements encore plus précaires.
De fait, leur nombre a baissé. En juillet 2009, les associations calaisiennes comptabilisaient environ 1 200 migrants ; aujourd’hui ils seraient moins de 300. Évidemment, ces hommes et ces femmes n’ont pas disparu comme par enchantement, on les retrouve ailleurs, selon le principe des vases communicants. Certains sont partis tenter leur chance en Belgique ou en Suède, réputées plus accueillantes. D’autres se sont réfugiés à Paris (lire ci-contre). Enfin, ils seraient nombreux à avoir simplement quitté Calais pour ses alentours, s’installant dans des camps précaires le long du littoral de la Manche, de Dunkerque à Cherbourg, où l’un de leur campement a récemment été incendié. En tout, environ 500 migrants vivraient dans la région. « Leur nombre a effectivement diminué, mais ce n’est pas dû à l’intervention d’Eric Besson, modère Francis Gest, du collectif d’associations C’Sur. La politique de contrôle aux portes de l’Europe, très efficace, empêche les migrants de passer les frontières. Forcément, ça se répercute ici. »

Emmuré vivant

La maison où un migrant a été enfermé durant plus de 24 heures ©Marie BarbierAutre moyen de dissuasion très efficace : la pression policière. Car si le nombre de migrants a baissé, le nombre de CRS, lui, est resté stable. Une compagnie et demie, soit 80 hommes, est en faction dans la ville. « Le harcèlement policier est quotidien, soupire Vincent De Coninck, responsable local du Secours catholique. Il y a une vraie volonté de leur rendre la vie impossible, quelqu’en soit le coût humain. Cet été, un nouveau cap a été franchi avec des interpellations sur les lieux de distribution des repas. Et pendant le ramadan, ils intervenaient dans les squats à 20h45, juste au moment de la rupture du jeûne. Résultat, les migrants, embarqués en centre de rétention, ne mangeaient pas pendant plusieurs jours. »
Burlesques ou dramatiques, les anecdotes sur les abus policiers fleurissent. Récemment, une sortie scolaire dans la citadelle a viré au théâtre de Guignol lorsque les collégiens se sont retrouvés au milieu d’une course poursuite entre migrants et CRS, les premiers se jetant dans les douves pour échapper aux seconds. Autre histoire qui a fait le tour de la ville : la semaine dernière, les forces de l’ordre ont muré un squat, oubliant un migrant à l’intérieur. L’homme a passé 24 heures emmuré vivant, avant que les associations réussissent à faire intervenir les forces de l’ordre. « Vous connaissez une ville où il existe une telle présence policière ? lance Francis Gest, de C’Sur. C’est invivable. La police tourne dans la ville, les repère, puis démantèle, casse, gaze, mure. Ils sont systématiquement délogés et les squats fermés. Leur vie ici est impossible. »

Squat des Africains

Le squat des Africains ©Marie Barbier
Le squat des Africains ©Marie Barbier
Avec une telle surveillance, les migrants se font le plus discret possible, tentant de préserver un tant soit peu leurs campements éphémères. Actuellement, sur Calais et sa périphérie, une quinzaine de camps et squats auraient ainsi vu le jour. Mariam Guerey, énergique salariée du Secours catholique, qui organise des maraudes pour « apporter un peu de chaleur aux migrants », les connaît quasiment tous. Dessin sur le mur d'un squat ©Marie Barbier Certains sont en plein cœur de la ville. Ainsi, les Africains squattent une immense usine désaffectée. Au milieu des anciennes machines, Soudanais et Erythréens se réchauffent auprès d’un maigre feu. Du verre brisé et des morceaux de bois jonchent le sol, les fenêtres sont toutes cassées. Certaines par la police assurent les migrants. Sur le mur, l’un d’eux a écrit, d’une belle écriture arabe calligraphiée : « Notre vie avec la police ressemble à celle de la souris avec le chat ». En dessous, une petite souris côtoie un matou aux dents particulièrement pointues.
Le matin même, le chat a bien travaillé : une descente à 7h30 s’est soldée par une trentaine d’arrestations. Hachim est passé entre les mailles du filet en se faisant tout petit dans sa cachette : le haut d’une grande armoire, au fin fond de l’usine. Hachim a un beau visage d’adulte pas tout a fait sorti de l’enfance : il a 18 ans, a fui l’Erythrée dans la corne de l’Afrique, traversé la Libye, la Méditerranée, la Grèce puis l’Italie avant de se retrouver coincé dans l’entonnoir calaisien. Il aimerait rejoindre les Pays-Bas et passe ses nuits à se glisser sous des camions.
Dans le parc Richelieu, au centre Kadir ©Marie Barbier Autre refuge prisé des migrants : les squares et jardin. Au parc Richelieu, à côté de la pelouse bien entretenue et des platebandes fleuries, les Afghans tuent le temps sur les bancs. Parmi eux : Kadir. Comme tous les ados du monde, ce jeune afghan à la main lourde sur la laque : ses cheveux gominés se dressent en crête au sommet de sa tête. Kadir a quitté son pays alors qu’il avait à peine quatorze ans, a traversé seul l’Europe pour se retrouver à Calais où il vivote depuis deux ans. Le 22 septembre 2009, Kadir était dans la « jungle » au moment de son démantèlement. Il a été arrêté - comme 275 autres Afghans, dont une moitié de mineurs – placé dans un foyer de Carvin, à 120 kilomètres de Calais. Il y passe un mois, « avec les fous » dit il, avant de revenir. Depuis, il dort dehors. Où ? « Dans la jungle » répond-il comme une évidence.

Nouvelle jungle

Dans la nouvelle jungle ©Marie Barbier
Dans la zone dunaire qui jouxte l’hoverport, une nouvelle « jungle » a en effet vu le jour. Rien à voir avec l’ancien campement pachtou et ses baraques sommaires faites de bâches en plastique et de palettes de bois. Ici, pas de construction, à peine quelques affaires cachées au milieu des broussailles. Les migrants se rassemblent par petits groupes. « Pas plus de quatre ou cinq sinon ils savent qu’ils vont être repérés » explique Charles Frammezelle, bénévole connu sous le nom de Moustache. Derrière un bosquet, il montre un blouson, un savon, une bouilloire, autant de signes de la vie fragile qui s’est installée ici.
Dans la nouvelle jungle ©Marie Barbier
Mineur et demandeur d’asile, Kadir devrait doublement être logé par l’État français. Dans des structures adéquates et non pas dans des centres pour jeunes délinquants comme l’ont été les mineurs arrêtés lors de l’opération de septembre 2009 souligne Mélanie de l'association de soutien aux migrants Salam : « Beaucoup nous ont raconté qu’ils avaient été maltraités par les policiers, avant d’être emmenés dans des centres qui n’étaient pas adaptés. C’est dommage car c’était peut être le bon moment pour que certains puissent rester en France ». Contrairement aux affirmations d’Eric Besson, pour qui ces migrants n’ont qu’un seul souhait, passer en Angleterre, nombreux sont ceux qui ont déposé une demande d’asile en France. Depuis l’installation d’un bureau de traitement des demandes d’asile à la sous-préfecture de Calais en mai 2009, pas moins de 480 migrants y ont déposés un dossier. Mais ils ne sont que la moitié à avoir obtenu une autorisation provisoire de séjour, les autres tombant sous le coup de la procédure de Dublin II qui renvoie les réfugiés dans le premier pays de l’Europe ayant pris leurs empreintes, la Grèce dans leur immense majorité, où le taux de reconnaissance du statut de réfugié est de 0,04%...

Un ange dans le purgatoire

La création de ce bureau à Calais fait parti des quelques progrès apportés aux migrants depuis l’année dernière. Ainsi, la municipalité UMP a mis en place un point de distribution des repas, des douches, des toilettes chimiques. Le Secours catholique s’est vu attribué un préfabriqué tout beau, tout neuf et tout… caché ! Car ces nouveaux locaux se trouvent en périphérie de la ville, à près d’une heure de marche du centre. Et tout est à l’avenant : les douches se situent à un bout de la ville, le point de distribution des repas à un autre. Certes, les migrants peuvent désormais manger à l’abri, mais dans un lieu excentré et bien à l’abri des regards. Et voilà comment, sur un coup de baguette magique, les migrants deviennent invisibles… « C’est une stratégie de la mairie, regrette Vincent de Coninck, du Secours catholique. Nous éparpiller et nous épuiser. Nous sommes dans un système de navette permanent qui nous demande beaucoup de temps et d’énergie. »
LéaAu volant de sa camionnette blanche, Myriam confirme, qui passe un temps fou à conduire les migrants aux douches, à l’alphabétisation, aux repas… « C’est pas très écolo » ironise t-elle, avant de freiner brusquement. Elle a aperçu sur le trottoir Léa, seule migrante actuellement présente à Calais. Léa a 17 ans et le sourire d’un ange au milieu de ce purgatoire. Avec sa douce voix et dans un anglais parfait, elle raconte son odyssée : arrivée à Calais il y a quatre jours, elle a fui l’Erythrée où sa religion, le protestantisme, est strictement interdite. Pour l’avoir pratiquée, son père est retenu dans les geôles du pouvoir, sa mère a fui au Soudan, sa sœur en Angleterre. Léa veut tenter le « passage » pour la rejoindre. Quand on lui demande si elle n’a pas peur d’essayer une traversée aussi dangereuse, elle répond avec son beau sourire : « Si, mais que pouvons-nous faire d’autre ? »
Article paru dans l'Humanité du 21 septembre 2010



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